Bien des experts se sont jusqu’ici penchés sur les aspects scientifiques et techniques du projet de pipeline Énergie Est de la société TransCanada, et ont décrit les mesures qui devraient être prises pour en assurer au mieux la fiabilité. D’autres ont mis l’accent sur les aspects économiques du projet : création de richesses, création d’emplois, retombées économiques, etc. Mais, comme chacun le sait, les solutions techniques ne fonctionnent que dans un monde idéal et à condition d’être scrupuleusement mises en œuvre, et l’économie est loin d’être une science exacte (n’en déplaise à certains).
Mais peu importent les arguments invoqués, il est quand même difficile de concevoir que l’on puisse être en faveur d’un tel projet à la lumière de toutes les données actuelles sur le réchauffement climatique et compte tenu de l’urgence d’amorcer une transition énergétique ordonnée. Les scientifiques ont en effet clairement établi que l’exploration et l’exploitation des réserves d’énergies fossiles difficiles d’accès, comme le pétrole en eaux profondes ou les sources non conventionnelles, n’ont pas leur place dans cette transition.
Pourquoi alors construire un pipeline qui permettrait à l’industrie des sables bitumineux de tripler à terme sa production, avec les conséquences désastreuses que l’on sait sur l’environnement et le réchauffement climatique ? Pourquoi construire un pipeline alors que cela ne peut qu’aller à l’encontre des audacieux engagements que vient de prendre le Canada à la COP21 ?
En fait, la principale raison de cet entêtement semble être de sortir l’Alberta du pétrin dans lequel elle s’est enfoncée à cause de l’aveuglement de ses dirigeants, soutenus par un gouvernement fédéral plus que complaisant. Incapables de se faire à l’idée que l’âge d’or est terminé, nos concitoyens des Prairies ont du mal à admettre que, pour assurer leur survie et celle de la planète, il leur faudra dorénavant réduire leur production de pétrole et diversifier leur économie.
Si bien que certains, privés de l’accès à la manne pétrolière qu’ils croyaient inépuisable, sont tentés d’en faire une question d’unité nationale. Pour eux, c’est pour sauver le Canada qu’il faudrait construire tous ces pipelines ! Et ceux et celles qui s’y opposent seraient de mauvais Canadiens, dépourvus de tout sens de la solidarité !
Comment peut-on en venir à invoquer de tels arguments, alors que la véritable question n’est pas de sauver le Canada, mais bien de sauver la planète et les humains qui y vivent ?
Il est indéniable que le virage sera difficile à prendre ! Mais ce n’est pas impossible. Et nos amis albertains et saskatchewanais pourront compter sur la compassion et l’aide de tous leurs concitoyens préoccupés par l’avenir de la planète et le bien-être des générations à venir. Les milliards que l’on voudrait investir dans ce projet sans avenir seront mieux placés dans les multiples initiatives de transition énergétique que nous n’avons, de toute façon, pas le choix de mettre en œuvre.
François Prévost
Membre du Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec