Car il y a quand même quelque chose qui devrait nous faire réfléchir : au-delà de la façon particulière dont a été formulé le « code de vie » d’Hérouxville, ce que l’on retrouve en fait en arrière-plan comme une lancinante rengaine, c’est un désir marqué d’affirmation identitaire, une volonté collective de faire reconnaître « des valeurs qui seraient communes au Québec », ou plus encore un souhait partagé par beaucoup de « faire du Québec une fierté », mais avec en plus... un sourd malaise et la peur ou l’inquiétude de ne pas y parvenir.
D’où le fait que ce désir d’affirmation identitaire, plutôt que de s’exprimer positivement, se soit donné à voir négativement, au fil d’une dénonciation caricaturale des travers imaginés ou supposés de « l’Autre », de l’étranger.
De quoi nous rappeler que le problème de fond est peut-être moins du côté des immigrants fraîchement débarqués –kirpan ou hidjab en prime— que du côté des Québécois eux-mêmes.
Ne plus savoir ce que nous voulons
Le débat autour de la présence du crucifix (chrétien) au-dessus du fauteuil du président du Parlement de Québec en est le plus bel indice. Il est en effet assez symptomatique de voir un Mario Dumont en défendre le maintien, au nom de notre tradition chrétienne et catholique. Comme s’il avait oublié que tout de la démocratie nous appelle à séparer ce qui est de l’ordre de la religion et ce qui est de l’ordre de l’Etat, puisque le pouvoir démocratique n’origine d’aucune parole révélée, mais de la souveraineté populaire elle-même. Et comme s’il avait oublié qu’une tradition n’est jamais une fatalité, mais un choix –collectif, politique— que chaque génération actualise en fonction de ce qu’elle aspire à être.
Il n’y a pas de destin en la matière. Rien ne nous interdirait par exemple de voir dans les leaders de la révolution tranquille ou dans ceux des Patriotes les tenants de la tradition à laquelle nous voudrions aujourd’hui nous référer. Mais justement c’est une question de choix à affirmer, à réaffirmer ! Or rien dans la situation d’aujourd’hui — aucun parti, aucun mouvement, aucun leader— ne nous pousse à vouloir mettre clairement les cartes sur la table. A avoir l’impression que nous ne savons plus vraiment ce que nous voulons (quelle société, quel être humain désirons-nous promouvoir aujourd’hui ?). Tout paraissant brouillé et confus, ne nous laissant à l’horizon que la piste prudente et pragmatique des… accommodements raisonnables.
Les points de repère insuffisants des Chartes
Certes beaucoup, pour se sortir de ce mauvais pas, tentent de revenir aux Chartes (canadienne ou québécoise), rappelant qu’on y retrouve en fait l’essence même de nos valeurs. Ce n’est pourtant pas là que l’on trouvera des points de repère suffisants en la matière. Enfermées dans un cadre étroitement juridique et formel, organisées autour de la seule valorisation des droits individuels, les Chartres ne peuvent être rien d’autre qu’un garde-fou, certes utile, mais aucunement à même de résoudre des problèmes d’identité et d’affirmation collective qui sont fondamentalement d’ordre pratique et politique.
Donner l’illusion que le problème est réglé
Reste alors la politique ! Mais là encore –déficit démocratique oblige— le discours des politiciens les plus en vue est si façonné par « le politiquement correct » qu’il ne s’attaque réellement à aucun des problèmes de fond qui nous hantent, à commencer par ceux générés par le néolibéralisme. En bons adeptes du spectacle, les politiciens de « l’establisment » se contentent de donner l’illusion que le problème est réglé.
Tout le monde ainsi est devenu « vert », a appris à « féminiser » ses discours et à ne jurer que par « la démocratie ». Sans pour autant que rien, ni des problème environnementaux, ni de l’égalité entre hommes et femmes, ni même de la souveraineté populaire ne tende à s’approfondir, à devenir quelque chose de réel, d’effectif. Tout au contraire : pensez au protocole de Kyoto, à l’impossible conciliation famille travail ou à l’utopique scrutin proportionnel, on est plus que jamais loin du compte !
D’où pour un nombre grandissant de gens, l’impression que rien ne change et que tout un chacun se trouve enfermé dans une sorte de « consensus mou et asphyxiant », sans apparemment aucune possibilité de changement réel, d’alternative véritable, avec à la clef, malaise, désorientation et peur suintant partout.
Donner l’impression de mettre ses culottes
Pas étonnant que dans un tel contexte, le style ADQ puisse plaire et séduire y compris chez les jeunes, parce qu’il donne l’impression , comme le dit si bien son chef, de « mettre ses culottes » en osant dénoncer haut et fort des « concessions déraisonnables ».
Sauf qu’il ne touche en rien aux raisons de fond de ce malaise. Il se contente de manipuler des désirs d’affirmation et des peurs, des frustrations sur le mode de la démagogie la plus facile.
Oser parler de rupture
Face à un tel vide, on voit mieux ainsi quelle pourrait être la place de Québec solidaire, l’espace qu’il pourrait occuper, tant il y a urgence à répondre –sur le mode positif—à tous ces désirs d’affirmation collective ainsi qu’à transformer ces peurs diffuses et malsaines en actions collectives audacieuses et transformatrices.
A condition toutefois d’oser sortir des sentiers battus et de s’extirper du réalisme réducteur et de la rectitude politique ! A condition aussi d’innover et de ne pas avoir peur de proposer avec audace un projet clairement en rupture avec celui des politiciens de l’ordre établi. Tout n’est-il pas déjà –en pointillé—dans le programme de Québec solidaire : rupture au niveau écologique, rupture au niveau de l’indépendance, rupture au niveau de la justice sociale, rupture qu’il ne faut pourtant pas avoir peur de revendiquer et d’affirmer ? N’est-ce pas ainsi qu’on surmontera le malaise souterrain qui habite tant de citoyens du Québec et qu’on répondra aux aspirations de changement qui les hantent ?