Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

Une lettre à la première ministre

Fixer des cibles de revenu pour le Québec

La ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Agnès Maltais, devait annoncer au courant du mois de mai une « bonification progressive et importante » des prestations pour les 85000 personnes assistées sociales vivant seules. Or, coup de théâtre : cette bonification a été reportée à l’automne. Pour expliquer ce malheureux report, la ministre a affirmé avoir découvert à la dernière minute que parmi ses collègues, plusieurs planchaient « chacun de leur côté » sur des mesures qui méritaient d’être intégrées dans une stratégie plus large, plus globale, de lutte à la pauvreté. Plus récemment, la première ministre du Québec, Pauline Marois, a dit vouloir recentrer l’action de son gouvernement, sur la solidarité notamment. La table est donc mise pour des bonifications au Plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale. C’est pourquoi le Collectif a décidé de poursuivre sa campagne Fixer des cibles de revenu pour le Québec, au moyen d’une action toute simple : l’envoi massif d’une lettre (reproduite ci-dessous) à la première ministre, avec en copie conforme les ministres et chefFEs des partis d’opposition. Vous trouverez les informations et le matériel nécessaires pour participer au http://www. pauvrete.qc.ca/ ?Action-de-septembre.

(tiré de La soupe au Caillou numéro 374)

Madame la Première Ministre, Il y a quelques semaines, vous affirmiez, à la sortie du caucus du Parti Québécois, que votre gouvernement miserait davantage sur l’identité, la prospérité et la solidarité, et ce, dès la rentrée parlementaire. Déjà, que vous décidiez de tabler sur la solidarité constitue une excellente nouvelle. Toutefois, selon le Collectif, ce qui compte, c’est évidemment la manière de le faire. C’est pourquoi notre vigilance demeurera constante au cours des prochains mois. D’autant plus que dernièrement, en entrevue, vous admettiez que « l’effort » récent demandé à l’aide sociale « n’était peut-être pas nécessaire », même si vous le jugiez raisonnable, et que ce n’était « peut-être pas la meilleure décision à prendre ». Vous comprendrez qu’avec toutes les tentatives entreprises dans les derniers mois pour faire entendre raison à votre gouvernement sur cet enjeu, votre aveu arrive trop tard et ne corrige en rien l’injustice commise. L’unique façon de la réparer serait de retirer les modifications introduites. Par ailleurs, Madame Marois, qui aurait pu prévoir, il y a quelques mois à peine, qu’une telle modification du règlement d’aide sociale entraînerait une levée de boucliers si large et si spontanée ? Il semble que la solidarité fasse partie des valeurs québécoises les plus profondes et qu’il soit inadmissible de s’en prendre aux plus pauvres. Maintenant, il faut en prendre acte, histoire de ne pas répéter les mêmes erreurs et, surtout, d’éviter des tensions sociales inutiles. Tout comme il faut entendre les préoccupations qui traversent la société québécoise.

Couvrir les besoins de touTEs

Même si, depuis une dizaine d’années, le Québec a réalisé certains progrès dans la lutte à la pauvreté, près d’unE QuébécoiSEs sur dix vit encore « dans le rouge ». Des centaines de milliers de personnes seules, dont plusieurs avec des contraintes sévères à l’emploi en raison d’une maladie grave ou d’un handicap, des dizaines de milliers de couples sans enfants et près de 50 000 familles monoparentales, généralement avec des femmes à leur tête, n’ont pas un revenu suffisant pour combler leurs besoins de base. En tout, ce sont 750 000 personnes …

q u i m a n q u e n t cruellement de l’essentiel, qui sont obligées de faire des choix déchirants et qui vivent littéralement en situation de survie. C’est un véritable scandale dans une société aussi riche que le Québec. Voilà pourquoi de plus en plus de voix s’élèvent pour dire qu’aucune société n’a les moyens de se priver de la pleine contribution d’autant de ses membres et qu’il en coûte plus cher de tolérer la pauvreté que d’investir pour l’éliminer. Réduire les écarts Les faits sont là : au Québec, la richesse est de plus en plus concentrée dans les mains de quelques-unEs et les inégalités socioéconomiques augmentent. Même qu’une bonne partie de la classe moyenne a perdu, au cours des 25 dernières années, de son pouvoir d’achat. D’un côté, le marché profite davantage aux hautEs salariéEs ; de l’autre, l’action gouvernementale se révèle de moins en moins efficace pour réduire les inégalités de revenu par la redistribution. Pendant ce temps, la majorité des travailleuses et travailleurs québécoiSEs voient leur salaire réel stagner ou diminuer, un phénomène qui touche les femmes en premier lieu. Ces injustices, les QuébécoiSEs les réalisent davantage jour après jour et ce phénomène n’est pas isolé. Partout dans le monde, une prise de conscience des méfaits des inégalités s’opère ; mieux, les preuves s’accumulent qu’une plus grande égalité améliore le bien-être de l’ensemble de la société, et non seulement celui des personnes pauvres.

Contrer les préjugés

Le premier but de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, mise en place en vertu de la loi du même nom, consiste à « promouvoir le respect et la protection de la dignité des personnes en situation de pauvreté et lutter contre les préjugés à leur égard ». Sur ce dernier volet, aucune action majeure n’a été instaurée en dix ans. Pire encore, certaines décisions gouvernementales ont plutôt eu un effet contraire, en renforçant nombre d’entre eux. Pensons seulement au maintien des catégories à l’aide sociale qui entretient une division entre « bons » et « mauvais » pauvres, ces derniers étant l’objet de toutes les calomnies. Le poids de ces mesures discriminatoires pèse de plus en plus, d’année en année, et les préjugés à l’égard des personnes en situation de pauvreté semblent aussi, sinon plus, tenaces qu’auparavant. Heureusement, les effets des préjugés envers les personnes qui vivent la pauvreté et leur rôle dans le maintien d’un statu quo intolérable sont peu à peu connus et dénoncés.

Voir l’indignation

Au Québec, depuis maintenant plusieurs années, de nombreuses organisations de la société civile, des organismes publics, des chercheurEs, des chroniqueurEs et des éditorialistes ont manifesté un appui massif aux revendications soutenant une vision globale et solidaire de la lutte à la pauvreté. Aujourd’hui, plus que jamais, celle-ci est un combat contre la pauvreté absolue, l’appauvrissement, les inégalités socioéconomiques et les préjugés. De larges consensus se sont notamment dégagés lorsque le gouvernement précédent élaborait le Plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale. Un plan qui avait été jugé inacceptable, même par le Parti Québécois qui formait alors l’opposition officielle, car il ne proposait aucune nouvelle mesure structurante d’importance.

Des repères pour guider l’action

Madame Marois, votre gouvernement annoncera des bonifications au Plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale. Cette annonce doit mener le Québec à faire des pas majeurs et déterminants sur le chemin vers une société sans pauvreté, égalitaire et riche de tout son monde, tout en évitant de répéter les erreurs passées. À l’instar du Collectif pour un Québec sans pauvreté, nous vous demandons d’aller de l’avant en respectant certains repères répondant aux consensus établis et indiquant la route à suivre. Des repères qui devraient guider l’ensemble de l’action gouvernementale :

1. Des protections publiques assurant à touTEs un revenu au moins égal à la mesure du panier de consommation (MPC), soit 15 968 $ par année (2012).

La pertinence de cet indicateur comme cible de couverture des besoins n’est plus à prouver. Alors, comment tolérer que des personnes vivent en deçà de telles conditions minimales ?

2. Un salaire minimum à 11,37 $ l’heure (2012) et sa révision annuelle afin qu’une personne seule travaillant 40 heures par semaine sorte de la pauvreté.

Les gouvernements répètent sans cesse que l’emploi est la meilleure voie pour sortir de la pauvreté. Or, comment cela pourrait-il être possible si le taux du salaire minimum ne le permet pas, même à temps plein ?

3. Une réduction des inégalités socio- économiques entre les plus pauvres et les plus riches.

Il est possible, en réduisant les inégalités socioéconomiques, d’améliorer la santé et le bien-être de l’ensemble de la population. Cela signifie moins de stress, une meilleure cohésion sociale et des communautés plus solidaires. Existe-t-il un meilleur moyen pour redonner confiance aux citoyenNEs en leurs capacités collectives et en leur gouvernement ?

4. Des campagnes d’envergure visant à changer les mentalités et à contrer les préjugés envers les personnes en situation de pauvreté.

La Semaine de la solidarité a été instituée avec pour objectif, notamment, de lutter contre les préjugés. La ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Agnès Maltais, s’est déjà montrée ouverte à de telles campagnes.

Qu’attend-on ?

5. Des services publics universels et de qualité, dont l’accès s’améliore de façon continue, et ce, sans discrimination. L’inquiétude et l’indignation se trouvent renforcées lorsque les services publics et, audelà, les programmes sociaux, sont malmenés. Comment réagir autrement lorsque, pour plusieurs QuébécoiSEs, ils représentent des remparts collectifs contre la pauvreté et l’appauvrissement ?

Madame la Première Ministre, votre arrivée au pouvoir a fait renaître de nombreux espoirs chez les tenantEs de la justice sociale ; plusieurs ont été déçuEs. Afin de ne pas les décevoir plus encore, le Collectif est persuadé que votre gouvernement et vous avez tout intérêt à vous appuyer sur ces repères afin de développer une véritable solidarité dans la société québécoise. L’occasion n’attend qu’à être saisie. .

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