Tant la résilience gréviste que la capacité de riposte dans la rue maintiennent l’unité des fédérations tout en redonnant à la CLASSE son rôle central. Quelques écoles secondaires ont déclenché une grève de quelques jours. Reste que plus de deux mois de grève proactive par le tiers du milieu étudiant post-secondaire n’a pas suffi pour tout simplement préserver le statu quo, car le gel des frais de scolarité, ce n’est que ça.
Comme le démontre le soutien de la CAQ aux Libéraux, les hauteurs bourgeoises, toutes tendances confondues, favorisent la ligne dure. Ce qui est en jeu pour eux c’est la préservation de l’intégrité de l’œuvre néolibérale tel que proclamée par les budgets Conservateur et Libéral. Remettre en cause un de ses blocs, ce serait le faire pour l’ensemble, estiment-elles. Pire, se disent-elles, le gel serait la porte d’entrée de la gratuité scolaire qui ne fait pas problème pour son coût, une bagatelle de quelques centaines de millions $, mais pour cause d’une menace à la rupture de l’idéologie individualiste. Payer pour son diplôme fabrique des propriétaires de savoir ; se le faire payer par la société des travailleuses solidaires. (À remarquer que l’économie moderne réseautée appelle le partage des savoirs, comme quoi l’individualisme néolibéral va à l’encontre de l’efficacité économique.) Quant à la perte d’un semestre d’étude, ce n’est pas si grave que ça, pensent-elles au plus profond de leur mauvaise conscience, tant que la majorité de la gens étudiante, particulièrement anglophone et surtout en administration, en génie et en science, et suffisamment de cégeps pour les alimenter, ne participe pas au mouvement.
Le petit-bourgeois PQ, même en accord avec cette conception néolibérale de l’éducation, d’où son refus d’opposer une alternative à la politique Libéral-CAQ, doit tenir compte que la gens étudiante constitue un bloc significatif de sa base électorale qu’il dispute de plus en plus à Québec solidaire qui prône la gratuité scolaire. Plus profondément, le capital petit-bourgeois étant plus intellectuel que monétaire, l’éducation post-secondaire, encore plus hors administration, sciences de la nature et génie, demeure un élément majeur de sa base de classe. La proximité électorale fait le reste. Le PQ, et ses intellectuels organiques, en appellent donc à une trêve d’un semestre ou deux afin de se donner le temps d’un autre de ces sommets interclassistes. Cette solution, dans l’immédiat, casserait la mobilisation étudiante qu’il serait difficile de reprendre à court ou moyen terme. L’épuisement et probablement la démoralisation des troupes seraient au rendez-vous étant donné un effort et un coût considérables pour aboutir à un non lieu. À terme, elle risquerait, ce qui est consciemment souhaité par le PQ, de diviser le mouvement étudiant au profit des fédérations modérées qui lui sont politiquement proches.
Pour sortir du piège de l’enlisement favorable à une casse certes non condamnable, sauf à blâmer l’intransigeance Libérale comme cause principale, mais non souhaitable si elle répugne à la majorité populaire, l’amélioration qualitative du rapport de forces s’impose dans les plus brefs délais. L’élargissement de la grève, y compris au secondaire, pourrait y contribuer. On peut douter, cependant, étant donné l’intransigeance de la bourgeoisie traumatisée par le coût de services publics québécois « les plus meilleurs au monde » de la zone ALÉNA, qu’il suffise à renverser la vapeur sauf à produire cette trêve suicidaire. L’urgence d’un saut qualitatif ne peut venir que de l’entrée en scène du mouvement syndical à l’occasion de la Fête du travail, ce qui est bien autre chose que de modestes manifestations régionales, de plus à Montréal loin du métro. Cette grève sociale de 24 heures votée par la CSN, davantage s’il le faut, est devenue un impératif social. Mais, en l’absence, du moins visible, d’une opposition syndicale contestant l’inertie de la bureaucratie syndicale, sur quelle force sociale crédible compter pour pousser à la roue ?
Les porte-parole de Québec solidaire ont cette crédibilité. Le congrès préélectoral qui aura lieu dans quelques jours, s’il faut attendre jusque là, fournira l’occasion d’une prise de position, particulièrement le vendredi soir où le sujet est indirectement à l’ordre du jour. Il n’est plus interdit de penser que les Libéraux pourraient déclencher une élection sur l’enjeu étudiant. Ce serait pour eux l’occasion de faire d’une pierre deux coups : se sortir de l’actuel guêpier tout en créant une polarisation de classe rompant, potentiellement, leur actuelle et durable abyssale impopularité. L’erreur de Québec solidaire, tant sur le fond des rapports de classe qu’en termes de rentabilité électorale, serait de prôner la solution péquiste de la trêve. Le seul moyen de s’en sortir est d’inviter le mouvement syndical à organiser dans les plus brefs délais cette grève sociale dont on parle tant depuis 2004, revotée en 2010, et qui n’a jamais eu lieu.
Le résultat de cet abandon fut la capitulation sans combat des syndicats du secteur public en 2005 et en 2010. Une troisième prise, alors que la grève étudiante offre l’occasion d’une jonction avec les lock-outés de Rio-Tinto-Alcan et les congédiés d’Aveos, et avec tout le peuple québécois dont un quart de million était dans la rue le Jour de la terre, pourrait avoir des conséquences profondément démobilisatrices. Oser faire une grève politique de masse pourrait, au contraire, retourner la situation comme un gant.
Marc Bonhomme, 26 avril 2012
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