– S’arrêtera-t-il un jour ?
– Je ne sais vraiment pas.
– Mais il n’a pas arrêté de la nuit !
– Jetons-le à la rivière ! Mitjiminik (retenez-le) ! Lance un des Cris.
Sitôt dit, sitôt fait. Ogrenord et les Cris, fatigués de rire et de voir Charro se contorsionner décident de le jeter à la rivière pour le réveiller de sa transe.
Charro se réveille d’un coup.
– Ou suis-je ?
– Avec nous tes amis, répond Ogrenord.
– Mais je suis tout trempé !
– Que veux-tu, il fallait bien te sortir de cette danse devenue infernale….
– Mais comment, qui m’a drogué ? dit Charro d’un air frondeur.
– Holà du calme, ordonne Ogrenord. Mes amis et moi on ne t’a pas drogué, tu nous as bien amusé mais tu ne t’arrêtais plus de danser et avant que tu ne deviennes épuisé…
Charro pense : - Est-ce ce petit morceau d’Irradie que je me suis mis dans la bouche ? -Ce doit être cet Irradie que j’ai gouté, dit-il à la ronde.
– C’est une explication, réponds Ogrenord. C’est un aliment très puissant tu sais. D’ailleurs, je ressens un petit creux…
– Bonne idée répondent en chœur les Cris, allons nous rassasier nous avons quelques viandes de bois à vous faire gouter.
Et ils se mettent à table. Façon de parler puisque pour les Cris, en plein bois, il n’y a pas de table mais bien du sapinage étendu au sol.
– Voyez, nous avons du caribou, du castor et des truites. Régalons-nous !
– Je prendrais bien un ou deux gros caribous, dit Ogrenord.
– Voilà pour toi ami Ogrenord répond un Cri, un beau gros caribou frais chassé d’hier avant votre arrivée, et bien cru.
Devant ces viandes des bois, offertes à même le sol, et crues de surcroit, Charro a un haut-le-cœur. Beurk ! Mais comment je mange ça, moi ?
– Hé, Charro ne fait pas le fier sert-toi. Disent les Cris.
– C’est que je n’ai pas vraiment faim…
– Après tes contorsions de cette nuit tu dois bien avoir un appétit d’Ogre ! Non ? Fais comme ton ami et bâfre ! Ogrenord, ça dégouline de partout sur ta fourrure, un vrai ogre sans manières !
Charro se décide à gouter du bout des lèvres un petit morceau de caribou.
– Hum ! Mais c’est très bon et délicat on dirait du bœuf mais plus tendre.
Ogrenord lance un rot titanesque et un vent bien senti, et bien repus les amis discutent sur leur pays (le ton utilisé entre eux devient plus docte). Prêtons l’oreille et écoutons-les parler librement :
– Et oui frères, notre Eeyou istchee est devenue le Territoire de la Baie James.
Ce barrage au loin a détourné l’Eastmain vers la rivière Chisasibi (la Grande rivière) plus au Nord pour des ouvrages hydro-électriques. Électricité pour le sud, pas vraiment pour nous. « Frasques et fric » comme on dit. La rivière que tu vois ici, l’Eastmain, a été réduite à un mince filet d’eau en aval près de notre village au nom cri de « Wapanoutauw » qui est maintenant situé dans un estuaire d’eau salée par la baie d’Hudson.
Saviez-vous que le nom « Cri » vient des Français qui nous appelaient « Kiristinons » du nom du Christ ?
Mais notre vrai nom est « Ndooheenou ». Avant nous étions un peuple nomade mais nous vivons maintenant dans neuf communautés. Il nous faut manger moins de poissons qu’avant parce qu’il est contaminé au mercure, un poison très toxique. Il y a aussi le diabète qui se propage, l’obésité…Mais on garde des traditions de chasse et pêche.
– Hé, j’ai arrêté de manger du poisson parce que cela me donnait mal à l’estomac, dit Ogrenord. Et mes rots puaient mes amis…Ahahahahah !
– Ogrenord, quel diable tu fait ! ris ensemble les compères.
À l’origine le poste de traite des fourrures de la Compagnie de la Baie d’Hudson, s’appelait le « East Main House », dit un des Cris.
– Et maintenant le Sud fait d’autres barrages et détournements de rivières.
– Tu vois Charro que parfois on ne s’amuse pas toujours dans nos Terres parce que le Sud veut s’accaparer de nos richesses.
– Moi des richesses je n’en vois pas, répond Charro. Je vois des rivières, des montagnes, des petits arbres…mais des richesses…Lesquelles ?
– Mais Ogrenord ne t’as rien dit sur les pierres brillantes ?
– Heu, non, à part l’Irradie…Mais je t’ai parlé aussi de ces pierres qui brillent très fort au soleil, répond Ogrenord.
– Oui, ce sont des « diamants », je crois, reprend Charro.
– Des diamants, dis-tu ? demandent en un souffle les Cris. Si ce sont bien des diamants cela vaut très cher. - Tu savais Ogrenord que c’était des diamants ?
– Ah non je ne sais pas moi ! S’étonne Ogrenord. Qu’ai-je à faire de vos supposées richesses ! Moi ma richesse c’est la vie, l’Irradie, les cailloux croquants ; m’amuser avec les éclairs, sauter les montagnes, me bercer dans les rivières, courir après les aurores boréales…
– Oui, oui on sait disent les Cris mais s’il y a des diamants sur nos Terres…C’est une autre histoire. On verra bien à cela, mais maintenant allons au village de Chisasibi voir ce qu’ils deviennent par là.
– Hé, Charro une petite danse avant de partir, pour nous mettre en train ? lance Ogrenord sourire en coin.
– Plus tard mon cher Ogrenord, plus tard…J’ai le tract de l’artiste.
– Let’s take the Jame’s Bay Road…disent en chœur les Cris.
– D’accord, Charro et moi prenons un des pick-up. Les derniers arrivés payent le p’tit caribou …
– Allons faire « La Paix des Braves » ! Et la bande de s’esclaffer tout en se mettant en route vers Chisasibi au lieu-dit La Grande Rivière.
Suivez Charro et Ogrenord dans le conte fabuleux en feuilleton qui les réunit :
Épisode 4 : Chisasibi en pick-up dernier cri…