Édition du 17 décembre 2024

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Tunisie

Les femmes dans la lutte – un témoignage

Une interview de Nadia Chaabane, tunisienne, militante féministe, réalisée par le Collectif national pour les droits des femmes [le titre est de la rédaction d’Europe Solidaire Sans Frontière].

Nadia, tu es au Collectif national pour les Droits des Femmes depuis quasiment sa création. Tu es tunisienne. Dans quelles circonstances es tu arrivée en France ?

Nadia : Pour faire mes études à l’Université. J’étais déjà militante en Tunisie dans une association de femmes à Nabeul. En arrivant en France j’étais au comité anti apartheid et dans le mouvement étudiant. J’ai rejoint l’Union Générale des Étudiants Tunisiens assez rapidement, le mouvement féministe de France, les associations de l’immigration ainsi que les associations de l’opposition tunisienne de gauche en France.

Après ma soutenance de thèse je me suis posée la question de rentrer ou pas. Mon implication dans les mouvements de l’immigration et de l’opposition ainsi que la confiscation de tous les espaces de liberté en Tunisie m’ont amenée à réfléchir autrement en me disant que je serai plus efficace en restant en France parce que je pourrai contribuer à être un peu porte voix de ceux qui n’avaient pas de voix, ceux qui étaient privés de voix. On assistait déjà à un durcissement très important de la dictature de Ben Ali qui avait tissé une toile confisquant tous les espaces d’expression et effectivement celles et ceux qui étaient en France. On avait la tâche de faire savoir, d’informer, de relayer.

Et il m’a semblé que je pouvais être plus utile en étant ici que là bas. Et en même temps rentrer là bas pour y faire quoi ? Est ce que c’est rentrer dans les rangs pour y être prof d’université et y faire ma petite vie dans l’anonymat et le silence. Je ne me voyais pas du tout dans ce profil. Intégrer l’opposition existante pour faire bouger les choses ? J’ai hésité, j’ai choisi plutôt de rester ici me sentant complètement utile dans ce rôle de relais.

Collectif : Le relais d’associations féministes sur place ou pas ?

Nadia : Alors, il se trouve que l’on n’a pas d’associations féministes de femmes tunisiennes sur Paris mais on a toujours soutenu les femmes tunisiennes présentes sur Paris qui sont dans les associations de l’immigration. Je suis en l’occurrence à l’Association des Tunisiens en France, on a toujours relayé les campagnes menées par les copines de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, de l’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche au Développement . On a toujours été en contact, on les a invitées pour des débats, des rencontres, on a toujours été sur la même longueur d’ondes sur les revendications. On a toujours essayé de faire connaître la cause des femmes tunisiennes.

Il faut pas croire que c’était facile. Aujourd’hui la Tunisie fait la une de la presse mais il fût un temps où c’était très compliqué ne serait-ce que d’avoir un petit encart dans un journal parce que c’est un petit pays qui n’intéresse pas grand monde et pour lequel les autorités françaises avaient une position pré définie : c’est un pays stable, rempart de l’islamisme, rien à en dire, point à la ligne. Rares étaient les journaux qui informaient de ce qui se passait en termes de censure, en termes d’oppression , en terme de tortures, en terme de procès fait aux étudiants,en termes d’emprisonnement, en terme d’entrave à tout ce qui pouvait être toute forme de contestation.

Les femmes quand elles voulaient organiser une réunion, elles ne pouvaient pas, elles ne pouvaient organiser un meeting qui ne parle que de revendications féministes, elles ne pouvaient pas aller au delà. C’était infernal. Pour nous c’était important de jouer ce rôle de porte voix de celles et ceux qui étaient sans voix et vivant dans une espèce de prison à ciel ouvert avec l’accord de tous les gouvernements d’ici, aussi bien de gauche que de droite d’ailleurs.

Collectif : Tu as fait référence à deux association, l’ATFD et l’AFTURD. Est ce que tu peux décrire les activités qu’elles avaient là bas si elles pouvaient avoir des activités.

Nadia  : Ce sont deux associations autonomes du pouvoir tunisien puisqu’il y a d’autres associations complètement affiliées au RCD. Elles sont porteuses des revendications des femmes tunisiennes en termes d’égalité des droits. Elles ont mené une campagne depuis plusieurs années sur l’égalité successorale.

Elles gèrent un centre d’accueil pour les femmes victimes de violences sur Tunis, elles ont un centre de consultations juridiques, elles font beaucoup de publications sur les aspects de droit et d’accompagnement. Elles font un boulot formidable mais qui mérite d’être connu et qui était beaucoup entravé par le pouvoir politique en Tunisie de Ben Ali. Parce qu’il a instrumentalisé lui la cause des femmes en Tunisie. Donc c’était extrêmement compliqué de paraître dans le paysage et de prendre leur place.

Les revendications des femmes restent d’actualité après la chute de Ben Ali. On veut l’égalité réelle à tous les niveaux et on veut la séparation du religieux et du politique de manière à ce que l’on puisse être des citoyennes à part entière. Et en même temps 23 ans de Ben Ali, c’était 23 ans d’instrumentalisation des femmes parce que le seul truc qu’il pouvait brandir comme étant quelque chose de positif, c’était la place des femmes. Effectivement les femmes tunisiennes sont pionnières sur plein de choses.

C’est le taux d’alphabétisation le plus fort, c’est également le pourcentage de femmes travailleuses le plus important de l’Afrique et du monde arabe. C’est les femmes qui ont investi tous les secteurs professionnels, qui sont à la tête d’entreprises, qui sont à la tête de secteurs entiers, qui exercent sans complexes partout, c’est une grande fierté pour nous. Mais en même temps le pouvoir a monopolisé une sorte de discours autour des femmes parce qu’il n’avait rien d’autre à dire. Et c’est effectivement compliqué pour nous dans les enjeux d’aujourd’hui car dès qu’on parle des femmes on nous rappelle l’instrumentalisation. C’est extrêmement complexe. Ces associations ont résisté à Ben Ali.

Elles étaient présentes dans les revendications de démocratie, de liberté. Ces associations ont été motrices dans beaucoup de mouvements de contestation les dernières années .

Ces associations appellent à une Marche le 29 janvier pour l’égalité et la citoyenneté. Cinq associations appellent à cette Marche, la Marche des femmes. C’est à l’appel de l’ATFD, l’AFTURD., la commission femmes de l’UGTT, (Union Générale des Travailleurs Tunisiens) le collectif Maghreb Égalité ainsi que la commission femme de la LTDH. (Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme).

Les femmes ont participé à la Révolution depuis le premier jour. Et la première manifestation de contestation qui a eu lieu à Sidi Bouzid, il y avait déjà des femmes dans la rue. Elles n’ont pas du tout quitté la rue aujourd’hui : elles continuent à être dans les sit-in, les comités de vigilance, elles continuent à être partout. Mais effectivement on n’a pas encore entendu des revendications spécifiques. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Il y en a effectivement. La revendication première est celle de l’égalité qui n’existe pas encore pour le moment.

Collectif : Peux tu donner des précisions là dessus. On entend beaucoup dire que l’égalité existe sauf en termes successoraux. On peut imaginer que c’est l’égalité formelle (sauf l’héritage) et pas l’égalité réelle.

Nadia : La réforme la plus attendue et la plus importante pour rétablir cette notion d’égalité puisque l’on parle d’égalité mais elle n’existe pas réellement, c’est la réforme de l’héritage puisque l’on n’est pas sur un régime égalitaire à ce niveau là.

Mais il y a également de petites déclinaisons dans le code de statut personnel qui marquent des discriminations à l’encontre des femmes. Il y a par exemple des exclusions qui sont dues à de l’appartenance confessionnelle : vous êtes non musulmane, vous n’avez pas forcément les mêmes droits qu’une musulmane. Quand vous n’habitez pas en Tunisie, vous n’avez pas les mêmes droits qu’une Tunisienne qui habite en Tunisie. On va donner la priorité à la personne qui habite sur place plutôt qu’à la Tunisienne qui habite en Italie, en France, en Libye ou ailleurs par rapport à la garde ou par rapport à des choses de cet ordre là.

Donc il y a des inégalités qui persistent. Nous on veut mettre à bas ces inégalités. Et le seul garant, et là je parle en mon nom et au nom d’un certain nombre de femmes qui ont signé un appel et lancé une pétition [1]. Nous ce que l’on souhaite, c’est que l’on puisse séparer le religieux du politique, qu’on puisse travailler autour d’une base qui soit dépouillée de tout référence religieuse de manière à ce que l’égalité réelle puisse être assurée. Et on souhaite qu’il n’y ait pas de légalisation de partis tant qu’il n’y ait pas cet engagement de fait et cette garantie de prise.

Collectif : La signature de la pétition semble bien marcher sur le net.

Nadia : Effectivement. Disons qu’en moins de 24 heures, on a eu 500 signatures et en passant uniquement par un réseau assez restreint. La diffusion commence à peine et cette pétition commence à tourner. Il se trouve que cette revendication répond à une attente importante de la part de femmes et de jeunes femmes tunisiennes puisqu’il y a beaucoup d’étudiantes qui la signent. SI on veut rebâtir une Tunisie demain qui tient compte des aspirations de la population, il va falloir que l’on tienne compte de toutes ces jeunes qui ne sont pas forcément sur une volonté de couper la poire en deux, sur de la négociation. Elles veulent l’égalité et pas négocier autour de cela.

Collectif : Je crois que l’on a compris que les femmes veulent préserver les acquis et aller beaucoup plus loin. Peux tu parler de la situation générale parce que ça bouge d’heure en heure. On a l’impression , pour parler vite, qu’on a un débat entre réforme et révolution. Tout le monde s’intéresse à la situation générale en Tunisie. Il y a des manifestations à la casbah pour faire tomber les ministres RCD qui occupent des postes clé. Il y a des gens cependant qui disent qu’il faut s’appuyer sur leur expérience. Ton avis Nadia . Faut-il une Constituante ou peut-on s’appuyer sur la Constitution actuelle parce qu’elle offre suffisamment d’espaces pour avancer. Est-ce « du passé faisons table rase » ou pas ? C’est une vraie question. C’est une situation quand même révolutionnaire.

Nadia : Effectivement, on est face à une Révolution, pas à une réforme. Donc je pense qu’il ne faut pas hésiter à l’animer. Je l’appelle la Révolution tunisienne, pas la Révolution du jasmin. C’est une Révolution tunisienne pour la démocratie. C’est une première dans l’histoire de l’humanité, je crois qu’il n’y a pas eu de précédent de cet ordre là.

On aura beau vouloir calquer les Révolutions du passé, les autres contextes, on aura beau essayer de faire des comparatifs, je crois que l’on n’arrivera pas à établir un comparatif. On est entre le Portugal, la Pologne, plusieurs configurations. Et en même temps il y a quelque chose d’inédit : c’est la manière de faire, c’est une Révolution qui s’est faite à mains nues sans armes, sans organisation leader, sans aide étrangère.

Donc c’est quand même une configuration unique. On n’a jamais vu ça. Elle s’est faite en l’absence de leader et les Tunisiens ont exprimé haut et fort qu’ils ne voulaient plus de leader. Y’a pas besoin de leader pour arriver. Et la cohésion s’est faite dans le même sens puisqu’il y avait une convergence où les gens aspiraient à la liberté. Et qu’on soit ouvrier, médecin, journaliste, avocat, agriculteur ou autre, la revendication de la liberté, elle est commune, elle est universelle, les gens aspirent à la liberté. Peut être pas les mêmes libertés mais en tous cas il y a une convergence des revendications de liberté qui allaient dans le même sens et qui ont fait tomber ce pouvoir.

Aujourd’hui qu’il y ait du cafouillage, qu’on soit pas sur une situation claire est extrêmement normal et banal. Moi je trouve que la pression qui est mise sur la Tunisie aujourd’hui de sortir une solution est complètement occultante de la réalité du pays, des enjeux qui sont en place et de l’importance que doit prendre la parole de la rue et de ceux qui étaient à l’œuvre et qui ont fait cette Révolution dans le débat.

On peut pas leur confisquer leur Révolution ces gens là. C’est eux qui ont mis leur vie en péril, qui se sont exposés au tir des balles et on n’a pas le droit de leur confisquer leur Révolution. Que eux ils aient besoin de temps, qu’ils ne soient pas clairs et qu’ils veulent que les symboles forts de ce régime, c’était pas simplement Ben Ali, c’était aussi le RCD, disparaissent du paysage est légitime et plus que légitime. Moi je peux pas recommencer avec un homme qui était 23 ans en règne et qui a fermé sa gueule pendant 23 ans, qui n’a rien dit.

Même s’il est intègre par ailleurs, il n’ a pas volé, il n’est pas corrompu, mais il est quand même lié avec un régime qui a du sang sur les mains. On peut pas être avec un ministre des Affaires étrangères aujourd’hui qui était l’homme de Ben Ali dont tout le monde parlait comme étant le successeur éventuel. On n’ en veut pas . On veut pas non plus d’un Ministre de l’intérieur qui soit RCD. Le ministre de l’intérieur incarne en Tunisie quelque chose de …..

D’ailleurs, pendant les manifestations les gens l’ont baptisé « Ministère de la torture et la répression ». Comment voulez vous laisser ce ministère, ne serait-ce que symboliquement aux mains du RCD ? C’est im-pen-sa-ble. Les gens ne peuvent pas le comprendre. Et ça c’est légitime que les gens soient contre. Après que l’on soit pour une Constituante, pour faire table rase, pour un gouvernement de transition avec ou sans RCD ou autre, moi je pense que toutes les éventualités sont à observer.

En même temps, moi je ne suis pas pour faire table rase. Parce que je suis une femme et que l’histoire des femmes m’a appris qu’en général les premières sacrifiées sont les femmes. A chaque fois que l’on a fait table rase ce sont les femmes qui ont été sacrifiées. Moi j’ai des acquis aujourd’hui que je n’ai pas du tout envie de brader ni de remettre en discussion. Et ces acquis ne me suffisent pas. Je veux leur élargissement et je veux que l’égalité réelle soit quelque chose de constitutionnel une fois pour toutes.

Donc mon cœur, mes convictions, mon engagement iraient plutôt vers de la réforme constitutionnelle, qui travailleront sur du long terme, qui proposeront quelque chose qui me convienne en tant que femme avant tout. En même temps chasser du pouvoir et des postes clés le RCD, cela me paraît un minimum en vue des dégâts qui ont été commis et en plus c’est un parti qui ose aujourd’hui regarder les gens en face et dire : « Oui mais nous on peut être aussi la transition avec vous, on vous écoute... » Pendant 23 ans ils ont réprimé, pillé, corrompu. Ils ont pratiqué une politique abjecte, ils n’ont toujours pas fait leur méa culpa. Donc pourquoi voulez vous que je les crois

Collectif. Et les islamistes ?

Nadia : Les islamistes en Tunisie sont présents. C’est une des composantes politiques de la rue tunisienne, ils sont là. De toutes façons je suis obligée de faire avec. Ils ne représentent pas... c’est à dire au niveau de la revendication politique de l’état islamique, c’est quelque chose de marginal, extrêmement marginal et pas inquiétant à ce niveau là. Par contre la recomposition et les négociations qui vont se faire vont tenir compte de leurs revendications. Moi je ne leur fais aucunement confiance et j’ai besoin que l’on mette fin à la négociation à tout bout de champ de tous les partis politiques qui fassent la demande pour qu’il y ait des garanties de prises au niveau constitutionnel. Les islamistes, s’ils sont d’accord avec la Constitution séparatiste, moi ils ne me posent aucun problème.

Ils ont droit à l’existence, c’est une composante politique. Comme ils arrêtent pas de se revendiquer des Turcs en disant « On est comme les Turcs et on prend comme modèle les Turcs ». Les Turcs ont une Constitution laïque qui fait une nette séparation. Donc moi ça ne me pose pas de problème qu’ils soient légalisés après coup. Mais qu’ils soient légalisés dans l’état actuel des choses sans qu’il y ait de garantie de prise, sincèrement là je ne suis pas d’accord du tout

Collectif : il y a différentes mouvances. Effectivement la plus importante se réclame de l’AKP turc mais il y en a d’autres qui semblent plus dures mais qui sont très minoritaires.

Nadia  : ils sont très minoritaires, ils se revendiquent du wahhabisme, de tout un tas d’autres groupuscules mais n’empêche qu’ils sont quand même à l’œuvre, ils sont actifs, ils ont commencé à investir les mosquées. Moi je suis vigilante, en tant que femme et on retient les leçons de ce qui s’est passé ailleurs. En Iran, en Algérie, au Soudan, en Égypte, moi j’ai pas la mémoire courte. On sait ce qui s’est passé ailleurs et j’en tiendrai compte. La Tunisie est peut être différente des autres pays mais en même temps je sais que les droits des femmes ne sont jamais acquis définitivement et qu’il faut continuer à se battre et rester vigilante. Donc moi, je continuerai à me battre et rester vigilante. Je ne suis contre personne mais du moment qu’ils respectent un cadre, qu’ils garantissent mes droits.

Collectif : qu’est ce qui pourrait menacer la révolution tunisienne et penses-tu qu’il peut y avoir une influence de cette révolution sur d’autres pays. On a vu que l’Égypte commençait à bouger.

Nadia. Je vais répondre séparément à ces deux questions. Mes craintes c’est les pays arabes. Et leur degré de dangerosité parce que ça n’arrange aucun pouvoir arabe ni africain d’ailleurs. Ce qui se passe en Tunisie leur fait peur. Donc ils seront prêts à se mouiller, je veux dire la Libye elle est capable demain de faire des choses, d’occuper, d’envoyer des commandos, d’infiltrer. On l’a connu dans notre histoire tunisienne d’ailleurs. Donc moi j’ai des craintes de ce côté là. Du côté des pouvoirs et des dictateurs qui nous entourent.

Alors ce qui se passe en Égypte aujourd’hui. Moi ce qui m’a fait rire en voyant des vidéos c’était que le mot d’ordre était « Moubarak dégage ». C’est exactement le même terme « dégage. » Et il y a un parlementaire qui a pris la parole aujourd’hui et il a utilisé le même terme « dégage » en parlant à Moubarak. Donc on est sur un mot d’ordre qui est repris, les gens pensent que c’est possible, que ce qui a été possible en Tunisie, ce petit pays un peu isolé où tout avait l’air de bien se passer, stable....

Donc ils pensent que c’est possible. Mais en même temps les configurations ne seront pas les mêmes. Les histoires des pays ne sont pas les mêmes. Le régime tunisien n’est pas un régime militaire. Ce qui n’est pas le cas du côté de l’Algérie, de l’Égypte ou ailleurs. Donc moi je ne sais pas du tout ce que sont les rapports de forces de la rue face aux militaires. Je n’ai aucune idée de la capacité de réponse des militaires car en Tunisie les militaires c’est des appelés, alors.... On est vraiment très très loin d’avoir des contextes similaires.

Collectif : les militaires étaient tenus à l’écart

Nadia : les militaires ont été tenus à l’écart en Tunisie par tous les pouvoirs. Bourguiba a essayé de limiter leur importance en mettant en place un organigramme qui faisait qu’ils n’avaient pas de pouvoir réellement. Ben Ali n’a jamais consolidé leur pouvoir même s’il est issu des militaires. Lui quand il est arrivé au pouvoir il avait l’appui des militaires mais il avait surtout l’appui du RCD, du PSD comme il s’appelait à l’époque, le parti destourien. Les militaires n’ont rien eu à faire d’ailleurs. Ils étaient là s’il y avait des dérapages mais ils n’ont rien eu à faire. C’était quelque chose qui s’est passé sans aucune contestation puisque le parti et la machine de l’État étaient de son côté.

La configuration de l’Égypte est complètement différente, celle de l’Algérie est complètement différente. Ce qui s’est passé autour de l’unité nationale qui a eu lieu en Tunisie, aujourd’hui on en est très loin en Algérie. L’opposition, les syndicalistes, les associations ne sont pas encore arrivés à un point de dépassement pour s’unir et faire front. Chose qui en Tunisie s’est faite de manière extrêmement rapide parce qu’il y avait un telle répression que les gens n’avaient pas le choix, il y avait une question de survie, c’était irréversible. Cette configuration n’y pas encore en Algérie.

Elle n’y est pas encore complètement en Égypte car il y a beaucoup beaucoup de divisions donc je ne sais pas quel sort va leur être réservé, est ce que l’armée va agir et dans quel sens ? Je ne crois pas que l’on puisse calquer. On a vu une immolation en Tunisie a provoqué une révolte. On en est à la 8e en Algérie et il ne se passe pas grand chose encore. Ça montre que la copie ça n’est pas l’original. Il y a un terreau qui précipite les événements, qui fait que la mayonnaise prend et que les événements s’enchainent. Après une machine, une fois qu’elle est mise en place, parce que ce qui s’est passé en Tunisie c’est qu’au bout de quinze jours on était entré dans l’irréversible. Parce que autrement on allait vers le suicide collectif.

Donc soit on y allait tous et on mourait tous et on se faisait massacrer, soit c’est Ben Ali qui partait. Mais on était acculés. La population était acculée du jour où elle a franchi le cap et elle a dit « Ben Ali dégage ». Tout le monde sentait l’importance des mots qui sont sortis à ce moment là. Les gens ont pesé un poids, des mots qui ont été décisifs et qui ont en même temps libéré la parole et les actes et la peur. Et surtout ils ont libéré les gens de la peur. Je ne connais pas suffisamment l’Égypte ou l’Algérie ou d’autres pays pour pouvoir en juger mais en même temps je sais que le contexte est très très éloigné et qu’on n’est pas du tout dans la même configuration.

Notes

[1] Voir sur ESSFG : Revendications de femmes tunisiennes
* Paru sur le site du CNDF : 
http://www.collectifdroitsdesfemmes...

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