Il est bien sûr navrant de voir Harper et son entourage aller parader en Haïti pour les photographes sans avoir quoi que ce soit de neuf à dire ou à offrir. Mais peu de commentateurs et commentatrices proposent des critiques et des analyses à la hauteur de la tragédie fondamentale d’Haïti, qui est la vulnérabilité impensable et scandaleuse dans laquelle se trouvait le pays avant le séisme.
On parle beaucoup de « reconstruction », mais comment vivait-on dans ce pays avant le fatidique 12 janvier ? Le taux de chômage oscillait autour de 70 % et une proportion similaire d’HaïtienNEs tentaient de survivre avec moins d’un dollar par jour. Comme les ONG géraient 92 % des écoles et 70 % des soins de santé, et vu l’absence totale de normes antisismiques pour les bâtiments, on peut se demander s’il existait même un État haïtien.
Que veut donc dire « reconstruction » : un retour à l’état initial pour le pays le plus pauvre des Amériques ? Le « business as usual » néolibéral, qui prescrit un État et des services publics fantômes, l’utilisation permanente d’ONG comme béquilles et l’établissement de quelques « sweat shops » ? Le versement de miettes par le Canada et les États-Unis dans un contexte où ces pays consacrent respectivement 0,3 et 0,12 % de leur PIB à l’aide au développement, à l’encontre de l’objectif de 0,7 % de l’ONU ?
Après le séisme, une nouvelle tragédie immense pointe à l’horizon : celle de l’enlisement d’Haïti dans une « phase d’urgence » sans fin, alimentée par la répétition des recettes économiques désastreuses, par une tutelle occidentale étouffante et par des ouragans accentués par le négationnisme climatique de Harper et ses semblables.
Bien sûr, il faut poursuivre l’effort humanitaire pour que les sinistréEs obtiennent enfin l’eau, la nourriture, les abris et les soins dont ils et elles ont besoin, et appuyer et féliciter sans réserve tous ceux et celles qui mettent l’épaule à la roue. Mais la bataille décisive pour la dignité du peuple haïtien s’engage. Elle sera perdue sans un plan ambitieux de construction d’infrastructures physiques et sociales dignes d’un pays du 21e siècle : aqueducs, égouts, électricité, écoles, hôpitaux, transports en commun, agriculture autosuffisante, etc. C’est dans l’édification massive de services publics sous l’égide d’un gouvernement d’unité nationale que la vie démocratique et l’indépendance véritables d’Haïti prendront leur sens.
Peut-on espérer qu’un Stephen Harper ultraconservateur et affairé à réparer les pots cassés de la dernière prorogation fasse preuve du leadership voulu ? Absolument pas, à moins que la société civile et les citoyenNEs du Canada se mobilisent et le contraignent. À nous d’y voir.
Claude Généreux
Secrétaire-trésorier national
Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP)
Ottawa, le 17 février 2010