Édition du 17 décembre 2024

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La Commune de Oaxaca ?

Oaxaca, 13 octobre 2006 — La ville de Oaxaca dans l’État du même nom au Mexique est une ville inhabituelle ces temps-ci. Il n’y a plus de police publique dans la ville, les prisons municipales ont été vidées, des stations de radios ont été capturées et le gouvernement de l’État a été expulsé. C’est un état de fait qui rappelle quelque peu la Commune de Paris, bien qu’il y ait des différences notables, la principale étant que le degré de violence a, pour l’instant, été limité. La divulgation récente du plan Opérations de Fer laisse cependant planer le doute sur les intentions de dialogue du gouvernement de Vincente Fox.

Le bras de fer actuel avec le gouvernement de l’État a débuté dans les jours après le 14 de juin 2006 lorsque les forces policières spéciales sont intervenues la nuit pour déloger les enseignants de la section XXII du Syndicat national des travailleurs de l’éducation qui occupaient pacifiquement la place de ville depuis le 21 mai pour demander un meilleur soutien aux élèves - déjeuners, uniformes, matériel scolaire et services médicaux - et un salaire équivalent à leur collègues du district fédéral de Mexico. Il y a eu quatre avortements, plus de 200 blessés et possiblement des morts, qui demeurent invérifiables.

Le lendemain, les mouvements sociaux de la ville et de l’État ont mis sur pied l’APPO, l’Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca, avec pour principale demande la destitution de Ulises Ruiz Ortiz, le gouverneur de l’État de Oaxaca, pour son rôle dans les évènements du 14 juin. Le mouvement, qui regroupe plus de 300 organisations communautaires, syndicales, indigènes, étudiantes et de paysans, accuse aussi le gouverneur de fraude électorale, de patronage, de corruption et de détournement de fonds à des fins personnelles et politiques.

L’APPO a littéralement constitué un gouvernement de facto dans le ville, tissant des alliances avec des syndicats de travailleurs pour les fonctions essentielles, organisant des patrouilles de citoyens armés de bâtons dans chaque quartier pour garantir la sécurité, rendant même justice de manière spontanée au centre ville pour les vols et autres délits mineurs. Les stations de radio capturées servent enfin à informer la population. Reste que le mouvement pacifique ne s’est pas aventuré à organiser une résistance armée ou à percevoir des impôts. Mais l’oppression gouvernementale requiert une certaine organisation de la sécurité intérieure.

Les incursions nocturnes des « escadrons de la mort », des forces policières ou privées liées au régime, ont obligé l’APPO à se défendre en érigeant des barricades dans la ville. Il y a en temps normal 1500 barricades - environ 2500 en temps d’alerte rouge - allant de quelques pierres empêchant les véhicules de circuler à des autobus placés en travers de la rue avec des enseignants ou supporters de l’APPO qui tiennent la garde. Dans la journée, la plupart des barricades sont levées pour permettre la circulation. Le Zócalo, la place de ville, est, pour sa part, occupé en permanence.

Photo de Hinrich Schultze
Des supporters de l’APPO gardent une barricade de nuit à la périphérie de la ville de Oaxaca.

La ville de Oaxaca, une ville habituellement touristique, éprouve cependant des difficultés. L’économie a souffert un dur coup, et cela se reflète en discutant avec la population. Les milieux d’affaires chiffrent à quelques 300 millions de dollars les pertes économiques subies à Oaxaca. La population semble néanmoins appuyer le mouvement de résistance et même ceux qui chignent pour leur portefeuille n’hésitent pas à exprimer leur dégoût pour le gouverneur, ou du moins leur distance. Seuls quelques commerçants hauts placés semblent vraiment encore appuyer le gouverneur, mais leur tentative de fermer les portes les 28 et 29 de septembre pour protester a échoué, car la plupart des commerces, plus de 95%, sont restés ouverts.

La stratégie gouvernementale, qu’on peut qualifier de répressive, n’aide pas la cause des autorités publiques. Depuis les évènements du 14 de juin, au total huit personnes ont été tuées dans l’État de Oaxaca. Selon Florentino López Martínez, porte-parole de l’APPO, il y a cependant probablement eu d’autres morts, mais le gouvernement limite l’accès à l’information permettant de confirmer les décès. Il y a aussi eu cinq séquestrations illégales, et le porte-parole de l’APPO ajoute que, selon ses informations, tous ont été torturés.

Le cas le plus récent est celui du leader étudiant Francisco Pedro García García kidnappé le 1er octobre près de la cité universitaire de l’Université autonome Benito Juárez de Oaxaca par deux hommes armés. Ce dernier a été libéré sous caution le 8 octobre. Le périodique Noticias du 9 octobre rapporte images à l’appui des marques de torture. Le leader étudiant mentionne aussi des menaces sur ses proches de la part des polices militaires.

Le mouvement populaire reste néanmoins déterminé et persiste dans sa protestation depuis maintenant près de cinq mois. Preuve de la détermination de l’APPO, une marche de plus de cinq mille personnes a quitté Oaxaca le 22 septembre pour se diriger vers la capitale, à plus de 420 kilomètres de la ville. La marche est arrivée le 9 octobre pour porter devant le Sénat les principales demandes du mouvement, la destitution de Ulises Ruiz Ortiz et la démilitarisation de la région de Oaxaca. Les marcheurs ont depuis établi un campement improvisé devant le Sénat pour faire pression sur le gouvernement fédéral à Mexico.

La possibilité d’une intervention militaire à Oaxaca

Le gouvernement fédéral augmente graduellement la pression sur la ville gouvernée de facto par l’APPO. Le 30 septembre, plusieurs hélicoptères de la marine mexicaine et quelques avions survolaient la ville à basse altitude. Les forces de la Police fédérale préventive, une unité en réalité para-militaire, ont été envoyées dans plusieurs localités de la région et semblent prêtes à intervenir, si le président Fox donne son appui aux demandes incessantes du gouverneur en ce sens. On estime à 20 000 le nombre de militaires, para-militaires et policiers dans l’État, la plupart étant dans les villes de Salina Cruz et Huatulco.

Ajoutant aux craintes d’une intervention militaire, le quotidien La Jornada a divulgué le 7 octobre copie d’un plan intitulé Operaciones Hierro, Opérations de Fer. Le plan de la Direction générale de la Sécurité Publique de l’État de Oaxaca prévoit l’envoi de 2 044 effectifs policiers pour récupérer les postes de radiodiffusion, les édifices gouvernementaux et la Place de la Constitution. Le document, selon La Jornada, prévoit également « la détention massive et l’incarcération fast-track des manifestants. »

Bien que la possibilité d’une intervention militaire n’est pas à exclure, il est sûr qu’une telle action risquerait de susciter encore davantage de résistance, et possiblement des soubresauts ailleurs au Mexique. Dans l’État de Oaxaca, outre la capitale, d’une population de 265 000 personnes, Florentino López Martínez pouvait identifier onze autres localités, la plupart des villes de moyenne envergure, totalisant un autre 330 000 personnes, où la situation est similaire à celle de la ville de Oaxaca. La population de la capitale et de ces localités représentent plus de 65 % de la population des principaux centres de l’État de 3.5 millions d’habitants.

À l’extérieur de l’État, plusieurs autres sections du syndicat des enseignants, et des mouvement sociaux divers, ont donné leur appui à la cause des enseignants et de l’APPO. Le sous-commandant Marcos a pour sa part déclaré que « Oaxaca est une urgence, mais aussi un exemple à suivre. » D’autres voix, comme celle de l’évêque Raúl Vera de Saltillo, remarquent pour leur part que le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), le parti de Ulises Ruiz Ortiz, ne devrait pas mettre ses intérêts au-dessus de ceux de la nation. Quant aux figures politiques, le coordonnateur du Parti de la révolution démocratique (PRD) au Sénat, Carlos Navarrete, affirmait récemment que le gouverneur devrait démissionner. Reste à savoir si le Parti de l’action nationale (PAN) saura convaincre le PRI, son allié parlementaire, de sacrifier son protégé pour trouver une issue pacifique au conflit à Oaxaca. Entre temps, l’APPO tient tête, tant bien que mal, au gouvernement

Mots-clés : International Mexique

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