Le 24 mai 2023, une mobilisation de travailleurs et travailleuses de la Société nationale des parcs industriels (SONAPI) située dans la capitale a été sauvagement réprimée par la police nationale. Une mobilisation tuée dans l’œuf au prix de plusieurs blessés par balles, de coups de matraque et de gaz lacrymogènes toxiques. Parallèlement, le patronat a renforcé les pratiques d’intimidation dans les différentes usines. Certains travailleuses et travailleurs syndiqués sont arbitrairement licenciés pour raison syndicale alors que d’autres sont menacés de révocation sans raison apparente.
Au sein de la Compagnie de développement industriel (CODEVI) dans la ville de Ouanaminthe, le contrôle des travailleurs et travailleuses prend une dimension que l’on peut qualifier de « totalitaire » (1), car ces travailleurs et travailleuses sont non seulement contraints de fournir de quotas de production faramineux, mais ils et elles sont également soumis à un régime de disciplines allant au-delà des activités de travail. Ils et elles sont surveillés dans l’intimité de leur corps et de leurs choix vestimentaires.
Pour mener à bien ce contrôle infantilisant, le patronat dispose de sa propre milice. En effet, un contingent d’hommes cagoulés lourdement armés surveille les travailleurs et travailleuses jusque même dans leur façon de s’habiller. Ces agents non identifiés s’arrogent le droit de juger de la convenance de leurs vêtements. Ils se servent de l’autorité qui leur a été octroyée par les patrons pour non seulement intimider, réprimer mais également harceler sexuellement les travailleuses.
Cette surveillance dégradante a tourné au drame le jeudi 15 juin 2023 lorsque la milice du patronat a empêché un travailleur de gagner son poste sous prétexte que sa tenue vestimentaire était non conforme. Face à la protestation des autres travailleurs et travailleuses, la milice du patronat et la police nationale ont ouvert le feu à bout portant sur les travailleurs et travailleuses. Plusieurs personnes sont mortes, dont deux ouvriers et un adolescent de 14 ans (2). La sanglante fusillade a fait également plusieurs blessés graves parmi les travailleurs et travailleuses. Les habitants résidant dans le voisinage du parc industriel sont également atteints par les balles assassines de la police nationale et de la milice du patronat de CODEVI (3).
En dépit de la gravité du drame, le patronat a manifesté une grande indifférence par rapport au massacre des ouvriers et ouvrières dans leur lieu de travail puisqu’il se contente d’annoncer la fermeture de l’usine pour une enquête administrative. Dans sa note de presse, il ne fait aucune mention des meurtres crapuleux et des blessés (4). Soulignons que l’État haïtien fait montre d’un silence complice. Le ministère des affaires sociales déclare ouvrir une enquête administrative alors qu’aucune disposition n’a été prise pour inculper les auteurs et commanditaires de ce massacre. À l’instar de la prolifération des gangs dans le pays, les autorités gouvernementales font fi du fait que le propriétaire de CODEVI crée une milice d’hommes armés pour intimider, réprimer et harceler les travailleurs et les travailleuses. Livrés à la brutalité démesurée du patronat et de ses sbires, les syndicalistes s’interrogent sur la volonté de l’État haïtien de « remettre en vigueur le code noir » de l’ère esclavagiste (5).
Face à cette situation, le REHMONCO dénonce et condamne avec véhémence la répression sanglante du patronat de CODEVI contre les travailleurs et travailleuses. Il prend au sérieux l’interrogation des syndicalistes qui associent l’indifférence de l’État haïtien à une volonté de transformer les travailleurs et travailleuses en esclaves des bourgeois locaux et des firmes multinationales. Le carnage du jeudi 15 juin 2023 met en lumière le vrai visage de l’État haïtien lorsque des unités de la police nationale s’associent à une milice armée du patronat pour massacrer les travailleur et travailleuses. Soulignons que la police nationale est sous le commandement du gouvernement. En septembre 2022, elle s’est associée à un contingent de l’armée dominicaine pour réprimer une protestation dans le parc industriel CODEVI.
Le REHMONCO salue la mémoire des victimes et encourage les syndicats à poursuivre la lutte non seulement pour l’obtention de la justice et réparation pour les familles des victimes mais également pour contraindre l’État et le patronat à mettre en place de meilleures conditions de travail.
Notes
1- En 2004, l’État haïtien a fait une concession de 80 hectares de terres à la CODEVI (Compagnie de développement industriel) appartenant au groupe dominicain M (Grupo M) pour l’établissement d’une zone franche industrielle de sous-traitance dans la commune de Ouanaminthe. Ce projet a été conduit par le gouvernement de Jean-Bertrand Aristide. Pour plus de précision, consulter le lien suivant : https://lenouvelliste.com/article/223074/linstallation-de-la-codevi-a-ouanaminthe-quels-impacts-pour-la-ville-apres-16-ans-de-fonctionnement
2- Pour plus de précision, voir le lien : https://www.alterpresse.org/spip.php?article29386
3- Plusieurs unités de la police, dont POLIFRONT, Brigade d’intervention et UDMO ont participé dans le massacre des ouvriers et ouvrières au parc industriel CODEVI le jeudi 15 juin 2023.
4- Pour plus de précision, voir le lien : https://www.alterpresse.org/spip.php?article29386
5- Communiqué de presse de Confédération des travailleurs Haïtiens (CTH) et Confédération des travailleurs des Secteurs Public et Privé (CTSP) 19 juin 2023 sur le massacre des travailleur.es dans le parc industriel de CODEVI
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