À Vallée-Jonction,
le train a cessé de siffler depuis longtemps. Et maintenant, c’est le grondement de l’usine Olymel qui s’éteint, un bruit sourd et rassurant qui emplissait le ciel. Le village est à l’arrêt, inquiet, mais aussi aux aguets […] C’est l’heure de la pause, les travailleurs en profitent pour sortir. Andrée Rancourt fume une cigarette dans une petite tente aménagée à l’extérieur. La pluie tambourine sur son abri. À 60 ans, elle espérait conserver son emploi jusqu’à sa retraite, mais la fermeture a changé ses plans. Il me restait cinq ans. Ça ne sera pas facile de recommencer ailleurs, se faire d’autres amies.[…] Ici, chaque travailleur a son histoire, mais nombreux sont ceux qui partagent le même sentiment. Un mélange de rage et d’incompréhension face à la fermeture. Pourtant, les Beaucerons sont reconnus pour avoir la couenne dure, mais la nouvelle a eu l’effet d’un coup de massue.[…]
« Je l’ai appris aux nouvelles, c’est ce qui me choque le plus. On a l’impression que tout le monde le savait sauf nous », souffle un travailleur,[…] « Je devrai me trouver un autre emploi, je n’ai pas le choix, j’ai trois enfants. J’ai eu de la rage, un peu de découragement. Lors de l’annonce, plusieurs sont partis, ils devaient se défouler, j’en ai vu beaucoup pleurer. »[…] « Une fermeture aussi grosse, ça va amener des divorces, des maladies et même des suicides », affirme un autre travailleur, encore ébranlé.[…] Plusieurs couples vont perdre leur emploi au même moment, en décembre prochain, lors de la fin des activités de l’usine.[…] « Qu’est-ce qu’on va devenir ? On se couche et on a de la misère à dormir. J’ai une maison à payer, un char, j’ai une petite fille de six ans. »[…]
« En 2007, on a perdu presque 40 % de notre salaire et notre fonds de pension. Alors maintenant, ce n’est pas compliqué, plusieurs travailleurs doivent rester à l’ouvrage pour avoir une retraite décente », confirme le président du syndicat, Martin Maurice. Paul-Émile Turmel, 65 ans, ne souhaite d’ailleurs pas prendre sa retraite dès maintenant. « On a fait des concessions importantes. C’était une perte de 10 000 $ par année. C’était un gros effort que les travailleurs ont fait pour que les opérations continuent. C’est très décevant, tout ce qui se passe », lance celui qui œuvre depuis 45 ans à l’usine.M. Turmel l’admet. Le boulot est rude, souvent au froid. Un travail à la chaîne qui use, même les plus résilients. « Ce n’est pas n’importe qui qui peut travailler là. Il faut être fait fort », dit-il.[...]
Il y a toujours plus de 120 travailleurs étrangers, principalement de Madagascar et de l’île Maurice, qui travaillent pour Olymel. Le député fédéral de Beauce, Richard Lehoux, souhaiterait modifier leur contrat afin qu’ils puissent rester en Beauce et travailler pour un autre employeur ou dans un autre secteur que l’agroalimentaire. « Le dossier est complexe », nous a dit une source.
(Olivier Bourque et Bernard Leduc, En Beauce, on entend siffler le train, Radio-Canada, 8/05/23)
Voilà les dégâts humains de l’agro-industrie mue par une grande entreprise d’une petite nation dirigé par un gouvernement junior qui finit écrasée par la mondialisation. La fermeture de l’abattoir Olymel de Vallée-Jonction est une des plus importantes fermetures manufacturières au Québec ence début de siècle. On en revient pas comment elle a passé sous les radars de la gauche en comparaisondes fermetures précédentes :
Les grands vents de la mondialisation frappent de plein fouet la production du porc québécois
Loin du confort limité du marché national du lait encadré par les quotas, à partir des années 1980-1990, la production de porcs exposée aux grands vents du marché mondial devient « le 2e secteur agroalimentaire en importance au Québec.[…] À l’échelle internationale, le Québec se situe au 5e rang des principaux exportateurs pour les viandes réfrigérées et congelées, après l’Union européenne, les États-Unis, le Brésil et le reste du Canada. Le porc du Québec est exporté dans près de 80 pays » dont près de la moitié en Chine (Gouvernement du Québec, Élevage porcin (porc), mise à jour mars 2023). Sauf que « la peste porcine africaine (PPA) en Chine avec l’augmentation des différends commerciaux entre le Canada et la Chine a eu une grande incidence sur le marché canadien du porc »(Statistique Canada, Une analyse des problèmes récents auxquels est confrontée l’industrie porcine canadienne, 31/08/20)sans compter les perturbations de la pandémie puis l’impact de la guerre d’Ukraine (coût des intrants et fermeture du marché du porc russe). Au début 2023, les exportations de porc canadien vers la Chine continuaient de baisser :
Source:Financière agricole Canada (FAC), Perspectives de 2023 pour les secteurs bovin et porcin, 13/02/23
S’il y a une crise québécoise du porc malgréun marché mondial du porc en croissance de 5-6% l’an c’est que le Québec y est un joueur marginal. Olymel, filiale de la coopérative Sollio (anciennement la Coop fédérée) qui transforme 80% du porc québécois ne figure pas sur la liste de la vingtaine des plus gros transformateurs mondiaux (Mordor Intelligence, Croissance, tendances et prévisions du marché de la viande de porc (2023-2028), sans date). Comparée aux ÉU avec lequel le marché québécois du porc est associé, la plus petite ferme porcine québécoise est moins productive tout comme les usines d’Olymel. Le Québec tient le coup car le coût des intrants produits au Canada est 15% moins cher (The Economist, Our Big Mac index shows how burger prices are changing, 12/22) que ceux équivalents aux ÉU, alors que le porc québécois exporté se transige en dollars étatsuniens :
Le Canada est un gros exportateur de porcelets, de porcs et de viande de porc. Au Québec, environ 70 % de la production de viande de porc est exportée. Cela n’a pas toujours été le cas. Le Canada n’a pas toujours été un gros exportateur. Dans les années 1990, la production canadienne a pris un essor important suite à la création de l’Organisation Mondiale du Commerce, la mise en œuvre d’accord commerciaux régionaux avec les États-Unis, un dollar canadien faible et des efforts importants de consolidation dans l’industrie porcine.
La période 2000-2010 fut difficile à cause de la forte appréciation du dollar canadien, qui a mis au grand jour les problèmes de productivité et de coûts de main d’œuvre des transformateurs canadiens. À Yamachiche, en 2006, les travailleurs de l’abattoir Atrahan ont amorcé une grèvequi a duré plus de six mois. En 2007, Olymel a chargé l’ancien premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, de négocier des réductions salariales avoisinant 30 % pour les employés de ses usines !
(Bruno Larue, Grandeurs et misères du porc du Québec, Policy Options politiques, 6/05/23)
Au-delà des calculs dit rationnels, un employeur en rogne qui veut élargir son emprise
Pour se tenir la tête en dehors de l’eau, Olymel a quasi monopolisé la transformation du porc québécois entre autre en achetant une quatrième usine en Montérégie en 2019 (La Presse canadienne, Olymel ferme son usine d’abattage de Vallée-Jonction et coupe près de 1000 emplois, Les Affaires, 14/04/23). L’endettement de l’entreprise a crû en conséquence pendant que grimpait sa capacité de transformation alors que chutaient ses ventes. En a résulté la transformation de son profit en perte ces deux dernières années. Le profit-roi lui commandait de réduire sacapacité de transformation de 20% tout en augmentant son efficacité en fermant son usine la plus importante mais aussi la plus vétuste dans laquelle elle n’avait pas investi un seul sou de la subvention de 150 millions$ reçus il y a deux ans du gouvernement du Québec pour la mise à niveau de ses usines.
Après avoir fermé quatre petites usines de transformation secondaire (300 emplois) ces derniers mois, ce fut le tour à la mi-avril des quasi mille emplois de l’usine de Vallée-Jonction. On a beau entendre le raisonnement tout en chiffres de la direction d’Olymel, on ne peut faire autrement que de songer à la longue grève (4 mois) fort médiatisée de l’été 2021 où ces travailleurs essentiels qui subissaient de plein fouet les effets de la covid avaient résisté à l’alliance patron-gouvernement-médias, même aux manœuvres de leur direction syndicale en rejetant une première entente (Nathaëlle Morissette,Une entente de principe est intervenue, La Presse, 29/08/21). La réaction amère d’Olymel à cette entente (Vincent Pichard, Conflit Olymel : entre victoire et grosses pertes financières, Radio-Canada, 5/09/21) qui ne compensait pourtant en rien le recul de réduction salariale de 40% imposée en 2007 (Contenu commandité–CCQCA (CSN), Fermeture d’Olymel Vallée-Jonction : ne laisser personne derrière, Le Soleil, 29/04/23)—Tout au plus la hausse salariale égalisait l’inflation qui alors s’annonçait—laissait clairement voir l’envie d’en découdre.
La classe ouvrière n’est pas la seule à payer les pots cassés :
La région de la Beauce est celle où l’on retrouve le plus grand nombre de producteurs de porcs indépendants. Les producteurs « indépendants » sont ceux qui sont propriétaires de leurs bêtes et de leur ferme. Les éleveurs « intégrés » sont ceux qui sont propriétaires des bâtiments, mais dont les bêtes appartiennent à des intégrateurs comme Olymel. « Dans le coin ici, c’est ici qu’il y a le plus de petits éleveurs qui ne sont pas intégrés, alors sûrement qu’ils ont voulu nous couper l’herbe sous le pied [en fermant Vallée-Jonction] », pense Patricia Poulin.
(Daphné Cameron, « Je vois l’avenir comme une catastrophe »,La Presse, 22/04/23)
Selon le gouvernement du Québec, la région Chaudière-Appalaches compte le tiers des éleveurs de porc du Québec. Ces éleveurs devront se farcir une facture supplémentaire de plusieurs milliers de dollars chacun en frais de transport (Marie-Ève Fournier, André Dubuc, Daphné Cameron, Olymel ferme un abattoir de porcs, La Presse, 13/04/23). Il faut cependant avouer qu’une bonne partie de la facture pourrait être avalée par le contribuable par l’intermédiaire de l’assurance des revenus agricoles (ASRA). Le souque-à-la-corde entre Olymel et l’association Éleveurs de porcs du Québec aboutit à une « recette […] simple : on baisse le prix aux producteurs en deçà des prix nord-américains afin que les abattoirs puissent écouler la production à faible coût, et le gouvernement compense la différence aux producteurs, sans questions ni regard aux performances des abattoirs et de l’agence de vente »(Yan Turmine, Crise porcine, épisode 23…Et on se fie encore à l’argent du gouvernement, La Vie agricole, 9/05/23).
C’est ce principe qui sous-tend en plus compliqué le plan de rachat concocté par l’EVQ, avec l’aval de la Régie des marchés et de l’alimentation, lequel plan tentera surement maints producteurs indépendants de la Beauce (Daphné Cameron, « Les producteurs vont avoir un choix à faire », La Presse, 28/03/23).Même la CSN aurait voulu voir le contribuable-travailleur sauver la compagnie par la baisse du prix de vente de l’éleveur à Olymel, baisse ensuite dédommagé par l’ASRA qui assure un revenu à l’éleveur compensant le coût de production.
Les Solidaires renient leur programme et laissent tomber toute alternative écologique
Que propose la gauche politique comme solution ? Des larmes de crocrodiles plus l’éternelle solution de requalification :
« Mes pensées et ma solidarité vont aux centaines de travailleurs et de travailleuses qui perdent leur emploi aujourd’hui, deux ans après un investissement de 150 m $ d’argent public dans Olymel. Avant toute chose, Québec solidaire demande au gouvernement Legault de mettre en place un programme de requalification pour les travailleurs et les travailleuses mis à pied afin de leur permettre de retrouver un emploi le plus rapidement possible. Ils et elles méritent des opportunités structurantes dans des filières d’avenir, qui contribueront au dynamisme durable de la région », a-t-il [le député de Taschereau Étienne Grandmont] plaidé dans une déclaration écrite.
(Marie-ÈveMartel–Presse canadienne, La fermeture de l’usine d’Olymel est critiquée de toutes parts, La Presse, 14/04/23)
Québec solidaire aurait au moins pu réclamer des indemnités de cessation d’emploi car « pour l’instant, ce n’est pas l’intention du producteur de porcs, qui dit respecter la convention collective et le contrat de travail. Il y a toutefois encore des discussions avec l’employeur, nous a confirmé le syndicat. » (Olivier Bourque et Bernard Leduc, En Beauce, on entend siffler le train, Radio-Canada, 8/05/23). Et que dire d’au moins reprendre les propos du député Conservateur fédéral concernant les travailleurs temporaires. C’est là le minimum vital social-libéral. Mais surtout, surtout, le parti aurait pu dépoussiérer son programme qui dit que « les fermetures d’entreprise devront être étudiées et approuvées ou refusées par une instance gouvernementale[…] les obligeant à rembourser à l’État toute aide ou tout avantage déjà accordé [comme le 150 millions$, NDLR][…] obligera les employeurs [et non le gouvernement comme le demande le parti, NDLR] à se doter d’un plan pour reclasser les travailleuses et travailleurs licenciés dans un emploi similaire ou équivalent ; à fournir la formation requise pour requalifier les personnes licenciées qui n’ont pas pu se trouver un tel emploi et à indemniser substantiellement celles qui n’ont pas pu se trouver un emploi malgré les mesures précédentes. »
Encore plus loin, pour un parti se targuant d’être le champion de la lutte contre les émanations des gaz à effet de serre(GES), il y a l’occasion de prôner une alternative. Existe une organisation, la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ) qui voit une brèche vers cette alternative :
Pour amorcer ce changement, la CAPÉ propose que le programme d’Assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) soit remanié afin qu’il soutienne un plus grand éventail de productions agricoles.[…] « Il est dommage de constater qu’un programme initialement pensé pour maintenir des productions défavorisées économiquement par notre climat nordique et jugées nécessaires à notre souveraineté alimentaire soit aujourd’hui utilisé pour soutenir massivement une industrie d’exportation en déclin, pendant qu’on refuse d’offrir le même typed’appui aux fermes qui nourrissent nos communautés », a déclaré Léon Bibeau-Mercier, président de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique.
L’ASRA, tout comme la gestion de l’offre, a pourtant l’immense qualité d’inclure dans ses principes la juste rémunération du travail des fermier-ères dans le calcul du coût de production, rappelle la CAPÉ. Par conséquent, la CAPÉ juge qu’il est possible de transformer l’ASRA pour en préserver ses qualités et en faire le meilleur outil de transformation du modèle agricole vers des pratiques plus en phase avec les exigences environnementales et sociales des Québécois-ses. C’est d’ailleurs ce que proposait la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois (rapport Pronovost) ily a déjà 15 ans.
(La Vie agricole, Crise dans l’industrie porcine : l’opportunité d’un changement de cap, 8/05/23)
Cette restructuration de l’ASRA vers diverses productions maraîchères, oléagineuses et céréalières privilégiant l’alimentation directe des humains serait un grand pas en avant vers une alimentation plus végétarienne minimisant grandement les émanations de GES. Comme les cochons ne sont pas des ruminants produisant du méthane, leur nuisance climatique est bien moindre que celle du bœuf, de l’agneau et des fromages à poids égal et même que le riz en termes d’apport de protéines à poids égal (The Economist, A different way to measure the climate impact of food, 11/04/23). Une production à petite échellepour le marché domestique(le rôtide porc du dimanche)permettraitunépandage écologique du lisier dument traitétout en lissant une transition écologique du régime alimentaire pour laquelle la marche est haute.
Marc Bonhomme, 12 mai 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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