Critique radicale en voie de disparition
Année après année, même nos médias de masse et Le Devoir – celui-ci s’en distinguant de moins en moins – y vont d’une « douce critique » à l’égard du Noël contemporain. Selon eux, cette fête serait devenue bien plus une occasion de dépenser que d’être ensemble et festoyer.
Venant des « porte-paroles de l’ordre établi » en titre, admettons que ce genre de commentaire formulé sur la pointe des pieds relève davantage du constat quelque peu nostalgique que de la critique véritable, ceux-ci ayant d’ailleurs l’habitude de ne pas voir plus loin que le bout de leur nez. À vrai dire, ces médias sont à un point tel prisonniers de l’idéologie dominante, que leur moindre tentative de remettre en question les dérives du système en place est de facto niée par l’avalanche de pubs encombrant chacune de leurs pages. Disons qu’ils maîtrisent parfaitement l’art de dire une chose et son contraire dans la même page. Permettez la formule : ils sont carrément pris dans les sables mouvants de l’économie de marché.
Célébration du vide existentiel
Certains affirment avec cynisme que la Révolution tranquille n’aurait servi, au bout du compte, qu’à remplacer Dieu et ses illusions par cette surconsommation absolument débridée. Une telle réflexion, quoiqu’elle ne dise mot, par exemple, des indéniables avancées du féminisme et de certaines luttes sociales, semble avoir sa part de vérité. En effet, serait-il possible que la perte de repères qui frappe les temps présents ait été un terrain fertile pour le déploiement d’un « nouvel opium des peuples » ? Celui du règne sans contrepartie de la marchandise et des gadgets de toutes sortes !
À l’heure actuelle, nos démocraties (néo)libérales exaltent la liberté individuelle en tant que valeur suprême dans tous les coins de la planète. Dans les faits, la liberté dont ils font l’éloge tend de plus en plus à se réduire à celle – petite et médiocre – qui nous permet simplement de choisir entre quelques produits de consommation et de s’identifier à la marque de notre choix, aussi vulgaire soit-elle. Est-ce vraiment cette liberté que le peuple québécois a si férocement revendiquée ?
Noël sera ainsi le théâtre du vide existentiel d’une foule d’individus passés de la béquille de Dieu à la « béquille des choses ». Dans l’hypocrisie du temps des fêtes, les échanges de cadeaux seront ponctués de sourires faux et robotiques. Des parents tenteront maladroitement de démontrer tout « l’amour » qu’ils portent pour pour leurs enfants en les couvrant littéralement de marchandises. Plus ils les aiment (ou plus ils veulent compenser pour leur absence), plus ils mettront le prix. Et l’ostentation [1] ira bon train...
Mais d’où provient cette tyrannie du consommable ?
La logique capitaliste et le productivisme qui l’accompagne ont pour finalité l’accumulation infinie du capital, des richesses et des marchandises. En clair, ce système doit produire toujours plus pour survivre et poursuivre sur sa lancée. À notre époque, on le sait, son arme favorite est la publicité car elle crée pour lui de toutes pièces des nouveaux besoins qui façonnent nos vies. La « magie » de Noël est en quelque sorte le paroxysme [2] de cette folie sans fin. Le message est impératif : achetez ! Et voilà que les pantins du système répondent en grand nombre... Entendez-vous d’ici, le bruit que font toutes ces cartes de crédit ?
Il y a de ces vies absurdes dont la principale utilité semble être de faire rouler l’économie. Après tout, ne vit-on pas dans un monde où l’on doit constamment travailler plus ? Mais sauf erreur, l’objectif logique de l’humanité ne devrait-il pas être de continuellement réduire le temps de travail ? En cela réside peut-être l’un des nombreux scandales de la modernité.
Nos destins sont pourtant si intimement liés
Lors du Noël qui vient, tant d’autres choses échapperont à nos yeux fatigués, tant d’autres choses affreuses sombreront vaguement dans l’oubli.
On ne verra pas le travailleur de nuit obligé de faire fonctionner les machines d’une multinationale ou de servir les clients hautains d’un hôtel luxueux.
On ne verra pas la jeune femme qui se prostitue – triste symbole de la domination des hommes – dans le quartier Saint-Roch, à Québec.
On ne verra pas les parents qui doivent se justifier d’être pauvre devant leurs enfants. Ces derniers étant humiliés de ne pas avoir droit à ce que les gosses de riche n’hésiteront pas à vanter dès le retour en classe.
On ne verra pas ceux et celles qui préparent et profitent de la guerre en Afghanistan boire leur révoltante bouteille de champagne à 500$.
On ne verra pas non plus tous ces travailleurs chinois aliénés de la chaîne de montage abrutissante qui a produit et continue de produire nos si merveilleux gadgets.
Et que dire de l’irrémédiable saccage qu’une telle surconsommation implique pour nos écosystèmes...
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Dépêchez-vous ! Il ne vous reste plus que quelques jours pour faire vos emplettes ! Et n’oubliez surtout pas le 26, c’est le Boxing Day !
Source de l’image : http://www.actionconsommation.org/publication/ac-img/i3n.gif