C’est exactement eux que cible la plus récente campagne de Québec solidaire, « un pays de projets ». Joli clin d’œil à l’expression consacrée « projet de pays », la campagne s’articule principalement autour d’un site Internet (www.paysdeprojets.org) et d’une tournée provinciale des porte-parole dans les prochains mois.
L’objectif de cette campagne est double. Tout d’abord, il s’agit de faire connaître de manière large la prise de position tranchée de Québec solidaire en faveur de l’indépendance et de la souveraineté.
Le deuxième objectif de cette campagne, plus électoraliste, vise à attaquer de manière préventive l’appel au « vote utile » en 2012. Bénéficiant d’une croissance inespérée de ses intentions de vote depuis l’élection d’Amir Khadir en 2008 (de 4% à environ 11%), QS court le danger de voir ces appuis disparaître lors de la prochaine élection. La campagne « pays de projets » met donc l’emphase sur les différences entre la vision de l’indépendance chez Québec solidaire et son principal « concurrent », le Parti Québécois (ici j’exclus d’office le Parti marxiste-léniniste pour des raisons folkloriques évidentes).
Pour ce faire, le parti de gauche a un argument de taille : l’assemblée constituante. Bien expliquée dans le site Internet de la campagne, l’assemblée constituante vise à inclure les citoyens dans la démarche d’indépendance, et ce, avant le référendum. C’est une procédure qui a récemment été utilisée de manière efficace par la vague de gauche en Amérique latine. Dans un scénario type, peu de temps après la prise de pouvoir de Québec solidaire, une élection sera déclenchée pour élire une assemblée constituante qui, comme son nom le dit, sera responsable de rédiger un projet de constitution qui serait soumis par référendum. Le second avantage de cette procédure est de clarifier sur quel genre de pays les Québécois auront à voter.
Et c’est là, exactement là, que la chicane pogne entre gauche souverainiste et souverainiste de gauche. Pour plusieurs militants de la gauche souverainiste, il n’y a pas beaucoup de sens derrière l’idée de se libérer du carcan fédéral sans se libérer en même temps du carcan du capital.
À l’opposé, les souverainistes de gauche considèrent qu’il est illusoire de croire que la gauche est assez puissante en elle-même pour réaliser l’indépendance. Elle doit s’allier avec les souverainistes de toutes les origines, toutes réactionnaires qu’elles puissent être. C’est ce que j’appelle la « Sainte-Alliance nationale ». Lucien Bouchard a sans doute été le produit le plus puant de cette Sainte-Alliance.
En somme, il s’agit de déterminer si une indépendance nationale peut se faire sans aucune référence à l’axe gauche/droite. Pour trancher cette question, on se penchera sur tout le mouvement de décolonisation de l’Afrique de l’après-guerre qui s’est fait à gauche, parfois même à l’extrême gauche. L’indépendance à droite existe également, ne mentionnons que le Panama en 1903 ou plus récemment, le Monténégro en 2006. Une indépendance en dehors de l’axe gauche-droite apparaît donc plus comme une tentative de justifier la Sainte-Alliance nationale qu’un argument fondé car on ne trouve pas beaucoup d’exemples historiques démontrant sa validité .
Cependant, les souverainistes de gauche ne sont pas fous. Ils voient quotidiennement leurs militants passer à QS. Comment colmater la brèche ? Au dernier congrès du Parti québécois le mois dernier, une résolution en faveur d’une Assemblée constituante fut mise aux voix. Historiquement, le PQ s’est enfermé dans une logique référendaire menant à une indépendance « clé en main » ou tout l’« après » était laissé entre les mains de la chefferie du parti. La résolution sur la constituante fut adoptée, mais avec une imprécision fondamentale à savoir si la constituante aurait lieu avant ou après le référendum ? Volontaire flou artistique ou véritable avancée démocratique au sein de la Sainte-Alliance ? Seul le temps nous le dira.
Concluons en mettant en lumière une faille de l’option « gauche souverainiste » qui, bien que m’apparaissant plus cohérente en soi, se retrouve désarçonnée sur la scène politique fédérale actuelle. Entre un Bloc québécois complètement inféodé au PQ et un NPD peu convaincant sur la question nationale, les tenants de la gauche souverainiste sont confus. Sans blague, je connais même des militants de QS qui ont annulé leur vote le 2 mai. De quoi plaire aux anarchistes…
Alexandre Leduc
(tiré du site du Journal Le Couac)