Sur le front syndical, plusieurs entreprises, dont des papetières comme White Birch à Québec, se servent de tous les moyens à leur disposition, y compris la loi sur les faillites, pour liquider leurs obligations en rapport avec les fonds de pension de leurs employés.
Deux conflits en cours, l’un au Québec chez Rio Tinto Alcan (RTA), l’autre en Ontario dans une filiale de Caterpillar, sont annonciateurs du climat social à venir. Nous connaissons les enjeux chez RTA, où l’entreprise veut remplacer des emplois syndiqués bien rémunérés par de la sous-traitance.
Les enjeux du conflit à l’usine Électro-Motive Canada, filiale de Caterpillar, sont moins connus au Québec, mais il vaut la peine de s’y intéresser car ils pourraient servir de pattern pour les relations de travail à venir dans plusieurs entreprises.
Caterpillar, un nouveau modèle de relations de travail ?
La direction a mis les ouvriers en lock-out, tout comme RTA à Alma. Caterpillar exige la réduction de moitié des salaires et des compressions dans le régime de retraite et dans les autres avantages sociaux.
Pourtant, Caterpillar n’est pas en difficulté financière. Elle a enregistré des ventes et des profits records au troisième trimestre de 2011 et prévoit une croissance des ventes de 20% en 2012 pour un montant de 58 milliards US $.
Mais l’attitude à l’égard du syndicat des TCA et des ouvriers est conforme à la philosophie du nouveau président, Douglas Oberhelman. « Il faut sortir et pointer nos fusils, peu importe à qui nous faisons affaire, les gouvernements, nos concurrents ou les syndicats », a-t-il déclaré.
La relocalisation en Amérique du Nord
Selon plusieurs analystes, le cas de Caterpillar est indicateur d’une tendance qui va se développer en 2012. Plusieurs entreprises multinationales, qui s’empressaient de délocaliser leurs activités en Chine ou dans d’autres pays à la moindre résistance syndicale devant leurs demandes de concessions, ont maintenant décidé de desservir le marché nord-américain à partir d’usines établies en Amérique du Nord.
Cela est attribuable à la perte de valeur du dollar américain par rapport aux monnaies asiatiques et au rétrécissement de l’écart entre les coûts de production en Asie et en Amérique du Nord. Les salaires augmentent à un rythme annuel de 15% en Chine, alors qu’ils stagnent aux États-Unis et au Canada.
La stratégie patronale ne sera donc plus, selon ces analystes, la délocalisation, mais un affrontement direct avec les organisations syndicales du secteur privé pour leur arracher des concessions et réduire encore davantage l’écart entre les salaires nord-américains et les salaires asiatiques.
Le Canada désavantagé
Cependant, la relocalisation des entreprises manufacturières en Amérique du Nord touchera différemment les États-Unis et le Canada, ce dernier se trouvant désavantagé par la valeur du dollar canadien, presque à parité avec le dollar américain.
Lorsque le dollar avoisinait les 65 ou 70 cents américains, il permettait de contrer les avantages fiscaux que pouvaient offrir certains États américains. Ce n’est plus le cas, comme on le voit avec le déménagement prévu d’Électrolux de l’Assomption vers Memphis, avec la perte de 1300 emplois.
La valeur du dollar est dopée par l’exportation du pétrole de l’ouest et elle ne reflète pas l’état de l’économie du Québec. Ses industries sont doublement pénalisées par la hausse du prix du pétrole, qui, en plus de gonfler la valeur de la monnaie, augmente la facture énergétique, rendant leurs produits moins concurrentiels sur le marché américain, leur principal marché d’exportation.
Le Québec doublement désavantagé
Depuis que le capitalisme existe, le chômage a toujours constitué l’allié le plus important du patronat dans l’affrontement entre le capital et le travail. À ce chapitre, la classe ouvrière québécoise est plus durement frappée que celles des autres provinces comme l’indiquent les dernières statistiques sur le chômage.
Au cours du dernier mois, l’emploi a progressé ou est demeuré stable dans toutes les provinces, sauf au Québec. Le taux d’emploi est le meilleur indice de l’activité économique. Selon Statistique-Canada, le taux d’emploi était au mois de décembre de 59,5% au Québec, de 61,3% en Ontario, de 65,2% au Manitoba, de 65,3% au Manitoba, de 70,4% au Manitoba et de 60,2% en Colombie-britannique.
Il y a peu de chance que la situation s’améliore au cours des prochains mois. L’augmentation prévisible du prix du pétrole va porter à des sommets inégalés la valeur du dollar canadien.
Refonte du code du travail
Le conflit chez Rio Tinto Alcan démontre la nécessité d’une réforme en profondeur de la loi anti-scabs. L’entreprise affirme qu’il n’y a pas de scabs dans son usine, mais un tiers de la production est assurée par 224 cadres.
On veut nous faire croire que l’usine fonctionnait, en temps normal, avec 224 cadres pour 755 employés. C’est un ratio d’un cadre pour 3 employés ! À ce compte-là, si la compagnie voulait réellement faire des économies, elle effectuerait des coupes dans le personnel cadre plutôt que de chercher à remplacer les travailleurs syndiqués par des sous-traitants.
Mais on sait pertinemment qu’il y a anguille sous roche. L’entreprise se prépare depuis des mois à ce conflit. Avant le délai de trois mois, avant une grève ou un lock-out, prescrit par la loi anti-scab à partir duquel une entreprise ne peut embaucher de nouveaux cadres, elle a rappelé des cadres partis à la retraite et a transféré à son usine d’Alma des cadres de ses autres usines.
La loi anti-scab a besoin d’une sérieuse mise à jour. Il ne suffira pas de modifier la notion d’établissement, comme on l’a évoqué lors du conflit au Journal de Montréal. Dernièrement, Louis Roy, le président de la CSN, réclamait plutôt de statuer que le fruit du travail d’un syndiqué ne puisse pas être confié à un travailleur de remplacement durant un conflit de travail.
Le code du travail devrait également faciliter la syndicalisation de ce 30% de la main-d’œuvre qui occupe des emplois atypiques, de façon à permettre l’établissement d’un rapport de forces un peu plus favorable aux travailleurs et travailleuses.
Pour un dollar québécois ?
Dernièrement, dans sa chronique du Globe and Mail, le journaliste Jeffrey Simpson tirait la leçon suivante de la crise de l’euro. Selon lui, en montrant les failles d’une monnaie unique sans institutions économiques communes, la crise invalidait l’approche des souverainistes québécois qui veulent conserver le dollar canadien après l’accession à l’indépendance. Il en faisait un argument-massue contre l’indépendance du Québec.
Mais l’argument peut être retourné contre Jeffrey Simpson et les fédéralistes en défendant la pertinence d’un dollar québécois. Cette idée, soutenue jadis par Jacques Parizeau, a été abandonnée par souci d’éviter des turbulences pendant la période de transition de l’accession à l’indépendance.
L’argument est défendable. Mais un Québec indépendant ne serait pas justifié de se priver pendant longtemps d’un instrument économique aussi important que la politique monétaire. L’approfondissement de la crise économique et la fracture de l’économie canadienne entre le Québec et le reste du pays va inévitablement remettre la question d’une monnaie québécoise à l’ordre du jour.
Après tout, si des pays européens envisagent le retour à leur monnaie d’origine et font des préparatifs pour cette éventualité, il serait tout à fait normal que, dès maintenant, les indépendantistes québécois étudient sérieusement la question et préparent des scénarios en ce sens.
C’est à quoi on serait en droit de s’attendre d’un leadership souverainiste sérieux.