Édition du 17 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud

Haïti : La transition de rupture

Texte de la Coalition Haïtienne au Canada contre la Dictature en Haïti (CHCDH) et de l’Initiative citoyenne de New-York.

Le 30 août 2021, les représentant.e.s de multiples organisations de la société civile et d’organisations politiques, réunies suite à une invitation de la Conférence Citoyenne pour une Solution Haïtienne à la Crise, se sont entendues sur la mise en place, par consensus, d’un gouvernement de transition vu qu’aucun mécanisme constitutionnel ou institutionnel ne permet d’assurer l’intérim avant la tenue d’élections crédibles. Cette transition devrait aussi permettre de poser les bases d’un nouvel État, au service de l’intérêt général, et plus susceptible d’éviter que le pays ne connaisse à l’avenir, des crises de cette ampleur. Les onze axes programmatiques de cet accord (dit « Accord du Montana »), présentent à grands traits les orientations du Gouvernement de transition afin de faciliter la mise en place des bases de ce nouvel État. Ils en constituent donc le socle non négociable.

1- L’organisation du système électoral afin de s’assurer que les prochaines élections soient transparentes et crédibles.

2- Assurer la sécurité publique et garantir la libre circulation des personnes et des biens sur toute l’étendue du territoire national.

3- Ramener la paix dans les villes et restaurer la confiance dans les institutions, pour assurer la justice et le respect des droits humains. Mise en branle de l’action publique contre les auteurs d’actes de spoliation et de dilapidation des fonds publics, d’enlèvements, de meurtres, de massacres, sans que ce ne soit l’occasion d’exactions ou d’actes de vengeances préjudiciables à la cohésion de la Nation.

4- Lutter contre la corruption et l’impunité : audit général de l’administration publique et enquêtes administratives sur les activités entreprises par les gouvernements précédents d’une part, contrôle de celles du gouvernement de transition, d’autre part.

5- Faire face aux urgences économiques et aux impératifs de la sécurité sociale : augmenter la transparence sur les impôts, taxes et droits collectés, révision en vue d’assurer la réhabilitation et la protection de l’agriculture familiale paysanne dans la poursuite de la souveraineté alimentaire, résolution de la question des arriérés de salaires des différentes catégories de personnels, favoriser la revalorisation des salaires de la fonction publique, du personnel enseignant et du personnel hospitalier, en particulier.

6- Au niveau de la santé, de l’hygiène publique et de la gestion de l’urgence du COVID-19 et du post-séisme : enclencher la campagne de vaccination sur une base volontaire et selon la capacité d’acquisition de vaccins, attention particulière aux problèmes spécifiques liés à la santé des femmes, attention prioritaire aux personnes vulnérables, plan de réhabilitation post-séisme, etc.

7- Tenue de la conférence nationale souveraine, un cadre de dialogues et de débats destiné à permettre aux haïtiennes et aux haïtiens de poser les fondements et les règles d’un nouveau pacte social.

8- Ouverture du chantier de la réforme de l’École Citoyenne fondée sur les valeurs d’égalité, d’intégration, de solidarité et promouvant la langue, l’Histoire, la culture du pays, rendant aptes les apprenant.e.s à relever les défis de la transformation économique et sociale de la République ainsi que la participation citoyenne responsable aux affaires de l’État.

9- Mise en œuvre d’une politique culturelle audacieuse et généreuse qui irriguera tous les champs d’intervention publique. Un fonds de soutien aux artistes sera institué en concertation avec le secteur culturel. L’État, tout en réaffirmant son caractère laïc, favorisera une coexistence harmonieuse entre les différentes confessions religieuses présentes sur le territoire, dans le respect des croyances des un.e.s et des autres.

10- Tenue des assises de l’Environnement, du changement climatique et de la gestion des risques et désastres avec pour objectifs principaux l’identification des besoins et la mobilisation des moyens pour la prise en compte urgente de cette question.

11- Développement d’une stratégie en vue d’identifier et de mobiliser, du côté de la coopération internationale, les ressources financières qui pourront contribuer à faire face aux défis de la transition. Le réforme de la fonction diplomatique sera menée sur la base d’une réévaluation de la représentation diplomatique d’Haïti à l’extérieur et de la mission de cette diplomatie (1).

Ces axes, un peu plus développés dans l’Accord, devront être précisés dans une feuille de route détaillée qui permettra d’orienter et d’évaluer l’action du Gouvernement de transition, en fonction des principales attentes de la population.

Il est clairement spécifié que la feuille de route ne dispense pas le gouvernement de transition des obligations générales définies par les articles en vigueur de la Constitution et des lois de la République.

Rappelons que la Conférence nationale aura à préciser les fondements et les règles d’un nouveau pacte social, environ six mois après la mise en place du Gouvernement de transition.

L’objectif final, en fin de compte, est l’élaboration d’une planification stratégique afin de sortir le pays du marasme, de favoriser l’épanouissement d’une société où règne la justice et l’équité, une société prospère où les ressources sont utilisées pour le bien et le service de tous.

Les responsables du suivi de l’Accord de Montana ont déjà rallié de nombreux secteurs à cette cause et les négociations se poursuivent pour convaincre d’autres à le faire.

Chacun et chacune de nous peut également faire sa part en donnant une large diffusion aux termes de cet accord et en ralliant son entourage à ce projet.

2- Retour sur les axes programmatiques (2)

Depuis 1986, il y a eu des périodes de transition dans le pays. Cependant, les évènements des 10 dernières années ainsi que la difficulté, quasiment depuis l’indépendance, de trouver un mode d’organisation de la société capable d’amener la paix et le progrès, ont rendu inévitable une rupture avec les façons de faire habituelles. Vu le climat d’insécurité et la désinstitutionalisation en cours, une période de transition sera nécessaire pour jeter les bases de ce changement. Les axes programmatiques balisent cette période et la voie vers le changement. Le consensus s’étant fait sur une transition de deux ans, il est clair qu’on ne parle ici que de mettre en place les mécanismes pour amorcer cette évolution.

2.1- Cette échéance de deux ans devra amener à l’avènement d’un pouvoir démocratiquement élu à la direction du pays. Il faudra donc organiser des élections au terme de cet intervalle. Pour cela, il sera nécessaire de :

 rétablir un climat de sécurité dans le pays pour permettre campagne électorale et vote ;

 mettre sur pied un conseil électoral crédible qui aura la haute main sur la préparation et la réalisation de ce scrutin ;

 financer cette opération à la hauteur des moyens du pays.

2.2- Au cours des dernières années, la situation socio-économique s’est sérieusement dégradée et le taux d’insécurité alimentaire a atteint des sommets inégalés. Des mesures urgentes s’imposent pour assurer à chaque personne dans le pays les biens et services lui permettant de vivre dignement.

 selon tous les experts, le soutien aux petites fermes familiales est le meilleur moyen de combattre l’insécurité alimentaire ;

 cette approche serait le début de la mise en œuvre de la décentralisation qui est au cœur de la Constitution de 1987 ;

 elle devrait aussi introduire une sérieuse réflexion sur le modèle économique de production et la répartition de la richesse.

2.3- Ces questions seraient analysées plus en profondeur dans le cadre d’une conférence nationale qui aura pour but de poser les fondements et les règles d’un nouveau pacte social.

 il s’agira essentiellement de préciser le type de société à laquelle nous aspirons et les moyens d’y arriver pour une véritable inclusion de l’ensemble de la population ;

 cette conférence nationale pourrait se réaliser selon le principe de la décentralisation : partir des sections communales, passer par les communes, les districts, les départements et consolider le tout au niveau national.

2.4- Depuis 1986, la justice a été et est encore la principale revendication du peuple haïtien. Le dysfonctionnement du système judiciaire participe aux difficultés de la Police nationale et à l’étendue de la corruption dans le pays.

 il existe plusieurs propositions de réforme du système judiciaire sur lesquels il est possible de s’appuyer pour amener le changement nécessaire dans ce secteur ;

 une approche complémentaire est d’instruire des cas emblématiques déjà bien documentés, comme la corruption dans la gestion des fonds PetroCaribe ou encore le massacre de La Saline ;

 le pouvoir judiciaire occupe une place centrale dans un État de droit et les lois doivent être compréhensibles par toute la population.

2.5- Il y a aussi la question constitutionnelle qu’il faudra trancher : garder la Constitution de 1987, en annulant l’amendement incomplet ou en le complétant, corriger les failles identifiées dans la Constitution de 1987, ou encore rédiger une nouvelle constitution. Les positions sont très tranchées sur cette question.

 une constitution trop chargée n’apporte pas vraiment de garantie. Une constitution conçue comme une charte fondamentale assez courte pourrait être plus efficace. Une hypothèse : élaborer cette charte à partir de la Constitution de 1987, en garder l’esprit et les grandes orientations ;

 la constitution devrait aussi assurer la participation de trois groupes d’acteurs et d’actrices avec chacun des fonctions spécifiques : orienter la politique, la mettre en oeuvre, l’évaluer ;

 la charte fondamentale devra baliser le chemin pour faire société, pour le mieux vivre ensemble.

2.6- la question environnementale est une urgence nationale, Haïti étant le troisième pays le plus touché au monde par les catastrophes climatiques (séismes, cyclones, …). Il y a un travail énorme à faire en termes de préparation pour atténuer ces risques. Par exemple :

 quelque 21 000 hectares (210 km2) de terres agricoles irriguées sont menacés par la hausse prévue du niveau de la mer au cours des prochaines décennies ;

 la diminution de la pluviométrie favorise l’arrivée d’insectes qui s’attaquent aux récoltes ou qui sont porteurs de maladies ;

 la production agricole locale n’est pas protégée et par conséquent, le marché est envahi de produits étrangers offerts à des coûts inférieurs au point où aujourd’hui, le pays importe l’essentiel de ce qu’il consomme. etc.

On pourrait ajouter plusieurs autres chantiers importants qui devront faire l’objet d’une attention particulière durant cette période, comme par exemple la sécurité publique, l’éducation, l’administration publique, la politique vis-à-vis les investissements étrangers, la politique extérieure, la santé, les arts, et d’autres encore dont certains auxquels nous ne pensons même pas aujourd’hui. Ce sont les principes de base qui commenceront à prendre corps durant cette période de transition qui permettront au pays de s’orienter face aux défis du futur. Et dans tous ces secteurs, il faudra être très attentif à la pénétration de la logique néolibérale, notamment par la privatisation.

Il est vrai qu’à l’heure actuelle, le pays est à toutes fins pratiques sous tutelle de la communauté internationale, représentée sur place par le Bureau intégré des Nations-Unies en Haïti (BINUH) dont la mission première est de « Conseiller le gouvernement d’Haïti pour promouvoir et renforcer la stabilité politique et la bonne gouvernance, y compris l’État de droit, préserver et favoriser un environnement pacifique et stable, y compris en appuyant un dialogue national inclusif entre Haïtiens, et protéger et promouvoir les droits humains ».

Il est vrai que le terme « communauté internationale » est lui-même trompeur et masque la réalité de la domination du Core Group, un regroupement de diplomates étrangers sous le leadership des USA, le véritable meneur du jeu sur le terrain. Cela n’empêche pas les Haïtiens/Haïtiennes de toutes tendances de se réunir, de se concerter, de définir ensemble ce qu’ils veulent comme avenir pour leur pays, une démarche au cœur de la souveraineté nationale. Depuis l’indépendance, on s’est rendu compte que « dèyè mòn, gen lòt mòn ». Il n’y a donc pas d’autres choix que de continuer à avancer.

Coalition Haïtienne au Canada contre la Dictature en Haïti (CHCDH)

Initiative citoyenne de New-York

3 mai 2022

Pour la Coalition
Célia Romulus
Alain Saint-Victor

Pour l’Initiatie Citoyenne

Marie Michèle Montas
Daniel Huttinot

Notes

1- « … les axes programmatiques (…) mentionnés le sont à titre indicatif de l’orientation générale de la politique du Gouvernement. Ils seront complétés, déclinés à travers une feuille de route détaillée, avec un échéancier et un budget correspondant. » (article 17, Titre 4 de l’Accord du 30 août 2021).

2- Cette section s’est parfois inspirée d’un texte de Christian Fauliau : HAÏTI REFONDATION. Notes sur le livre de Claude Moïse « Les trois âges du constitutionnalisme haïtien » (édition du CIDIHCA)

Initiative Citoyenne de New York

L’Initiative Citoyenne de New York est un groupe de réflexion et un espace de rencontre patriotique sur la situation alarmante d’Haïti, une nation mise aujourd’hui à genou. Nous constatons, comme le font d’autres organisations de compatriotes en Haïti et en diaspora, que notre pays est au bord du gouffre. Corruption, insécurité, impunité, kidnappings, violence, assassinats, ingérence étrangère, aggravent au quotidien une situation de paupérisation accrue et nous préoccupent profondément.

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