Édition du 19 novembre 2024

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Canada

Face à la crise en Afghanistan, le Canada doit agir

En août dernier, le Canada a décidé d’évacuer l’Afghanistan dans le désordre que l’on a constaté. Un des sérieux problèmes a été de laisser derrière plusieurs milliers d’Afghans et d’Afghanes en attente d’un visa pour venir au Canada, dont plusieurs qui ont travaillé pour l’armée canadienne pendant les années d’occupation. Ces personnes craignent pour leur vie dans le contexte du retour des talibans et espèrent quitter le pays au plus tôt. Par ailleurs, ceux et celles qui attendent un visa ne sont pas seulement les collaborateurs des forces armées étrangères. Il y aurait au moins deux millions d’Afghans qui veulent quitter leur pays dans les circonstances actuelles.

Cependant, des pays limitrophes essaient d’empêcher les Afghans d’affluer. Dans le nord du Pakistan, où il y a deux millions de réfugiés, le gouvernement pakistanais reste l’allié principal des talibans et ne veut pas ouvrir davantage sa frontière. Dans ce pays, les réfugiés afghans s’entassent dans des camps où l’infrastructure est minimale, à moins qu’on veuille prendre le risque d’être dans la rue, où on peut être malmené, arrêté ou escroqué n’importe quand. De plus, le gouvernement pakistanais interdit aux organisations internationales de faire parvenir de l’aide aux réfugiés afghans et à ceux qui veulent les aider, y compris des ONG pakistanaises.

La crise

Au-delà de l’accélération des procédures de visa, le problème réside dans les relations avec le nouveau gouvernement taliban de l’Afghanistan. Cette question rebondit dramatiquement à travers la crise humanitaire. Selon l’ONU, plus de la moitié de la population est menacée par l’insécurité alimentaire en cette période où l’hiver arrive à grands pas. Des milliers de personnes sont forcées d’abandonner ou même de vendre leurs enfants pour éviter le pire. La plupart des pays occidentaux hésitent à négocier avec l’Afghanistan et, en pratique, l’aide ne parvient pas à destination.

D’autre part, les États-Unis ont saisi les dépôts bancaires de l’Afghanistan (plusieurs milliards de dollars). Pour les ONG, transférer de l’argent est à leurs risques et périls, car cela contrevient aux lois et aux réglementations qui interdisent de faire affaire avec des entités définies comme « terroristes » (cela inclut les talibans). Dans les grandes villes, comme Kaboul, les gens affluent des zones rurales pour s’empiler n’importe où, y compris dans des camps de réfugiés improvisés. Comme toujours, ce sont les plus vulnérables qui écopent davantage. Les politiques imposées par les talibans victimisent les femmes. En dépit des promesses de certains leaders talibans à leur arrivée à Kaboul, le message est très clair : les femmes doivent rester à la maison. La semi-paralysie des institutions, de la fonction publique et du système scolaire s’ajoute à cette situation gravissime.

Les médias font peu écho aux manifestations contre le nouveau régime. En réalité, le mécontentement de la population est palpable. Le pouvoir taliban a choisi de minimiser la répression directe, néanmoins, il cherche à éliminer toute dissidence. Et pourtant sur le terrain, des organisations locales, des réseaux, des communautés continuent d’agir, en partie pour venir en aide aux plus démunis comme les gens sans abri, et en partie pour s’informer et envoyer au reste du monde un message : « nous sommes encore là » ! Quelques ONG internationales restent actives, même si leur travail d’appui à ces communautés reste très limité.

Le Canada doit agir

Pendant plus de vingt ans, le Canada a fait partie de la coalition menée par les États-Unis qui prétendait remettre le pays en marche. On le sait maintenant, cela a été un échec, en dépit des efforts de ceux et celles qui ont développé des liens de partenariat avec la société civile.

Pour le moment, ce pays continue de tomber en morceaux. Les talibans ne sont pas une solution. Le contexte régional fait en sorte que les États-Unis ne peuvent plus et ne veulent plus intervenir. Mais est-ce une raison de rester indifférents devant la catastrophe actuelle ?

Dans le cadre d’une action concertée de l’ONU, le Canada doit accueillir au plus vite les 25 000 personnes qui ont travaillé pour les agences canadiennes. Cela est urgent, mais pas suffisant. Il faut aider les autres qui, pour le moment, se terrent dans les maisons et les ruelles de Kaboul, ou qui vivotent dans des camps de réfugiés au Pakistan et en Iran.

Pour ce faire, il faut rétablir des liens officiels avec le régime taliban. Les reconnaître, ce n’est pas les appuyer, ni se taire sur les violations de droits. Mais cela permettrait de rétablir des services consulaires et d’établir des accords permettant le retour en Afghanistan des agences humanitaires.

Le Canada doit aussi faire pression sur le Pakistan. L’important programme d’aide canadienne devrait être rediscuté en considérant ce que le Pakistan peut faire pour atténuer la crise, notamment en ce qui concerne les nombreux réfugiés afghans sur le territoire.

Enfin, le Canada devrait faciliter la tâche aux ONG pour rétablir les liens avec leurs partenaires communautaires en Afghanistan. Il faut notamment aider les mouvements de femmes et les organismes de défense des droits de la personne. Le maillage entre ces organisations et l’importante diaspora afghane au Canada pourrait générer des appuis importants.

L’Afghanistan a subi les affres de la « guerre sans fin » déclarée par les États-Unis au tournant du millénaire. Les effets « collatéraux » de cette guerre ont coûté la vie à des centaines de milliers de personnes, non seulement en Afghanistan, mais aussi en Irak, en Syrie, au Yémen, tout en déstabilisant la gouvernance et l’économie un peu partout. Le retrait désordonné et chaotique de l’Afghanistan est à l’image de ce que cette politique agressive a été et, aujourd’hui, on est au bord du gouffre. Les retombées de cette mégacrise ne resteront pas isolées à la région. Déjà, la crise connaît une mutation à travers les affrontements qui se multiplient et qui pourraient remettre la sécurité mondiale en péril.

Pierre Beaudet

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