– Tu as bien dormi ? Demande l’Ogrenord à son ami
– Oh, oui à merveille. J’ai rêvé à des tas de pierres précieuses comme tu m’as montré hier soir. Il y en avait des barils bien remplis.
– Ah mais tu verras de tes propres yeux toutes sortes de pierres miroitantes.
– De toutes sortes ? Reprend Charro.
– Et de toutes les couleurs soit en assuré.
Sur ce, nos deux compères se sentant l’estomac creux partent à la recherche d’aliments comestibles.
– J’ai de quoi me nourrir dans ma besace, dit Charro.
– Pour toi mais pour moi ? Il me faut des aliments très nourrissants qui me permettent de me garder en forme et plein de vigueur. Mon garde-manger n’est pas loin d’ici, répond Ogrenord.
Les deux amis grimpent le mont Yapeitso, et contemplent un moment le levé du soleil qui resplendit sur tout l’Otish. Charro en est époustouflé : un spectacle comme un bijou étincelant...Cela est si beau et si grandiose, comment ce pays a-t’il été ignoré si longtemps et abandonné à un ogre, se demande-t-il.
– Alors tu viens ? dit Ogrenord. Accroche-toi à ma fourrure, nous irons bien plus vite.
Et de quelques enjambées au-dessus des vallons, nos amis arrivent à un endroit scintillant mais fort différent.
– Voilà mon garde-manger dit l’ogre. Des pierres dures, fortes qui me nourrissent et me permettent de marcher très longtemps hiver comme été.
– Et qu’est-ce donc ? Questionne Charro.
– C’est de l’Irradie, ça ragaillardi un ogre crois-moi !
– Et je pourrais en manger ?
– Ah je ne sais pas quel effet cela aurait sur toi. Nous ogres, on en mange depuis l’aube des temps, si longtemps qu’aucun ogre n’a pu en dire sa provenance. Un don de la nature fait aux ogres selon la légende du « Bouclier de la Terre »…
Et Ogrenord se met à mâcher avec force un tas de roches qu’il engouffre dans sa large bouche. Ses oreilles rougissent, son visage se tord, il a des hoquets mais bientôt il est rassasié et plein de tonus.
– Ouah, c’est dur à avaler ?
– Oui, on ressent un drôle d’effet mais toute l’énergie se dégage dans le corps. Une énergie forte, fiable pour toute la journée. Veux-tu essayer ?
Charro prend un petit morceau, le met à sa bouche et le recrache aussitôt. Bien trop fort pour moi au gout et cette sensation de brulure ardente, qu’est-ce que c’est ?
– C’est le secret de l’Irradie….Tu t’y habitueras peut-être un jour…
– Ce jour là n’est pas arrivé, crois-moi, répond Charro. J’aime mieux mes produits frais dans ma besace et pour le moment je m’en contenterais. Mais il prend la peine de mettre une petite pierre dans sa besace, au cas…
– Quand tu seras vraiment fatigué nous en reparlerons.
Après ce copieux déjeuner, Charro et Ogrenord partent à la découverte d’autres lieux du Nord.
– Tu sais Charro, l’Otish est le centre de ce que tu appelle ton Québec. Et c’est mon centre à moi aussi, mon lieu de repos, mon garde-manger, ma quiétude spirituelle. …
– Je te crois, je te crois, mais moi j’ai le gout de m’amuser et toi aussi je pense ?
– Mais oui, amusons-nous. Suivons une des grandes rivières qui nous entourent. Celle-ci, tu la vois ? Ton espèce la nomme l’Eastmain. Pour nous c’est la Rivière royale. Allez, grimpe sur mon ventre et le courant va nous entrainer très vite.
Les deux amis rejoignent la rivière, se jettent à l’eau et partent dans le courant en lâchant des cris à effrayer les oies et les outardes qui nichent sur les bords. Et les corbeaux leur lancent : Où allez-vous, où allez-vous ? Nous visitons le Nord et batifolons ! Répondent les compères.
Pendant leur traversée, Charro pense, tout en s’accrochant fermement : - Quelle est donc cette roche brûlante, cette Irradie, qui n’est pas mangeable et à quoi pourrait-elle bien servir à moi ou mes amis ?
– Hé, attention à ce gros rocher ! Crie Charro à son ami.
– Ne t’en fais pas, je l’ai vu et on va rebondir dessus.
– Yahouuuu. Sitôt dit, sitôt fait, les deux amis sont propulsés prodigieusement dans les airs et amerrissent dans un grand bassin d’eau calme. Plus de rapides, plus de rivières.
– Voilà, dit l’ogre je devrais ramer pour arriver au Grand mur.
– Et quel mur ? Demande Charro
– Le mur qui stoppe la rivière royale. Un de ceux que vous avez faits voici longtemps.
– Que nous avons faits ?
– Mais oui, vous les petits hommes qui travailliez sans cesse comme ces fourmis et ces abeilles. Mon Nord n’est plus ce qu’il était tu sais. Des petits comme toi sont venus et ont disons un peu transformé mon pays. Moi et mes amis Cris avons appelé cela des frasques pour faire le fric : d’où frasquesetfric. Tu saisis ? On nous a joué un mauvais tour, ce Grand mur que vous appelez barrages et d’autres ; vous, vous avez le fric, cette chose immangeable et sans allure que vous admirez tant.
– Charro ne saisît pas tout de suite. Comment peut-on en faisant des frasques faire du fric ? Et le fric c’est important. Comment l’ogre peut-il dire cela. Je vais y méditer et je comprendrais sûrement. – Et comment fait-on pour traverser ce Grand mur ?
– Faut d’abord s’y rendre. Mais regarde qui sont là près de la rive, mes amis, du peuple Cri. Ils aiment bien me voir de temps en temps et la bonne humeur règne pas vrai Charro ? Allons les rencontrer.
Et en quelques larges coups dans l’eau de ses grands bras, l’ogre et Charro atteignent la rive.
– Hé, regardez c’est Ogrenord. Venez, venez nous rejoindre. - Waachiye. Chi mituurmitinaan Eeyou istchee*, frère ogre (amis lecteurs reportez-vous au lexique ici-bas) ! - Oh mais qui est ce petit homme étrange ? Demandent en chœur les Cris.
– Voici mon nouvel ami Charro. Frères Cris voici…
Charro lève un bras et se met à danser sur lui-même dans une espèce de danse frénétique…
Tous se regardent interloqués et partent d’un grand rire qui se répercute au loin dans ce grand lac artificiel du pays des Cris….
– Comme vous le voyez il est venu ici pour m’amuser. Et il commence bien ! Déclare l’Ogrenord dans un immense éclat de rire qui ressemble davantage à un grondement de chutes…
*Waachiye : bonjour
Chi mituurmitinaan : bienvenue chez nous
Eeyou istchee : Terre des Cris
À suivre dans le 3e épisode des fabuleuses aventures de Charro au pays de l’Ogrenord… « Eeyou istchee »
Claude Charest
Affabulateur