L’UNEQ dénonce également l’absence de recours pour les victimes et une privation d’une partie de leurs droits syndicaux.
Des chiffres qui donnent le vertige
Près d’un quart des 444 répondant.e.s déclarent avoir subi au moins une fois un comportement inadéquat répétitif ou une seule conduite grave. Ce taux passe à 32,8 % quand il s’agit des femmes ou personnes issues des minorités de genre.
Une femme ou personne issue des minorités de genre sur sept déclare avoir subi des attouchements dans le cadre de relations professionnelles. Plus d’une sur cinq a été victime d’intimidation et une sur trois a reçu des propos humiliants.
« Ça fait froid dans le dos ! », s’exclame la présidente de l’UNEQ, Suzanne Aubry. « Ces données doivent nous alerter sur l’ampleur d’un phénomène tenu secret trop longtemps. »
La loi du plus fort
Force est de constater que la plupart des agissements recensés par l’enquête de l’UNEQ reposent sur un déséquilibre du rapport de force dans le milieu littéraire : 41 % des répondant.e.s estiment avoir ressenti au moins une fois le déséquilibre du rapport de force avec leur interlocuteur.trice avant et au moment de la négociation d’un contrat d’édition, 40,5 % dans des échanges privés ou publics, et 36 % lors d’événements littéraires (festivals, salons du livre, lancements, etc.)
Pour 31,5 % des répondant.e.s, il est difficile voire impossible de considérer le milieu littéraire comme sain et d’y évoluer de manière équitable avec les autres partenaires. Ce chiffre grimpe à 37 % pour les femmes et minorités de genre ayant moins de 10 ans de carrière.
Un milieu dans lequel on ne parle pas de ces choses-là
59 % des personnes ayant subi un ou plusieurs abus déclarent ne pas avoir tenté de parler à l’un des responsables de l’entreprise ou de l’organisation, car c’était impossible ou par peur des conséquences.
« Il faut bien comprendre que l’absence de représentation collective pour nos artistes entraîne une loi du silence tacite dans le milieu. Comment voulez-vous exprimer une difficulté vécue quand rien ne vous protège, quand vous pouvez être placé du jour au lendemain sur une liste noire des écrivaines et écrivains qui osent parler ? », déclare Laurent Dubois, directeur général de l’UNEQ.
L’absence de recours : une discrimination de plus pour les victimes
L’UNEQ reconnaît que le milieu travaille actuellement à développer des moyens pour prévenir ces situations. Sensibilisation, formations et codes de déontologie spécifiques seront probablement mis en place sous peu par plusieurs organisations.
« Ce travail de prévention est certes indispensable, mais il faut également aborder la question des recours, des sanctions, de l’accompagnement des victimes, des processus de justice réparatrice. Et c’est là que des désaccords de fond apparaissent entre les acteurs », poursuit Laurent Dubois.
« L’absence d’ententes collectives signées dans le milieu littéraire prive les écrivaines et écrivains des mécanismes de griefs, d’arbitrage et de médiation. Un recours en médiation, par exemple, permettrait à l’UNEQ de représenter un.e membre dans une démarche de grief et ainsi d’éviter qu’il ou elle ne soit seul.e face à son interlocuteur, souvent placé en position de force. »
À ce sujet d’ailleurs, l’enquête indique que 88,2 % des personnes qui se sont prononcées estiment nécessaire de disposer de mesures de griefs, de médiation et d’arbitrage.
Une lame de fond depuis l’été dernier
En juillet 2020, le milieu littéraire québécois a été littéralement submergé par un mouvement rassemblant plusieurs centaines de femmes et de personnes issues de minorités de genre qui ont dénoncé les comportements malsains auxquels elles sont trop souvent confrontées. Elles ont interpellé les acteurs du milieu afin qu’ils mettent fin au harcèlement sexuel ou psychologique qui a déjà fait de trop nombreuses victimes.
Dans une lettre rendue publique le 15 juillet dernier, plus de 150 signataires s’adressent directement à l’UNEQ, syndicat professionnel des écrivaines et écrivains québécois, pour agir et faire changer les choses.
Afin de mieux mesurer l’ampleur et les conséquences d’une situation aussi inquiétante, l’UNEQ a donc consulté les écrivaines et écrivains, membres ou non du syndicat, au début du mois d’octobre 2020.
« La situation est maintenant connue de toutes et tous, personne ne peut décemment la nier dans le milieu comme au gouvernement », conclut Suzanne Aubry. « Nous, écrivaines et écrivains québécois, sommes plus que jamais déterminé.e.s à en finir avec ces comportements toxiques et ces abus de pouvoir à répétition. Cette situation ne peut plus durer ! Il est grand temps de changer complètement de paradigme et d’instaurer un véritable dialogue social. Nous nous rassemblons, solidaires, unis, pour dénoncer, certes, mais aussi pour obtenir une justice réparatrice et une protection décente pour les autrices et les auteurs que nous représentons. »
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