Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

L'État : patron et législateur

Retour sur l’histoire des négociations dans le secteur public

Stéphane Gill est enseignant d’informatique au Collège Ahuntsic, militant syndical et est ingénieur en informatique de formation.

Au fil des ans, les négociations des conventions collectives des secteurs public et parapublic ont clairement démontré l’affaiblissement progressif du pouvoir syndical. C’est dans ce contexte que les employés de l’état auront bientôt à se mobiliser dans le cadre du renouvellement de leurs conventions collectives. Pour cela, une réflexion s’impose et des stratégies syndicales innovatrices doivent être mises en place.

Les négociations dans les secteurs public et parapublic avec le gouvernement québécois occupent une place importante dans l’histoire du mouvement syndical. En effet, dans les années 60, on assiste à la syndicalisation massive des employés de l’État. La syndicalisation rapide et presque complète des services publics change le visage des centrales syndicales. L’intégration des nouveaux syndiqués ne se fait pas sans débat et sans modification de l’orientation des centrales. Selon certains, l’arrivée des travailleurs dans les centrales, composées principalement d’ouvriers de métier et d’usines, va contribuer à politiser le mouvement syndical.

Au début des années 60, « La reine ne négociait pas avec ses sujets » selon le premier ministre Jean Lesage. Il faut attendre 1965, pour que la Loi de la fonction publique accorde aux fonctionnaires les droits d’association, de négociation et d’affiliation à une centrale syndicale, ainsi que le droit de grève.

1964-1968 Première ronde de négociation

Durant cette première ronde de négociation les syndiqués des secteurs public et parapublic font des gains importants. L’objectif de cette négociation vise le rattrapage salarial et une amélioration significative des conditions de travail, de beaucoup inférieurs à celles du secteur privé. En 1964, après 2 mois et demi de grève, les employés de la Régie des alcools obtiennent des hausses de salaire de 31% ainsi que la sécurité d’emploi pour les employés de bureau. Les employés des hôpitaux obtiennent des hausses de salaire de l’ordre de 15% à 20% sur deux ans. Après une menace de grève en 1966, les fonctionnaires obtiennent la sécurité d’emploi pour tous les employés et la formule Rand.

La formule Rand est une clause de convention collective qui permet à un syndicat qui représente des salariés dans une unité d’accréditation, d’exiger que l’employeur prélève à la source les cotisations syndicales de manière obligatoire à l’ensemble des employés de cette accréditation (membres ou non du syndicat). Il faudra attendre 1977 pour que la formule Rand soit partie intégrante du Code du travail.

En février 1967, la loi 25 enlève le droit de grève aux enseignants pour leur imposer la première convention collective provinciale. Pourquoi le droit de grève est-il retiré aux enseignants et non aux autres employés de l’État ? Une grève des enseignants aurait-t-elle plus d’impact que l’on pourrait l’imaginer à prime abord ?

1968-1971 Deuxième ronde de négociation

En mars 1968, les travailleurs de l’État entreprennent une seconde ronde de négociation. Le gouvernement impose un cadre budgétaire qui fixe l’augmentation de la masse salariale du secteur public à 15% sur 3 ans. Ces augmentations de salaire permettent d’aligner les salaires du secteur public à ceux du secteur privé. Au cours des négociations avec les différents syndicats, le gouvernement ne déroge pas de son cadre budgétaire. Les différents syndicats réalisent rapidement qu’ils sont divisés face à un employeur unique qui peut, entre autres, enlever le droit de grève et le droit de négocier. En août 1967, pour faire face à une partie patronale de plus en plus intransigeante, l’idée de former un front commun des centrales syndicales pour les prochaines négociations dans le secteur public fait consensus.

Le front commun de 1972

En janvier 1972, après de longues négociations, la CSN, la CEQ et la FTQ s’entendent pour former un front commun des 200 000 syndiqués des secteurs public et parapublic. Les objectifs de cette négociation sont l’amélioration des salaires et des avantages sociaux ainsi que la sécurité d’emploi complète ; apparaîtra alors une revendication perçue par l’ensemble des médias comme éminament politique : le 100$ minimum par semaine. Les réclamations salariales seront un peu moins importantes pour les hauts salariés de l’État afin de permettre un niveau de vie décent à leur camarades du bas de l’échelle. Le gouvernement reprend quant à lui les grandes lignes du cadre budgétaire de la négociation précédente. Le 9 mars 1972, devant le refus du gouvernement de négocier, les syndiqués donnent à leurs dirigeants le mandat de déclencher une grève générale au moment jugé opportun. Le gouvernement refusant toujours de faire des compromis significatifs, une grève générale d’une durée illimitée est déclenchée le 6 avril.

Le 21 avril, la loi 19 suspend le droit de grève et fixe les conditions de travail pour 2 ans si aucune entente n’est conclue entre les parties. Suite à cette loi spéciale, les présidents des 3 centrales syndicales seront condamnés à un an de prison pour avoir conseillé de défier la loi et de ne pas retourner au travail. En guise d’appui aux présidents des centrales syndicales, un débrayage spontané de 5 jours est déclenché. La négociation en front commun a renforcé le pouvoir des syndiqués et redéfini le rapport de force entre l’État et ses employés.

1975-1976 Une victoire « syndicale »

Encore une fois, les négociations pour la formation d’un front commun sont difficiles. Malgré cet obstacle, les 3 centrales syndicales s’entendent pour former un front commun des employés de l’État. Les principales revendications syndicales reposent sur les salaires, les congés de maternité, la sécurité d’emploi et la réduction de la tâche des enseignants. Cette fois, le front commun mène une campagne d’information qui vise à sensibiliser la population aux demandes syndicales. La stratégie syndicale préconise la gradation des moyens d’action allant jusqu’à la grève générale illimitée.

Le gouvernement libéral s’est préparé aux conflits dans les hôpitaux en adoptant la loi 253. Cette loi ajoute une condition supplémentaire à l’exercice de la grève ; le droit de grève est interdit dans les hôpitaux tant que les services essentiels ne sont pas déterminés par un accord entre les parties ou, en cas de désaccord, par le commissaire aux services essentiels. Le front commun désobéit à la loi 253 et impose sa définition des services essentiels. Le gouvernement intente donc des poursuites contre les syndicats dans le cadre de cette loi. Il adopte, en avril 1976, la loi 23 qui suspend le droit de grève dans le secteur de l’éducation. Pourquoi, le droit de grève est encore retiré aux enseignants ?

Cette fois, les syndiqués sont prêts à outrepasser toute loi qui limiterait ou enlèverait leur droit de grève malgré les menaces d’amende et d’emprisonnement. La victoire la plus significative de cette ronde de négociation concerne les augmentations de salaire (rattrapage du pouvoir d’achat, clause d’indexation).

1979-1980 Première négociation avec le gouvernement du Parti québécois

Élu en novembre 1976, le gouvernement du Parti québécois tente de manifester sa bonne foi aux syndicats en retirant les poursuites intentées contre les syndicats par l’ancien gouvernement. En juin 1978, la loi 55 [1] 1 et la loi 59 [2]2 modifient le cadre législatif des négociations avec les employés de l’État. Une concession importante est faite par le gouvernement pour détermination des services essentiels.

Cette fois, le front commun est composé de 190 000 syndiqués provenant de la CSN, la CEQ et la FTQ. Les demandes syndicales portent sur le salaire minimum, l’indexation des salaires, les congés de maternité payés et des garderies près des lieux de travail. La difficulté des syndicats à mobiliser leurs membres fait en sorte que les mandats de grève sont obtenus de peine et de misère. En novembre 1979, la menace d’une grève générale pousse le gouvernement à suspendre le droit de grève pour 15 jours avec la loi 62. Après 4 jours de grève illégale, le gouvernement améliore ses offres. Pour les enseignants, c’est après 11 jours de grève qu’un accord est négocié. Cet accord améliore la sécurité d’emploi et la tâche de travail.

1982-1983 Casser les syndicats

Au plus fort de la récession économique, un an avant l’échéance des conventions collectives et sans qu’il y ait eu négociation, le gouvernement fixe, par décret, les conditions de travail de ses 320 000 employés. En juin 82, le gouvernement adopte 3 lois spéciales :

 la loi 68 qui entraîne la désindexation des régimes de retraite ;
 la loi 70 qui impose des coupures de salaire de 20% et un gel de l’échelon d’expérience ;
 la loi 72 qui crée le Conseil des services essentiels.

De plus, le gouvernement mène un campagne publicitaire qui ternit la réputation des travailleurs de l’État. Le 11 décembre 1982, suite à une grève générale de 24 heures, le gouvernement adopte le projet de loi 105 qui fixe pour 3 ans les conditions de travail des enseignants. Au début février 1983, la grève générale des enseignants débute. Le 16 février 1983, en réponse à la grève, le gouvernement adopte la loi 111 qui force le retour au travail des enseignants et impose des pénalités telles que la double coupure de salaire, la perte de 3 années d’ancienneté par jour de grève ainsi que des amendes importantes. Pendant 2 jours, certains syndicats défient cette loi dont tous les enseignants du Collège Ahuntsic.

Les syndicats contesteront la loi 111 et, avant d’avoir gain de cause, devront se présenter trois fois à la Cour suprême du Canada [3]3. Plus de 20 ans plus tard, les enseignants récupéreront la double coupure de salaire qu’ils ont subi et les intérêts légaux encourus. Quant à la coupure d’ancienneté, elle n’aura pas lieu, les décrets n’ayant jamais en réalité été adoptés par le gouvernement.

1986-2010 L’art de négocier par décret

Depuis le coup de force du Parti québécois au début des années 80, les différents gouvernements continueront d’utiliser abondamment les lois et la menace de loi spéciale comme moyen de pression contre les syndicats.

Le gouvernement libéral adopte la loi 37 [4]4 en 1985 et la loi 160 [5]5 en 1986. Ces lois, toujours en vigueur, prévoient diverses pénalités en cas d’arrêt de travail illégal et imposent une démarche complexe pour l’obtention du droit de grève. Les négociations s’en suivent en 1989, sont ardues. Pour mettre fin à la grève, le gouvernement applique la loi 160 qui force le retour au travail des employés du secteur de la santé et les services sociaux. Les années suivantes seront marquées par des décrets et des prolongations de conventions collectives.

En 1997, le gouvernement cherche à récupérer 6 % de la masse salariale des employés de l’État. Les organisations syndicales acceptent de négocier un programme de départ volontaire à la retraite (34 000 retraites anticipées). Les enseignants des cégeps consentent à une baisse de salaire de 3,57 % afin de maintenir les emplois et préserver la qualité de l’éducation.

Il faudra attendre 1999, pour que débute la première véritable négociation des 10 dernières années. Diverses clauses pour lutter contre la sous-traitance et la précarité d’emploi, la bonification des régimes de retraite, l’amélioration des congés de maternité et la reconnaissance du travail des employés en service de garde scolaire sont à l’ordre du jour.

En 2002, les conventions collectives sont reconduites pour une année supplémentaire afin de poursuivre les travaux sur l’équité salariale et sur le régime de retraite.

En décembre 2003, le gouvernement adopte, encore une fois sous le bâillon, plusieurs lois spéciales :

Le projet de loi 30 force la réorganisation des unités d’accréditation entraînant des votes d’allégeance dans tout le réseau de la santé et des services sociaux et, conséquemment, un bouleversement de la carte syndicale. Par cette restructuration, au moment où les négociations devaient débuter, le gouvernement tente de désorganiser les syndicats du réseau de la santé et des services sociaux.
Le projet de loi 31 modifie le Code du travail de façon à faciliter le recours à la sous-traitance dans les services publics. En effet, le Code du travail constituait la principale protection contre la sous-traitance dans l’éducation comme dans la santé.

Le projet de loi 61 sur les partenariats public-privé qui visent, entre autres, à faciliter les privatisations et les réorganisations dans les services publics.

Le 14 décembre 2005, le gouvernement lance aux tables sectorielles l’ultimatum de convenir d’ententes avant 18 heures, à défaut de quoi des décrets seront imposés. En effet, le 15 décembre 2005, le gouvernement Charest faisait adopter le projet de loi 142 qui décrète les conditions de travail de ses salariés pour sept ans, dont deux années de gel de salaire. De plus, la loi 142 retire le droit grève aux employés de l’État et prévoit des mesures de répression si les syndiqués défient la loi.

Le front commun 2010

Le front commun 2010 : un des plus grand front commun de l’histoire, plus de 500 000 travailleurs réunis. Une entente est négociée...

Les employés de l’état auront bientôt à se mobiliser dans le cadre du renouvellement de leur convention collective. Une réflexion s’impose. Il est maintenant temps de porter un jugement sur la mobilisation, la stratégie et les conventions négociées en 2010.

De plus, une question se pose : Quels moyens de pression avons-nous devant un patron qui fait lui-même les lois ? Le front commun 2015 devrait s’inspirer de la grève étudiantes 2012 et des luttes syndicales passées pour répondre à cette question. Michel Chartrand n’aurait probablement pas hésité à répondre, ce qu’il avait coutume de dire du patronat et du pouvoir politique à sa solde : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ».

Références :

Jean-Marc Piotte, « La lutte des travailleurs de l’État », Montréal, Cahier du socialisme, no 3, 1979, pp.4 à 38.
Jacques Rouillard, « Histoire du syndicalisme québécois », Montréal, Boréal, 535p.
Jacques Rouillard, « La négociation du secteur public et la répartition de la richesse », Montréal, Le Devoir, p.A9


[1Loi sur l’organisation des parties patronale et syndicale aux fins de négociations collectives dans les secteurs de l’Éducation, des Affaires sociales et des organismes gouvernementaux.

[2Loi modifiant le Code du travail prévoyant explicitement la possibilité d’un lock-out dans les secteurs public et parapublic

[3Une première fois sur la contestation de la légalité de la loi adopté en français seulement (gain syndical). Puis sur le caractère criminel ou non de défier une loi qui n’avait pas encore été invalidée (gain syndical). Et enfin, sur la gestion d’un grief qui fera jurisprudence, à ce titre la cour suprême refusera d’entendre la requête du gouvernement d’un grief qui fera jurisprudence, à ce titre la cour suprême refusera d’entendre la requête du gouvernement.

[4Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic

[5Loi sur le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux

Sur le même thème : Syndicalisme

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...