tiré de L’INFOLETTRE DE FUGUES # 660 - 2 octobre 2017
Denis Daniel Boullé
DHC/ART Fondation L’Offre
Sur le principe d’écriture inclusive, tout le monde ou presque est d’accord. Mais voilà, si le consensus est relativement simple à atteindre, c’est une autre paire de manches quand on décide de l’appliquer. Les difficultés ne cessent de s’accumuler et les propositions pour les résoudre divergent.
Et nous, petits journalistes voulant faire notre part, nous serions sommé.-/(e)s de résoudre la quadrature du cercle en étant inclusifs sans pour autant que la clarté et la lisibilité de nos écrits n’en soient affectées. Joli défi !
Une lectrice attentive me signalait il y quelques mois ma tendance à écrire « certains et certaines », ou encore « ceux et celles », renvoyant le féminin à la seconde place, le subordonnant ainsi à la primauté du masculin. Je faisais preuve d’une inclusion mais encore trop hiérarchisée à son goût.
Graphiquement, le jeu se complique. On a tous lu ces graphies signalant le féminin, un léger fouillis d’ajout de signes, chacune et chacun jouant de ses propres règles. Doit-on écrire les immigrant-es, les immigrant.e.s, les immigrant(e)s, les immigrant/e/s, ou les immigrantEs pour bien signifier que les femmes sont incluses dans ce groupe ci-dénommé ? Je n’aime pas trop l’utilisation du E majuscule, impossible à ne pas remarquer. Ce E ostentatoire, qui dépasse d’une tête les autres lettres me fait l’effet d’un surli-gnage à teneur condescendante. Une soumission légèrement ironique au politiquement correct, du style : Regardez ! Nous avons bien fait nos devoirs d’inclusion ! Lisez bien, les femmes ! On ne vous a pas oubliéEs !
Le jeu se complexifie pour les noms et les adjectifs dont le genre se décline autrement que par l’ajout du e salvateur. Comment en parlant de vous, lecteurs, signaler que nous incluons les femmes parmi vous ? Doit-on écrire les lectrices et les lecteurs de Fugues ? La séparation en deux groupes distincts – tant pis pour les non-binaires – est heureuse, surtout quand votre humble serviteur est payé au mot. Mais en matière de lecture fluide, on repassera. À moins qu’avec le temps, l’habitude se prenne et que l’on ne s’en étonne plus. On pourrait écrire lecteur(trice), mais beaucoup de femmes n’aiment pas ses parenthèses qui, symboliquement, les mettent… entre parenthèses. Ou encore lecteur/trice. Et bien évidemment, j’entends déjà les objections quant à cette configuration où les femmes seraient, encore une fois, au second plan, réduites à un simple suffixe aussi féminin soit-il. On reprend notre copie et décidons d’écrire alors lectrice/teur, joueuse/eur.
Si au pluriel, les déterminants sont épicènes (incluant de facto le masculin et le féminin), et qu’il devient facile donc d’écrire des ou les lecteur/trices, le problème resurgit au singulier. Doit-on écrire le(la) lecteur(trice), un/une lecteur/trice ? La question est posée. Mais dans tous les cas de figure, cela ne simplifie pas la tâche du/de la journaliste ou du/de la rédacteur/trice, et des correctrices/teurs. À moins d’écrire : la tâche de l’équipe de rédaction et de révision des textes. Petite astuce pour éviter de se prendre trop la tête.
Il en va de même avec les accords. Une vieille règle, qui a été abandonnée de force en France par ceux (et là, pas de celles) en charge des normes du bon usage la langue française, voulait que l’accord du genre soit de proximité. Quatre gais et une lesbienne sont venues à la réunion. Le dernier élément du groupe sujet prévalait sur les précédents pour déterminer l’accord du genre. Des académiciens et des grammairiens – que des hommes – ont, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, travaillé pour imposer le masculin comme l’emportant sur le féminin, faisant même disparaître la forme féminine de titre ou de profession, comme philosophesse par exemple, attesté il y a bien longtemps comme tout à fait correct.
Bien sûr, actuellement, il semblerait que l’écriture inclusive complique plus qu’elle n’aide celle ou celui qui écrit, d’autant que malheureusement, le français n’a pas, comme dans d’autres langues, un genre neutre nous évitant bien des écueils, et bien des critiques de la part de nos lectrices/teurs. Et chacun d’y aller de ses propositions graphiques plus ou moins, et parfois pas du tout, partagées par la majorité du lectorat (lectorat, autre astuce pour éviter une autre prise de tête avec lecteur et lectrice).
Pour être complètement et totalement inclusif, il ne faudrait pas oublier celles ou ceux qui ne se reconnaissent ni dans un genre ni dans l’autre. Il m’est arrivé de lire dans un programme LGBTQ, une mini-bio d’une personne qui utilisait un pronom de son propre cru : Iel, un amalgame du il et du elle. Iel voulait ainsi souligner qu’iel ne se reconnaissait ni dans le genre féminin, ni dans le genre masculin. Iel aurait ainsi la valeur d’un troisième genre ou pourrait être le premier pas vers un genre neutre.
Pour mieux cerner tous ces enjeux, un livre vient de sortir Grammaire non sexiste de la langue française (M Éditeur) et dont je me suis inspiré pour écrire cette chronique. Les auteur.e.s, Michael Lessard et Suzanne Zaccour, exposent clairement la problématique et proposent des astuces pour une écriture plus inclusive. Pour eux (ou pour elles, ou pour elle et lui), il suffit de s’y attaquer.
Nous sommes conscient./-(E)s au magazine des enjeux que cela représente mais nous faisons face – tout comme les autres médias – à une absence de norme, à une absence de volonté politique et donc à une absence de solution. Alors on continuera à jouer avec les signes de ponctuation pour marquer le féminin, certains que l’on finira tôt ou tard par s’y habituer :)
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