1° maintenir à 65 ans la borne d’âge pour l’attribution de la retraite à taux plein « jusqu’en 2018, date à laquelle il est prévu de réaborder la question des retraites ». Donc ne pas la relever à 67 ans à compter du 1er juillet 2016, au rythme de 4 mois par année. Le Figaro résume bien la question : « Bref, de reculer seulement d’un an et demi la mise en œuvre de cette mesure ». 2° Il demande au gouvernement de revoir sa copie sur trois autres points : les carrières longues, la pénibilité (voir à ce propos, sur notre site, l’introduction à l’article de Laurent Delage, en date du 4 septembre 2010).
Selon Marc Landré du Figaro, à l’Elysée un conseiller du Président explique : « François Chérèque veut montrer qu’il n’est pas dans une position de fermeture, comme la CGT, et cherche à se différencier. Il cherche aussi à obtenir ces concessions du gouvernement pour dire à sa base que le conflit dur dans lequel la CFDT s’est lancée n’aura pas été vain. […] François Chérèque veut montrer que nous avons cédé après la manifestation du 7 septembre. A-t-on intérêt à le faire ? Cela mérite réflexion. »
Sarkozy, qui ne peut évacuer Woerth dans l’immédiat, répète : « Je ne serai pas le président de la République qui partira sans avoir réglé la question de l’équilibre [financier] des régimes de retraite. C’est clair que je suis extrêmement déterminé. » (Le Figaro, 4-5 septembre 2010). Sarkozy et Fillon sont sur l’avant-scène politique. Pendant ce temps, Raymond Soubie, l’expert aguerri en dossiers sociaux, a le contact avec les dirigeants syndicaux.
Dans le quotidien économique Les Echos du 3-4 septembre 2010, Bernard Thibault (CGT) et François Chérèque (CFDT) ont découvert « l’affaire Woerth-Bettencourt », avec un retard complice ! Chérèque souligne que cette réforme « du quinquennat [est menée] en pleine crise politique dans la majorité, avec le ministre du dossier du cœur de cette crise. » Et il ajoute : « Cette situation fait qu’on aborde pas du tout le fond du dossier. C’est un vrai problème. » Et Thibault de renchérir :« Eric Woerth est objectivement (sic !) plus occupé, et préoccupé, par autre chose que par le sujet qui nous intéresse. » Et Chérèque de répondre à la question « Ce climat vous sert-il ? » : « Je ne pense pas, dès lors qu’il occulte le débat de fond sur les retraites ». Autrement dit : la « crise en haut » ne faciliterait pas une mobilisation pour le retrait de la réforme : Cette option était claire depuis longtemps. Selon Chérèque, « il va falloir un jour » que le gouvernement « arrête d’amuser la galerie (sic) et rouvre un vrai dialogue ».
Pour mesurer l’impact de la mobilisation du mardi 7 septembre 2010, Chérèque insiste déjà que le signal le plus important pour la CFDT sera « le niveau de grève dans le privé ». Dans cet entretien conjoint, Thibault se montre plus prudent que Chérèque. Plus exactement, il sait ne pas répondre à diverses questions, car « nous ne confondons pas vitesse et précipitation. » Le dispositif des appareils n’a pas besoin de se précipiter pour se mettre en place ; il l’est déjà.
Une lecture de cet entretien conjoint, fait cinq jours avant les grèves et les mobilisations du mardi 7 septembre 2010, démontre combien le nombre « des manifestants », la diffusion spatiale de la mobilisation, la réalité des grèves, le degré d’auto-organisation, les revendications reprises par les « cortèges », en un mot la dynamique d’ensemble du mardi 7 septembre sera déterminant pour la suite. Car, seulement si des secteurs significatifs de salarié·e·s et de jeunes « en formation », entre autres, entrent, à leur façon, sur la scène sociale et politique, sans se caler sur l’agenda politico-électoral, les fractures au sommet s’élargiront et des éléments dépassant un scénario d’alternance (à la Sarkozy -Aubry/Strauss-Kahn) s’affirmeront.
Nous publions ci-dessous, les explications et conceptions de forces politiques et sociales qui se sont efforcées, plus ou moins, de mener une campagne unitaire pour la journée de mobilisation du mardi 7 septembre 2010. (cau)
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Se mobiliser par millions et préparer la grève générale,
Olivier Besancenot *
Pour faire plier le gouvernement sur la contre-réforme des retraites et contre sa politique raciste et sécuritaire, une seule solution : se mobiliser par millions et préparer la grève générale. Dans la campagne unitaire pour conserver la retraite à 60 ans, il y a beaucoup du rapport de forces global entre les classes qui est un train de se jouer. La situation dans quelques semaines ne sera pas la même si Sarkozy fait passer la réforme ou si, au contraire, le mouvement ouvrier réussit à la stopper. L’impopularité de la réforme – qui est certaine – ne sera pas suffisante pour la stopper parce qu’on est tous confrontés au même problème : un certain recul des luttes, un certain reflux social, un certain ressac des mobilisations sociales. Depuis deux ou trois ans, peu de luttes ont été victorieuses.
C’est lié à une stratégie d’éparpillement des luttes qui n’a que trop duré. C’est aussi lié à l’impact immédiat de la crise économique sur les consciences. Cette crise économique qui a débuté, il y a maintenant deux ans, est une crise de grande envergure. Quand on regarde l’histoire du capitalisme, on sait que lors de ce type de crise, le premier réflexe dans les couches populaires, n’est pas d’abord celui de la solidarité, pas d’abord celui de la révolte collective. C’est malheureusement trop souvent, la débrouille, le chacun pour soi, l’individualisme, la jalousie. On regarde les acquis sociaux du voisin en pensant que ce sont des privilèges, voire pire. Et les employeurs, dans le public comme dans le privé, nous disent : « T’es pas heureux, tu peux prendre la porte, parce que plein de gens veulent ta place, veulent bosser ». Alors ce n’est pas le moment de l’ouvrir, de revendiquer, et on sait que cela pèse sur les consciences.
La révolte comme antidote
La révolte solidaire est l’antidote à la crise économique, mais c’est un antidote qui produit souvent ses effets à rebours, en différé, une fois dépassées les illusions du chacun pour soi. Après la crise de 1929, par exemple, et avant les grèves de 1934 et la grande grève de 1936 avec le Front populaire, il y a eu aussi 1933 en Allemagne et l’ascension du nazisme. Toutes proportions gardées, ces deux éléments sont présents dans la situation politique actuelle. Cela renforce le rôle du mouvement ouvrier, des organisations, de façon unitaire, le rôle des militants, ceux qui a priori sont un peu plus conscients de certaines choses.
Et notre rôle est de brusquer le temps, d’accélérer les effets de cet antidote pour que cela aille plus vite et que cela se produise sur la question des retraites : nous devons agir collectivement là où nous pouvons peser. La première chose que l’on peut faire, c’est renforcer notre camp en s’appuyant sur la dynamique de ce qui a déjà été réalisé ces derniers mois. Parce qu’il y a une attente extraordinaire et souvent sous-estimée dans les équipes militantes. Quels que soient les syndicats et les partis, il faut que cette campagne unitaire ait lieu. Quels que soient les désaccords politiques à gauche, on peut marcher séparément et frapper ensemble sur une question aussi essentielle que celle des retraites qui touche à l’héritage du mouvement ouvrier, pour défendre la retraite à 60 ans, à taux plein. La deuxième chose est que l’on peut aussi affaiblir le camp d’en face, car la crise économique percute tout le monde. Même les classes possédantes, même les capitalistes.
Certains à droite se disent que Sarkozy n’est pas forcément la bonne réponse de droite pour sortir de la crise. La fuite en avant nauséabonde, raciste, sécuritaire, écœurante à laquelle on a eu droit cet été, outre qu’elle est révoltante, consiste à essayer de faire oublier les problèmes politiques, économiques et judiciaires du gouvernement. Ce n’est pas la marque d’un gouvernement fort mais bien plutôt celle d’un gouvernement aux abois. Il y a des dissensions potentielles dans les classes possédantes qu’il faut savoir exploiter pour remporter des victoires. On peut se dire que dans les semaines à venir, à n’importe quel moment la crise sociale peut se transformer en crise politique, voire en une crise de régime. Quand on a commencé la campagne unitaire, on était bien loin de se douter que la campagne sur les retraites allait trouver ce curieux sponsor qu’est L’Oréal, à travers l’affaire Woerth-Bettencourt.
Woerth est soi-disant un homme d’honneur. Et il l’est à ce point qu’il le distribue en légions à ceux qui lui rendent des petits services, le gestionnaire de la fortune Bettencourt qui embauche sa femme, le comptable qui s’est occupé de la campagne municipale et de son micro-parti. Mais dans quelques jours, il devra expliquer à tous que les temps sont durs et qu’il faut se serrer la ceinture. Il est probable qu’en l’entendant, des centaines de milliers de personnes auront envie d’aller manifester. Nous pouvons donc affaiblir le camp d’en face, mais à condition que la gauche sociale et politique, le camp du mouvement ouvrier ne tremble pas à la veille de la rentrée et que sa partie la plus libérale ne nous refasse pas le coup du discours alterné qui dit retraite à 60 ans puis, il faut peut-être travailler plus longtemps. La gauche doit avoir du cran pour réclamer non pas la réécriture mais le retrait, l’abrogation du projet de loi Woerth-Sarkozy, parce que pour le moment ce n’est qu’un projet de loi. Dans cette campagne, on a décidé de donner des explications mais aussi de tracer des perspectives.
Si la réforme n’est pas populaire, la bataille de l’opinion n’est quand même pas gagnée d’avance. On voit défiler dans les médias des commentateurs, des analystes, des experts, des économistes qui nous expliquent que les caisses de la Sécurité sociale sont vides, sans jamais nous parler des 32 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales qui vont aux gros groupes industriels capitalistes pour, paraît-il, créer de l’emploi. Ils nous envoient des experts pour expliquer qu’il faut travailler plus longtemps parce qu’on vit plus longtemps. Comme si ça ne pouvait pas être une chance extraordinaire de vivre plus longtemps si on a un système de protection sociale qui nous permet d’avoir du temps libéré de l’exploitation après une dure vie de labeur. Et puis, il y a les experts qu’on ne voit jamais. Ceux qui, par exemple, pourraient nous dire que si la population a vieilli depuis trente ans, les travailleurs sont aussi beaucoup plus productifs. Au quotidien, cela signifie que le taux de productivité horaire a augmenté de 70 % ! Mais la productivité est partie dans les profits et ces derniers n’ont pas servi à l’emploi mais à verser des dividendes encore plus importants aux actionnaires.
Répartition des richesses
La question centrale est donc bien celle de la répartition des richesses. Le Conseil d’orientation des retraites cherche 3 % du PIB, 3 % des richesses annuelles pour financer un système des retraites qui est paraît-il aux abois. 3 %, ce n’est rien par rapport aux 17 % qui partent chaque année sous forme de profits accaparés par une minorité qui, elle, ne connaît pas vraiment la crise. On pourrait aussi nous envoyer des experts pour tirer le vrai bilan des réformes successives, puisque depuis 1993, on n’arrête pas d’augmenter le nombre d’annuités nécessaires. La réalité c’est qu’il y a une toute petite minorité des salariés qui arrivent à faire les 37, 5 annuités qu’ils devaient effectuer avant la réforme Balladur, à cause du chômage, des licenciements, des préretraites, des maladies professionnelles. La seule conséquence des réformes est la baisse de 15 à 20 % du montant des pensions. C’est l’objectif de cette réforme et c’est ce que nous devons expliquer.
Et puis, il suffirait d’un commentateur qui ait un peu de mémoire pour rappeler que Sarkozy était le candidat du plein-emploi alors qu’il y a entre 4 et 5 millions de chômeurs dans ce pays. Si on avait à la place 4 ou 5 millions de travailleurs à temps plein, cela ferait aussi 4 ou 5 millions de cotisants à temps plein... et les caisses de la Sécurité sociale seraient pleines. Et si en plus on augmentait les salaires, ce qui serait une mesure de salubrité publique, les caisses seraient pleines à craquer. Cela veut dire que si plutôt que de nous demander de travailler plus longtemps, on nous demandait de travailler moins, tout le monde aurait un emploi. Et personne ne parlerait du problème des retraites. Cela s’appelle le partage du temps de travail. Donner des explications ne suffit pas. Il y a un problème de confiance collective. Steve Biko, une grande figure de la lutte contre l’apartheid, mort dans les geôles racistes d’Afrique du Sud, avait une belle formule :« La meilleure arme entre les mains des oppresseurs, c’est la mentalité des opprimés » , c’est-à-dire nos mentalités, nos problèmes de confiance, de conscience.
Notre responsabilité est donc d’essayer d’expliquer comment on peut gagner. Essayer de tracer des perspectives sociales et politiques. Sociales, parce qu’on n’est plus dans l’expectative. Le gouvernement nous a fait une vraie déclaration de guerre sociale, avec un lieu, une date, avec le vote à l’Assemblée et au Sénat. C’est en septembre, c’est en octobre et on ne va pas les en empêcher en les amadouant ou en les menaçant. On ne pourra les en empêcher que si on est capable d’établir un rapport de forces supérieur au leur. Si on est capable de créer ensemble un pouvoir supérieur au leur. Il y a dans ce pays une tradition de lutte et de résistance qui fait que la rue a un pouvoir. Elle en a eu en 1995 contre le plan Juppé, elle en a eu pendant le CPE.
On nous demande toujours si la rentrée sera chaude. Ce qu’on sait, c’est qu’elle aura lieu à l’heure, qu’elle commence tôt. Et qu’elle est globale. Pour nous la manifestation du 4 contre la politique raciste et sécuritaire du gouvernement et la première grande grève du 7 contre la réforme Woerth-Sarkozy, c’est la même et seule rentrée sociale et politique qui s’oppose à une politique libérale et qui veut taper. Encore faut-il qu’elle dure le temps nécessaire. Les mobilisations saute-mouton, cela ne marchera pas. Il faudra une suite rapprochée, faite de mobilisations prolongées, de grèves, de manifestations, d’un mouvement d’ensemble et d’une grève générale. L’abrogation de cette réforme ne doit pas être une énième promesse électorale pour 2012 car ce serait prendre le problème à l’envers : l’issue des retraites ne se joue pas en 2012 mais, en revanche, beaucoup de l’issue de 2012 se joue dans la bataille des retraites.
C’est maintenant qu’il faut affaiblir le gouvernement et la droite. Il faut également des perspectives politiques. On a aujourd’hui une droite dure qui s’assume : Sarkozy, c’est le régime des plus riches, fait par les riches pour les riches, c’est le régime de la peur qui joue sur les peurs. Il faut donc aussi une gauche qui s’assume.
Une gauche qui parle de lutte de classe, d’émancipation, qui s’adresse au prolétariat du XXIe siècle, qui ne parle pas d’augmenter le pouvoir d’achat mais d’augmenter les salaires, qui ne parle pas de régulation mais de taxer les profits, qui ne parle pas d’humaniser la politique d’immigration mais d’égalité intégrale des droits, de régularisation de tous les sans-papiers. Une gauche, une autre gauche, celle de l’alternative qui parle aussi de projet de société. Le régime de la peur et des plus riches, on veut le renverser, pour mettre à la place un nouveau mode de production et de consommation qui soit rationnel, respectueux de l’environnement, égalitaire, où les richesses seraient partagées entre toutes et tous, contrôlées et réappropriées par toutes et tous, car la mise en cause de la propriété est essentielle.
Dans l’héritage du mouvement ouvrier, il y a aussi les héritages politiques. Blanqui disait : « Notre projet ne serait qu’un mensonge s’il devait n’être que la substitution d’une forme de gouvernement à une autre. Il ne suffit pas de changer les mots, il faut changer les choses. Notre projet, c’est l’émancipation des travailleurs, c’est la fin du régime de l’exploitation et l’avènement d’un ordre nouveau qui affranchira le travail de la tyrannie du capital. » Nous devons gagner la bataille sur les retraites, nous ne voulons pas être la génération qui a perdu les retraites.
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Jean-Marie Harribey, Attac **
Six mois de simulacres de concertations, de mensonges envers la société et de propos rassurants envers les marchés financiers, ça suffit ! Il n’existe qu’une seule solution à ce conflit : le retrait immédiat de ce projet pour construire un projet alternatif. Cette réforme démantèle le droit à la retraite, tout en accordant les meilleures largesses aux classes dominantes et la purge pour les pauvres. Dans un contexte de crise financière qui a désagrégé les dépenses publiques, on fait payer les pauvres pendant que les riches continuent de s’enrichir. Il faut construire un projet alternatif parce que les enjeux sont multiples. Il faut travailler moins et pas plus. Il faut partager les gains de productivité et pas les polariser à un pôle de la société. Il faut réduire les inégalités.
Et il faut une retraite à 60 ans pour pouvoir jouir des meilleures années qui séparent la fin de la vie active de l’échéance finale. Pour cela, il y a une solution, qui est maintenant dans le débat public, c’est faire payer les revenus du capital, soumettre à cotisation tous ceux qui ne le sont pas pour l’instant. Nous allons tout faire pour empêcher que ce projet aboutisse, en nous associant totalement aux manifestations organisées par les sections syndicales. Nous savons maintenant que la grève générale devient de plus en plus nécessaire pour faire plier ce projet. Nous allons continuer de mailler le territoire jusqu’au moindre recoin du pays, dans toute la lignée de l’appel national qui a été lancé par Attac et Copernic, qui réunit maintenant une très large palette de tout le mouvement social.
Le 7 septembre doit devenir le jour où la société tout entière se saisit du débat sur les retraites. Telle était notre intuition lorsque nous avons lancé cet appel : gagner en transformant le débat sur les retraites en débat de société, en choix de société. Et nous nous trouvons dans une situation inédite : tous les peuples européens sont confrontés à une situation que la crise du capitalisme rapproche aujourd’hui, parce que les plans d’austérité mettent à mal les droits des salariés, les conquêtes sociales, pour le plus grand bénéfice du capital. Le mouvement social français doit être une pierre dans la construction de ce mouvement social européen dont on aura l’échéance le 29 septembre. Il faut faire naître cette insurrection civique qui dépasse un conflit syndicats-patronat, parce qu’il y a un véritable enjeu de société pour préparer l’avenir. La démocratie est menacée par la stigmatisation des immigrés, des Roms et par-delà, de tous les membres du salariat. Le vent de la révolte a sonné, le vent de la révolte ne tombera pas.
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Christian Mahieux, Solidaires ***
La contre-réforme des retraites est une preuve que la lutte des classes existe et que la classe sociale qui n’est pas la nôtre la mène activement. Ce que nous perdons en salaires, pensions, protection sociale, les patrons et les actionnaires le gagnent en profits supplémentaires. La réduction du temps de travail est une des marques du progrès social, un phénomène continu, et les patrons s’y sont toujours opposés. De la réduction du temps de travail, la suppression du travail des enfants à la semaine de 40 heures, puis 35 heures, en passant par la journée de 8 heures et la retraite à 65 puis 60 ans, la réponse patronale a toujours été « ce n’est pas possible, économiquement on pourra pas ».
C’est rigoureusement la même chose aujourd’hui, sauf que le rapport de forces étant ce qu’il est, ils ne s’opposent pas à la réduction du temps de travail, ils veulent imposer son allongement. C’est bien de ça qu’il s’agit. C’est bien sûr l’affrontement en classes sociales que se situe le dossier des retraites. Le mouvement syndical est une nouvelle fois au pied du mur. L’enjeu est-il d’obtenir quelques réunions pour faire croire à une négociation, et mettre en avant quelques reculs moindres que ceux prévus initialement, sans que le retour en arrière, le vol de nos acquis sociaux soient remis en cause ?
De la réponse à cette question dépend la stratégie d’actions radicales à mettre en œuvre. Pour Solidaires, l’enjeu est l’abandon du projet de loi. Des négociations, il en faudra, mais pour améliorer le système attaqué depuis 1993, pour satisfaire des revendications anciennes du mouvement syndical, en matière de réduction du temps de travail, de lutte contre les travaux pénibles et dangereux, de compensations à ces situations. Donc des négociations, mais pas sur la base de ce projet de loi qui ne doit pas voir le jour. Pour ça, il va falloir se battre.
Réussir nos manifestations, être 1 million dans la rue comme le 27 mai, plus d’1 million comme le 24 juin, peut-être 2 millions comme le 7 septembre. C’est bien, nécessaire, indispensable, mais pas un but en soi. Réussir périodiquement des journées d’actions sur des enjeux comme celui-là, ce n’est pas suffisant pour gagner. Solidaires propose d’organiser un mouvement de grève générale. Et ce ne serait pas stupide que la dynamique soit portée par d’autres forces syndicales nationales. Cette grève générale est nécessaire pour obtenir le retrait du projet de loi, pour éviter le recul historique que gouvernement et patronat veulent nous imposer.
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Gérard Filoche, inspecteur du travail, militant PS ****
J’ai bon espoir que nous défendions tous ensemble [avec le PS] jusqu’au bout la question des 60 ans. 60, pas 61 ni 62 ! À taux plein, avec 75 % de redistribution, sans retraite inférieure au Smic, calculée sur les dix meilleures années, et indexées sur les salaires. C’est ça une vraie retraite à 60 ans. L’unité est essentielle, et nous avons toutes les chances de l’avoir et de gagner. Ils sèment le doute, à nous de semer la confiance. Il y a 70 % de Français contre eux. Mais sur ces 70 %, il y en a peut-être encore qui pensent que c’est foutu.
Il dépend de nous, de l’unité, que ces opposants à cette réforme soient aussi convaincus qu’on peut gagner. Et ça se joue pendant tout le mois de septembre. Un mois de temps forts, ça permet à ceux qui sont hésitants de ne plus hésiter. Cela veut dire aussi qu’il faut être clair sur le fond, exiger un retrait inconditionnel à 60 ans, sans ambiguïté. Pour les gens qui arrivent à 57, 58, 59 ans, fatigués, une infirmière qui a couru pendant 35 ans dans les services de l’hôpital, un instituteur qui a déjà fait 35 rentrées... la biologie du corps humain n’a pas changé. Ce n’est pas parce qu’on nous dit qu’il va y avoir des centenaires qu’on change pour autant entre 55 et 60 ans.
Si on calcule notre feuille de congés payés, nos semaines de vacances, c’est parce qu’on les attend ! On a besoin, avant d’être en difficulté physique ou mentale, de profiter de la vie. Les plus belles années de la retraite sont entre 60 et 65 ans. Les plus dures années au travail sont entre 60 et 65 ans. Et c’est ce qu’ils veulent nous voler ! Alors que l’espérance de vie en bonne santé, c’est 63 ans en moyenne pour les hommes et 64 ans pour les femmes. Ces années sont précieuses, c’est une conquête !
Comme ils ne voulaient pas des 35 heures ni des congés payés, ils veulent nous reprendre ça. C’est un combat de société, un combat de classes, où le salariat est majoritaire dans ce pays. 92 % de la population active produit toutes les richesses de ce pays et ne reçoivent pas la part qu’ils méritent. Le salariat de ce pays est en droit non seulement de garder ses retraites mais, pour ceux qui sont en pénibilité physique ou mentale, de partir à 55 ans. Qui n’a pas regardé un homme derrière son marteau-piqueur à 55 ans ? Il a une espérance de vie de 61, 62 ans. Le Medef [organisation patronale] parle de pénibilité au cas par cas, pour les handicapés qu’on enverrait directement du travail au tombeau. 60, c’est l’objectif que nous avons gagné, que nous devons garder. Pas un an de plus, pas un euro de moins. Vive nos retraites à 60 ans !
* Olivier Besancenot porte-parole du NPA (intervention au meeting unitaire sur les retraites, à Port-Leucate, le 27 août 2010, lors de l’Université d’été du NPA)
** Jean–Marie Harribey, économiste, professeur à l’Université de Bordeaux. Membre du Conseil scientifique d’attac (intervention le 27 août, dans le cadre du meeting unitaire)
*** Christian Mahieux est un des animateurs de L’Union syndicale Solidaires, constituée à partir de dix syndicats autonomes, non-confédérés, parmi lesquel les divers SUD. (intervention le 27 août, dans le cadre du meeting unitaire).
**** Gérard Filoche, inspecteur du travail, anime le courant Démocratie et socialisme à l’intérieur du PS. Il est l’auteur (avec Jean-Jacques Chavigné) de Une vraie retraite à 60 ans, c’est possible,Ed. J.C.Gawsewitch (2010). (intervention le 27 août, dans le cadre du meeting unitaire).
(5 septembre 2010)