Ramzy Baroud, counterpunch.org, 25 août 2020
Traduction : Alexandra Cyr
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C’est un ingénieur civil de 30 ans, originaire du village de Farasin dans le nord de la Cisjordanie. Pendant plusieurs années, avec sa famille, il a tenté de se construire une maison, mais toute ses demandes ont été refusées par les militaires israéliens.
Pendant des années, cette bataille de la famille Amarneh a été le miroir de celle de la collectivité de Farasin et, de fait, de la plupart des Palestiniens.nes.
Ceux et celles qui ont le malheur de vivre dans la partie de la Cisjordanie que les accords d’Oslo de 1995 ont désigné « Zone C » ont toujours été laissés.es dans la brume. Cette zone représente presque 60 % de toute la Cisjordanie. Elle est riche en toutes sortes de ressources : de la terre arable, de l’eau et beaucoup de minerais. Elle est peu peuplée. Il n’est donc pas surprenant que le Premier ministre Netanyahu veuille l’annexer. Plus de territoire, moins de Palestiniens.nes a toujours été le principe qui a guidé le colonialisme sioniste.
Il est vrai que le plan d’annexion de Netanyahu a été reporté au moins en ce qui regarde ses éléments juridiques, mais en pratique l’annexion de fait est en marche depuis bien des années et s’est accélérée dernièrement. En juin dernier, par exemple, Israël a démoli 30 maisons palestiniennes en Cisjordanie, principalement dans la Zone C. 100 personnes se sont retrouvées sans logement. De plus, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, l’armée israélienne a aussi démoli 33 bâtiments non résidentiels au même moment, en signalant que : « c’est autant de démolition que durant les cinq premiers mois de 2020 réunis ».
Comme beaucoup d’autres villages palestiniens de la Zone C, Farasin est voué à la destruction complète. Les 200 personnes qui y vivent ont subi le harcèlement de l’armée israélienne depuis des années. Israël est engagé dans l’implantation de colonies juives au cœur de la Cisjordanie et, pour cela, il bloque tout développement naturel des communautés palestiniennes qui s’y trouvent, c’est-à-dire de la population indigène de ce territoire « zoné C ».
Le 29 juillet dernier, les forces israéliennes ont envahi Farasin, en terrorisant les habitants.es. Elles ont exécuté 36 décrets de démolition selon les dirigeants du conseil municipal. Clairement, il s’agit d’un nettoyage ethnique de toute la population d’un village par Israël.
Ahmed Amarneh et sa famille étaient aussi visés par un décret de démolition, mais, ils ne vivent pas dans une véritable maison, ils vivent dans une caverne. Aux reporters qui l’interrogeaient, M. Amarneh a répondu : « Je n’ai pas fabriqué cette caverne. Elle existe depuis l’Antiquité. Je ne comprends pas comment on peut m’empêcher d’y vivre. Les animaux vivent dans des cavernes, on ne les expulse pas. Alors, qu’on me traite comme un animal et qu’on me laisse dans ma caverne ».
Ces propos chargés d’émotion de M. Amarneh ne doivent pas nous tromper. Un récent rapport du groupe de défense des droits humains, B’tselem a exposé certaines des méthodes qu’utilise le gouvernement israélien pour forcer les Palestiniens.nes à quitter la zone C, entre autres en bloquant tout développement dans ces communautés : « Israël a empêché le développement de ces communautés en désignant de grandes parties du territoire, terres gouvernementales, de survie, zones de tir, réserves naturelles et parcs nationaux ». Si on en juge par la destruction systématique de l’environnement palestinien dans ce territoire, on doute sérieusement que le gouvernement s’intéresse à la préservation des animaux. « Son but ultime est l’attribution de ces terres à des colons et à leurs conseils régionaux » spécifie B’tselem.
Il ne faut donc pas s’étonner, par exemple, qu’en novembre 2017, seulement 16 des 180 demandes de développement par les communautés palestiniennes de cette zone aient été acceptées. Toutes les autres sont strictement interdites.
Entre 2016 et 2018, les communautés de la zone ont déposé 1,485 demandes de construction et développement et seules 21 ont été approuvées. Ces mesures draconiennes et sans aucun sens obligent les familles à construire sans permis, sachant qu’elles s’exposent aux démolitions futures.
Des centaines de familles se retrouvent dans la même situation que celle de M. Amarneh et ont adopté comme lui, la solution alternative. Puisqu’on leur refuse les permis de construction et craignant la démolition plus ou moins immédiate si elles construisent sans permis, elles ont tout simplement déménagé dans des cavernes. Ce phénomène est particulièrement présent dans les régions d’Hébron et de Naplouse.
Dans les environs montagneux de Naplouse, les ruines des maisons démolies ou non terminées sont les témoins de la guerre entre les militaires israéliens et le peuple palestinien. Puisqu’ils ont perdu cette guerre et n’ont aucune solution, plusieurs amassent leurs biens et se dirigent vers les cavernes à la recherche d’un foyer.
Mais souvent la bataille n’est pas terminée pour autant. Les communautés palestiniennes, surtout autour d’Hébron, subissent encore des avis d’expulsion. Cette guerre pour la survie du peuple palestinien est loin d’être terminée.
Par contre, le cas de Ahmed Amarneh est assez unique. Rarement et peut-être jamais, le gouvernement israélien n’a émis d’ordre militaire de démolition d’une caverne. Après ça, où cette famille peut-elle aller ?
Cette situation dramatique, exemplaire du dilemme global des Palestiniens.es, me rappelle le poème de Mahmoud Darwish, The Earth is Closing un Us * :
« Where should we go after the last frontiers ?
Where should the birds fly after the last sky ?
Where should the plants sleep after the last breath of air » ?
La réalité parait déprimante, mais cette métaphore est représentative du colonialisme sauvage et sans borne comme de la légendaire constance palestinienne.
Les démolitions, le nettoyage ethnique et toutes les autres méthodes utilisées dans la zone C, se perdent dans les détails techniques de l’oppression ; par contre, ils révèlent aussi la ténacité de l’esprit humain démontré par des centaines de familles, comme celle de M. Armarneh qui transforment des cavernes en foyers chaleureux. C’est cette persévérance incomparable qui fait que la quête pour la justice du peuple palestinien, malgré toutes les embuches, reste possible.
Note : Ramzy Baroud est journaliste chef de pupitre de The Palestine Chronicle. Il a aussi publié cinq bouquins, le dernier étant : These Chains Will Be Broken : Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons chez Clarity Press, Atlanta, USA.
*Je ne me reconnais pas la capacité de traduire des poèmes, voilà pourquoi je l’ai laissé dans sa traduction anglaise. N.d.t.
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