Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

Le printemps turc ne fait que commencer

Face à l’autoritarisme du Premier ministre Erdogan et aux politiques néolibérales, liberticides et sécuritaires du gouvernement AKP, nous assistons depuis près de vingt jours à l’irruption d’un formidable mouvement de contestation, dont le projet de destruction du parc public Gezi au profit d’un centre commercial fut l’étincelle.

Les manifestations massives autour de la place Taksim, où se trouve le parc, ont contraint la police et l’État à quitter les lieux pendant deux semaines. Gezi fut occupé par des milliers de jeunes dont la plupart n’avaient jusqu’à ce jour pratiquement aucune expérience politique. Alors que des rassemblements de solidarité se produisaient chaque jour dans la majorité des villes du pays, le parc Gezi est devenu le théâtre d’une expérimentation, d’une anticipation de rapports sociaux non-marchands, basés sur le volontariat, la solidarité et la gratuité.

Le sultan contre-attaque

Illustrant Friedrich Engels sur le fait que les barricades ont une importance plus symbolique que militaire , le matin du mardi 11 juin, des centaines de policiers ont réussi à atteindre Taksim pour l’évacuer à coups de canon à eau et de gaz lacrymogène. Après avoir résisté quelques heures, les occupantEs ont dû se retirer dans le parc cerné par des véhicules anti-émeutes. La tension s’apaisa dans les jours suivants, laissant la place à une sorte de cohabitation entre les résistantEs et la police sur la place Taksim. Ce fut le moment des rencontres entre divers artistes, intellectuels et représentantEs de l’initiative de Taksim avec le Premier ministre, marquant ainsi une période d’attente avant un potentiel dénouement pacifique de la crise. L’appel du préfet d’Istanbul aux parents à retirer leurs enfants de Gezi se solda par l’arrivée de plus d’une centaine de mères d’occupants sur la place, scandant «  les mères sont fières de la jeunesse  ».

Lors de la réunion avec la délégation de Taksim dans la nuit du 13 juin, Erdogan, qui avait déjà dû abandonner le projet d’édification du centre commercial à Gezi, tout en maintenant celui de reconstruction de l’ancienne caserne d’artillerie, proposa de soumettre le projet d’aménagement à un référendum local, qui aurait lieu après la décision du tribunal qui avait déjà imposé l’arrêt des travaux. Le lendemain furent organisés des forums au sein du parc, avec la participation d’un maximum d’occupantEs, pour décider de la position à prendre suite aux propositions d’Erdogan. La plupart des membres de diverses associations et d’organisations politiques et syndicales affirmèrent que la «  résistance de juin  » et l’occupation du parc était une victoire sans précédent et qu’il ne faudrait pas qu’elle se solde par une perte de légitimité dans l’opinion publique, ce qui pourrait aussi faciliter une intervention violente. Ce furent surtout les jeunes «  non organisés  » qui exprimèrent que les revendications n’avaient pas été satisfaites et qu’il fallait continuer l’occupation. Finalement, l’initiative de Taksim déclara que la plupart des organisations et partis allaient démonter leurs tentes, et que leurs membres se relayeraient dans la seule tente de l’initiative. Une sorte «  d’occupation représentative  » jusqu’au référendum.

Un premier acquis

Mais la répression ne se fit pas ­attendre. Dans la soirée du samedi 15 juin, lors de son grand meeting d’Ankara, Erdogan annonça qu’il n’aurait plus de tolérance envers les occupantEs, désignés comme «  putschistes  » laïcistes au services des forces étrangères ­jalouses des progrès économiques de la Turquie… Et un assaut policier d’une grande violence fut donné pour évacuer le parc Gezi. De même que la répression, la résistance continua toute la nuit. Les conflits reprirent le lendemain. Et défendant le «  respect de la volonté nationale  », le meeting d’Erdogan à Istanbul se transforma en véritable démonstration de force.

La place Taksim a été reconquise par l’État. Mais, c’est sûr, cela ne représente pas une défaite. Bien au contraire, l’engagement et la mobilisation de la jeunesse dans cette «  révolte pour la liberté  » est une première victoire, un acquis dont la gauche radicale a beaucoup de leçons à tirer. Elle nous a entrouvert les portes d’une autre réalité qui, comme dirait Ernst Bloch, n’aurait rien à envier aux rêves. La taupe a trouvé le chemin, elle repassera à coup sûr.

* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 200 (20/06/13). http://www.npa2009.org/

Uraz Aydin

Uraz Aydin, universitaire et ancien dirigeant de la branche universitaire de Egitim-Sen (Syndicat de travailleurs de l’éducation et de la science), contribue régulièrement à Sosyalist Demokrasi için Yeniyol, la revue de la section turque de la IVe Internationale.

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