Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Écosocialisme

L’écosocialisme, une stratégie pour notre temps

Nous publierons dans les prochaines semaines le dossier des NCS sur l’écosocialisme

Alors qu’une COP 27 décevante vient de prendre fin et qu’une COP 15 sur la biodiversité est sur le point de s’ouvrir à Montréal, il est plus que jamais nécessaire d’affirmer que sans rupture avec le capitalisme, il n’ya aura jamais de transition écologique ou bien de sauvegarde de la biodiversité. Est-ce à dire que les écosocialistes doivent de croiser les bras et attendre le grand soir ? Non, pas du tout. Dans le dossier « L’écosocialisme, une stratégie pour notre temps » que nous publions dans le no. 28 des Nouveaux Cahiers du socialisme (NCS), nous soumettons les éléments d’une action politique visant à mobiliser les classes populaires et tous les progressistes dans une lutte, ici et maintenant, pour une profonde transformation sociale. Ce dossier n’est qu’un début, inévitablement incomplet. Nous vous invitons à débattre avec nous d’une stratégie pour répondre aux défis de notre temps. Nous publierons sur Presse-toi à gauche ! les différentes contributions du dossier des NCS intitulé, "L’écosocialisme, une stratégie pour ntore temps". Écrivez vos commentaires, envoyez-nous des réflexions que vous inspirent ces textes.

Roger Rashi

https://www.cahiersdusocialisme.org/ecosocialisme-une-strategie-pour-notre-temps/

Il y a 11 ans, les Nouveaux Cahiers du socialisme publiaient un numéro intitulé Écosocialisme ou barbarie ! [1] Pourquoi, donc, sortir un autre numéro sur l’écosocialisme à l’automne 2022 ?

L’aggravation de la crise globale du capitalisme, avec en prime une situation climatique qui frise la catastrophe, rend la proposition écosocialiste plus urgente que jamais. En 2011, la crise financière était à peine vieille de trois ans et les politiques d’austérité commençaient à s’imposer partout sur la planète. Aujourd’hui, de multiples crises – économique, sociale, sanitaire, climatique – s’imbriquent et s’aggravent mutuellement au point où les économistes nous préviennent qu’une période de stagflation (stagnation économique et inflation) nous pend au nez et les virologues que d’autres pandémies sont tapies dans l’ombre.

Il y a 11 ans, des analystes marxistes aussi avertis que Sam Gindin et le regretté Leo Panitch nous disaient que l’économie chinoise s’apprêtait à intégrer le capitalisme global dominé par les États-Unis et, qu’en conséquence, les crises du système proviendraient dorénavant des contradictions économiques et sociales au sein des États et non plus des contradictions entre États [2]. Aujourd’hui, nous voyons le retour des tensions géopolitiques entre grands blocs rivaux, les États-Unis et leurs alliés d’un côté, l’axe Chine-Russie de l’autre, la récurrence des guerres par procuration, l’Ukraine en ce moment, et le danger accru de conflit nucléaire.

En 2011, plusieurs analystes de gauche se plaignaient du peu de résistance populaire au néolibéralisme en crise depuis 2008. Nous assistons à un changement important depuis une décennie alors que nous avons vécu au moins deux grandes vagues de révoltes populaires mondiales : dès 2010, le Printemps arabe et les grandes révoltes contre l’austérité en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord, dont notre Printemps érable, en Amérique latine. À partir de 2019, une deuxième grande vague se manifeste : par la mobilisation mondiale de la jeunesse contre les changements climatiques, les luttes populaires contre la droite en Amérique du Sud, au Chili, en Argentine, en Bolivie, en Colombie, et l’important mouvement antiraciste et anti-Trump de Black Lives Matter aux États-Unis.

De nos jours, la discussion publique à gauche ne porte plus sur l’absence de résistance populaire au néolibéralisme, mais plutôt sur les moyens stratégiques et tactiques pour que ces multiples révoltes puissent aboutir à de réelles transformations systémiques.

L’écosocialisme, une question de lutte pratique

La situation actuelle nous amène à centrer ce numéro sur la question de la stratégie, c’est-à-dire sur la lutte politique pour un socialisme écologique et libérateur. Non pas que l’exploration théorique et programmatique de cette société nouvelle soit terminée. Non pas que les questions politiques soient toutes clarifiées. Non pas que l’hypothèque attachée au terme de « socialisme » après les échecs du XXe siècle soit levée. Non, il y a encore fort à faire sur toutes ces questions.

Cependant, le débat théorique ne se pose plus comme en 2011. Aujourd’hui, c’est devenu une question pratique, une question de luttes sur le terrain, car, depuis 2011, les initiatives écosocialistes politiques et sociales se multiplient.

En 2012, Jean-Luc Mélenchon, alors candidat du Front de gauche aux élections présidentielles françaises, proposait de lier luttes écologiques et luttes sociales dans une vision de rupture avec le capitalisme et le productivisme afin de promouvoir une planification écologique démocratique radicale. Il a appelé « écosocialisme » cette nouvelle synthèse du socialisme et de l’écologie et l’a intégrée dans son programme électoral [3]. Avant l’élection présidentielle suivante, en 2017, Mélenchon a récidivé. Alors qu’il était au moment le plus fort de sa période « populiste de gauche », il a néanmoins conclu sa brochure, L’ère du peuple, par un appel éloquent et puissant : « Nous proposons un nouvel énoncé de la stratégie émancipatrice pour le futur de l’humanité. Cette nouvelle conscience et son programme d’action sont l’écosocialisme [4] ». En 2022, Mélenchon remportait 22 % des votes aux élections présidentielles et un remarquable 26 % aux élections législatives, à la tête d’une alliance de gauche, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), configurée et menée par son parti La France insoumise. En place de choix au programme de cette alliance, devenue la principale opposition en France : la planification écologique et démocratique, héritée des programmes écosocialistes des années précédentes.

En 2019, Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, l’égérie de Democratic Socialists of America (DSA), lancent le Green New Deal (GND) qui devient rapidement la revendication phare de la nouvelle gauche socialiste étatsunienne [5]. Bien que lancée au Congrès des États-Unis, et donc relativement limitée au départ, cette revendication antinéolibérale peut relier les luttes sociales et climatiques et préfigurer l’écosocialisme, comme le font remarquer les Autochtones radicaux du collectif Red Nation [6]. L’intellectuelle et militante bien connue, Naomi Klein, ne s’y trompera pas : elle affirme dans son livre On Fire. The Burning Case for a Green New Deal que le GND proposé par les jeunes socialistes américains exprime l’aspiration à une vision écosocialiste et démocratique, aux antipodes du vieux socialisme industriel et autocratique de l’Union soviétique [7].

Les mouvements sociaux ne sont pas en reste. Alors qu’en 2011, les plus à gauche affirmaient qu’il fallait « changer le système, pas le climat », l’idée se précise aujourd’hui d’un anticapitalisme assumé souvent suivi d’un appel à l’écosocialisme.
Ainsi la Cooperation Jackson, un mouvement de coopératives d’habitation et de production, dans la ville à majorité afro-américaine de Jackson au Mississippi, s’affiche-t-elle ouvertement non seulement comme antiraciste, anticoloniale et antipatriarcale, mais aussi comme socialiste et écologique [8]. Il en est de même du collectif autochtone Red Nation qui n’hésite pas dans son manifeste Red Deal [9] à se réclamer de la lutte de libération des Autochtones et de l’écosocialisme. Il prône l’appui au Green New Deal, mais aussi son dépassement vers un Red Deal qui non seulement donne la priorité à la libération des Autochtones, mais aussi à une position de gauche révolutionnaire susceptible de créer des alliances populaires contre les classes dominantes.

Le mouvement des grèves étudiantes et de la jeunesse lancé avec éclat par la jeune militante suédoise Greta Thunberg connaît un développement similaire. Les grèves de l’automne 2019 ont mobilisé six millions de participantes et participants dans le monde, dont une manifestation monstre de 500 000 personnes à Montréal. Depuis, Greta et son mouvement Fridays for Future (FFF) ont constamment radicalisé leurs positions. Les dénonciations du capitalisme, du colonialisme et du racisme sont maintenant explicites dans les appels à reprendre les grèves à l’automne 2022 [10]. Plusieurs militantes et militants de FFF membres de différentes sections nationales européennes se sont joints à des initiatives telles que les Rencontres écosocialistes de Lisbonne. Ces dernières ont donné lieu au lancement d’une revue écosocialiste en ligne, Fight the Fire, à laquelle participe le militant et théoricien écosocialiste Andreas Malm [11].Cette nouvelle publication veut diffuser les idées écosocialistes dans le mouvement international pour la justice climatique.

Parallèlement, les idées écosocialistes ont souvent un ancrage solide et ancien dans les luttes populaires, ouvrières et paysannes du Sud global. En 2009, lors du Forum social mondial à Belém au Brésil, s’est tenue une rencontre internationale d’écosocialistes où fut adoptée le Déclaration écosocialiste de Belém [12] avec un fort contenu anti-impérialiste et décolonial, et ce, en présence de nombreux militants et militantes du Brésil et de l’Amérique latine. Au Brésil, l’influence écosocialiste se fait sentir dans des mouvements sociaux aussi influents que le Mouvement des sans-terre, les mouvements pour les droits territoriaux des peuples autochtones et contre l’extractivisme, ainsi qu’au sein des partis politiques comme le PSOL (Partido Socialismo e Liberdade, le Parti socialisme et liberté).

En Afrique du Sud, les idées écosocialistes se développent depuis 2011 dans les syndicats militants et les organisations populaires. Depuis deux ans, un mouvement de convergence de 260 organisations a permis la mise sur pied d’un vaste projet critique du capitalisme vert et de l’écoblanchiment gouvernemental, Climate Justice Charter (CJC) [13]. Le CJC appelle à une transition démocratique populaire. Des militants écosocialistes participent à la direction du mouvement. Ce ne sont que quelques exemples d’un courant qui prend sans cesse de l’ampleur dans maints pays en développement.

La nécesssité d’un écosocialisme mobilisateur et fédérateur

La nécessité d’une alternative globale et radicale au capitalisme crève les yeux. Les Nations unies, par la voix de leur secrétaire général, s’épuisent à dénoncer la dérive climatique et les catastrophes pour l’humanité qui en résultent. Les scientifiques du GIEC [14] tirent la sonnette d’alarme et préviennent que des transformations sont urgentes et nécessaires si l’on veut éviter l’irréparable. Des écologistes connus tel le biologiste David Suzuki martèlent qu’une action radicale s’impose. La question de la transition est sur toutes les lèvres : transition énergétique, écologique, technologique, verte, c’est la question de l’heure.

Loin de faire la fine bouche face à la question de la transition, que certains considèrent comme une compromission avec les tenants du système, nous y voyons au contraire l’occasion de réaffirmer la nécessité d’une transition antisystémique et de transformer cette perspective en revendication agissante et mobilisatrice sur le terrain des luttes de classes et populaires.

Pour ce faire, nous tenterons de clarifier dans ce dossier certains des grands éléments de la stratégie écosocialiste. Nous l’avons divisé en trois grandes sections : Théorie, Débats stratégiques, Luttes et résistances.

La section Théorie explore les principes qui guident notre action à l’aide de quelques textes de penseurs socialistes étatsuniens inédits en français. Si les lectrices et lecteurs francophones connaissent bien Michael Löwy et Daniel Tanuro, ils n’ont peut-être pas lu d’auteurs écosocialistes étatsuniens. Nous saisissons l’occasion pour présenter Nancy Fraser, autrice marxiste féministe de grande valeur, qui expose une vision intersectionnelle de l’écosocialisme et démontre la capacité fédératrice de ce projet. Une entrevue avec John Bellamy Foster, un théoricien remarquable du socialisme écologique marxiste, nous donne un aperçu des contributions de l’école dite de « la rupture métabolique » à une conception révolutionnaire et anti-impérialiste de l’écosocialisme. Ce socialisme du XXIe siècle a relancé les recherches sur la planification démocratique et la mise sur pied d’une nouvelle structure technologique respectueuse de la nature, autrement dit sur la transformation révolutionnaire des rapports sociaux et des forces productives.

Simon Tremblay-Pepin nous présente deux articles (de Fikret Adaman et Pat Devine ainsi que d’un groupe d’universitaires québécois) touchant les débats sur les modèles de planification démocratique de l’économie et l’importance d’y intégrer la question environnementale. En dernier lieu, Jonathan Durand Folco nous rappelle que l’attention accordée aux questions stratégiques ne peut se faire au détriment de l’éthique et des valeurs, comme la bienveillance, l’honnêteté, la coopération, la transparence, utiles à la construction des mouvements sociaux et à l’élaboration d’un projet socialiste, inclusif, démocratique et émancipateur.

Une entrevue de David Camfield, menée par Donald Cuccioletta, ouvre la section Débats stratégiques. L’intellectuel manitobain réaffirme le premier grand principe de la stratégie écosocialiste : la transformation profonde de la société exige un mouvement de masse et une stratégie de transition antisystémique. Dans l’article « Pour résoudre le dilemme de Greta », Louis Desmeules et Jean-Luc Filion expliquent que le mouvement des grèves climatiques de la jeunesse est arrivé à la même conclusion : il faut rompre avec le capitalisme si l’on veut sauver la planète. Une fois cela dit, de quel mouvement avons-nous besoin ? René Charest parcourt les trois derniers livres du penseur radical Andreas Malm qui, à l’aide de formules-choc telles que le besoin d’un léninisme écologique, remet en question le pacifisme réformiste de l’écologisme dominant et affirme que le mouvement doit adopter une stratégie d’actions de masse radicales, seules susceptibles de fédérer les classes populaires dans leur affrontement avec les classes dominantes.

Qu’en est-il de l’outil politique de la lutte pour l’écosocialisme ? La forme « parti » est-elle toujours adéquate ? Dans un mini-dossier intitulé « Les contradictions de Québec solidaire dans la lutte aux changements climatiques », deux membres de Québec solidaire, parti comparable aux formations de « nouvelle gauche » apparues ces quinze dernières années en Occident, relatent les détails des luttes internes pour que Québec solidaire adopte une vision de la transition écologique qui est anticapitaliste et ouverte sur l’écosocialisme. Jennie-Laure Sully nous rappelle ensuite que l’écosocialisme est de par sa nature une lutte anti-impérialiste et internationale. Elle met en garde contre toute forme d’occidentalocentrisme et invite à se reporter aux écrits et aux luttes émanant des peuples qui vivent en périphérie des États impérialistes.

Luttes et résistances, la dernière section de ce dossier, dresse le bilan de luttes menées sur le terrain et en tire des leçons. Cela va du mouvement international pour la justice climatique après la COP26 au récit critique de trois mobilisations écologiques ici même au Québec et à une réflexion d’une éducation populaire anticapitaliste et écosocialiste. Suit une version française condensée de l’introduction du livre manifeste « Le Red Deal : une action autochtone pour sauver la Terre » produit par le collectif autochtone radical The Red Nation. Ce document a malheureusement très peu circulé au Québec et il nous apparaît pertinent de remédier à cette lacune.

En guise de conclusion

Nous soumettons ce dossier sur l’écosocialisme à la réflexion et à la critique des militantes et militants du Québec. Nous espérons avoir l’occasion d’en discuter plus profondément dans un avenir rapproché selon des modalités à établir. Nous sommes très conscients du fait que ce dossier reste incomplet. Des questions aussi cruciales que la décroissance, l’écoféminisme, l’action écologique dans le mouvement syndical, la question nationale québécoise et l’environnement sont peu ou pas abordées. Ce dossier n’est qu’un début. Nous nous engageons à continuer le combat pour élaborer une stratégie écosocialiste pour notre temps.


[1Nouveaux Cahiers du socialisme n° 6, automne 2011.

[2Leo Panitch et Sam Gindin, The Making of Global Capitalism. The Political Economy of American Empire, New York, Verso, 2012, p. 19-21.

[3Jean-Luc Mélenchon, La règle verte. Pour l’éco-socialisme, Paris, Bruno Leprince/Café république, 2013.

[4Jean-Luc Mélenchon, L’ère du peuple, Paris, Fayard, 2016, p. 118.

[5Voir Donald Cuccioletta et Roger Rashi, « Un Green New Deal radical : la revendication-phare de la gauche socialiste américaine », Presse-toi à gauche, 1er septembre 2020.

[6Voir dans ce numéro des NCS l’article «  Le Red Deal  : une action autochtone pour sauver la Terre » par The Red Nation.

[7Naomi Klein, On Fire. The Burning Case for a Green New Deal, Toronto, Knopf Canada, 2019, p. 258-260.

[8Voir Cooperation Jackson, <https://cooperationjackson.org> .

[9Voir « Le Red Deal », op. cit.

[10Fridays For Future, On September 23rd, we will strike for climate reparations and justice, <https://fridaysforfuture.org/september23/

[11Fight The Fire, Ecosocialist Magazine, <https://www.fighthefire.net> .

[13Climate Justice Charter Movement,
<https://cjcm.org.za/media/posts/3d0...>

[14GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

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