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De nombreux scrutins, locaux et nationaux, ont lieu un jour d’élection générale aux Philippines. Certains sont locaux et régionaux, mais trois d’entre eux sont nationaux :
• Les élections à la présidence et à la vice-présidence. Il s’agit de deux votes séparés si bien que les vainqueur.es peuvent appartenir à deux partis opposés (cela est déjà arrivé plusieurs fois et c’était précisément le cas actuellement avec Rodrigo Duterte à la présidence et Leni Robredo à la vice-présidence [1], cette dernière se voyant privé de tout rôle par le premier).
• Le renouvellement pour moitié du Sénat (ou Chambre haute du Congrès). Il est composé de 24 membres élus pour 6 ans, mais renouvelable pour moitié tous les 3 ans : les 12 candidat.es ayant obtenu les plus de voix sont déclaré.es élu.es. En l’état actuel des votes, il semble que la seule candidate progressiste à même d’être élue soit Risa Hontiveros, du parti Akbayan (elle se trouve en onzième position).
• Les député.es à la Chambre des représentants (parlement) sont élu.es par circonscriptions, mais, depuis 1987, 20% des sièges sont réservés à des listes partidaires (Party Lists) élues sur le plan national. L’objectif initial de cette réforme était de permettre à des formations qui n’avaient aucune chance de l’emporter dans un scrutin à un tour face aux puissances établies d’obtenir des député.es et de représenter des secteurs sociaux populaires. Les « grands » partis n’avaient pas le droit de se présenter à ce scrutin. Pendant un temps, cela a effectivement permis l’élection de député.es appartenant à la gauche militante, mais les politiciens traditionnels (trapo) ont fini par reprendre la main en y présentant de multiples partis bidons.
Des élections démocratiques ?
On ne saurait parler d’élections libres tant le président sortant, Rodrigo Duterte a banalisé un régime de terreur (multiplication des exécutions extrajudiciaires, arrestation arbitraire d’opposant.es [2]…). Il a assuré la plus grande impunité aux forces de répression. Dernièrement, il a engagé une guerre à outrance contre des mouvements progressistes dans la grande île méridionale de Mindanao. Concernant l’organisation du scrutin, dans un rapport publié le 17 mai, une mission d’observation mandatée par la ICHRP [3] relève nombre de problèmes concrets : niveau élevé de dysfonctionnements du système électronique de vote, mauvaise tenue des listes électorales, campagnes de dénigrement de candidat.es et fakenews via les réseaux sociaux, menaces proférées contre les « rouges » (réels ou supposés)…
L’utilisations des réseaux sociaux, de Facebook, TikTok ou Youtube par le pouvoir atteint des sommets aux Philippines, or une grande partie de la jeunesse, accro aux téléphones portables n’est connecté que par ce biais, en particulier dans les milieux populaires.
Le retour du clan Marcos
Après avoir imposé un régime de loi martiale, en 1972, Ferdinand Marcos a véritablement privatisé l’appareil d’Etat au profit de son clan et de ses alliés, excluant de tout pouvoir les grandes familles rivales. Ce n’est qu’en 1986 que la dictature a été renversée lors de la « révolution d’EDSA [4] » combinant une rébellion militaire minoritaire et une vaste mobilisation populaire, Marcos devant être exfiltré du pays par Washington.
Le retour en puissance du clan Marcos est donc un événement. Il est l’aboutissement d’un processus durant lesquels plusieurs président.es ont progressivement réhabilité la famille, entravant les poursuites entamées contre Imelda Marcos, veuve de Ferdinand, pour les crimes commis durant le règne du couple dictatorial et permettant en 1991 le retour des exilés au pays. Il a été sanctionné par l’alliance nouée pour les élections du 9 janvier entre Ferdinand Marcos Jr, dit « Bongbong » (BBM), fils non repenti de son père se présentant à la présidence et Sara Duterte, fille non repentie de son autocrate de père, se présentant à la vice-présidence. Le ralliement d’autres importants clans familiaux en ont fait une alliance gagnante.
Les alliances entre grandes familles jouent un rôle prépondérant dans le jeu politique et institutionnel philippin. Le pouvoir des dynasties politiques est enraciné dans une province ou région déterminée : Ilocos Norte pour les Marcos dans le Nord ou Davao pour les Duterte à Mindanao. Elles investissement les institutions parlementaires, lieu de négociations permanentes pour le partage des prébendes.
Aujourd’hui, les Marcos ramassent la mise, bien plus, semble-t-il, que les Duterte. Bongbong, un bon orateur populaire, charismatique, a promis monts et merveilles durant sa campagne électorale. Gageons que le clan (et Imelda) est avant tout avide de rétablir sa prépondérance et sa richesse d’antan. Pouvoir et argent sont au cœur des joutes électorales. Une élection coûte très cher et la gagner doit beaucoup rapporter. Ainsi, les flux d’argent que les élu.es contrôlent leur permettent de distribuer des postes lucratifs et d’alimenter les réseaux de patronage, nouant un rapport plus profond que le simple achat de vote (qui existe aussi), impliquant une certaine réciprocité pour assurer dans la durée une base clientéliste.
La fabrique électorale des Philippines est complexe. Le régionalisme est ancré dans la géographie d’un archipel montagneux et les complexités du passé coloniale, ainsi que dans les identités culturelles : les Philippins parlent de nombreuses langues et dialectes. Certaines églises jouent à fond la carte du clientélisme, s’assurant des entrées dans les sphères du pouvoir en dictant le vote de leurs fidèles. L’un des grands enjeux des forces de gauche est de surmonter cette fragmentation des couches populaires, sans prétendre effacer pour autant la diversité des histoires régionales.
Cette reconnaissance des diversités est évidemment particulièrement importante là où vivent les peuples montagnards (dans le nord et à Mindanao) et les populations musulmanes (dans le centre et le sud de Mindanao notamment).
Leni Robredo : la dynamique d’une campagne
La Commission électorale (Comelec) accorde 59% des voix à Bongbong et 28% à Leni Robredo – le candidat suivant n’en obtenant que 7%, alors qu’il s’agit de Manny Pacquiao, boxeur un temps révéré devenu sénateur. La Comelec n’étant pas réputée pour sa probité et son efficacité dans le combat contre la fraude électorale, on peut être certain que le résultat dont Leni est créditée n’est pas surestimé.
La candidate d’opposition a rassemblé des votes venus de divers horizons. Elle n’est pas une personnalité flamboyante et charismatique, mais elle a mené une campagne de terrain qui a connu une véritable dynamique militante, réunissant jusqu’à 20.000 personnes lors de certains rassemblements. Ce n’était pas gagné d’avance.
Leni Robredo, membre du Parti libéral et vice-présidente sortante des Philippines, a cette fois fait campagne comme candidate indépendante. Elle était néanmoins identifiée aux Aquino, dont le PL est le parti, bien qu’elle n’ait aucun rapport de parenté avec eux. Or, Ferdinand Marcos (père) avait fait assassiner Benigno Aquino en 1983 et sa veuve Corazon avait été portée au pouvoir lors de la « révolution d’EDSA » en 1986. La confrontation électorale semblait ainsi être le énième épisode du conflit perpétuel entre ces deux dynasties. Or, une grande partie des Philippins ignorent ce que furent les temps de la dictature, un passé déjà lointain systématiquement éradiqué des mémoires et transfiguré en un mythique âge d’or. En revanche, ils ont vécu l’avortement des promesses de réformes progressistes de 1986 et l’arrogance au pouvoir du clan Aquino (ancré à Tarlac, dans le Centre Luzon). La présidence (2010-2016) de « Pinoy », Benigno « Nonoy » Aquino III, a été particulièrement discréditante. C’est l’une des raisons qui expliquent que le temps était venu pour les Marcos de prendre leur revanche.
Leni Robredo, avocate des droits humains, était, intervenue très activement contre l’épidémie Covid-19, dénonçant l’inaction du régime Duterte. Son intégrité personnelle est reconnue, a cependant réussi à sortir de ce cadre imposé. Elle a incarné une alternative démocratique face au bloc Marcos-Duterte et impulsé la constitution du Pink Movement [5], ouvert à de nombreuses organisations syndicales, sociales, civiques, à des réseaux de volontaires, avec la participation active de nombreux jeunes et recevant le soutien de partis de la gauche militante. Compte tenu des circonstances, que la Comelec ait dû la créditer de la deuxième place est, semble-t-il, un signe de succès.
Une autre liste de gauche se présentait avec Leody De Guzman pour la présidence et Walden Bello pour la vice-présidence. Leody est un militant ouvrier, un dirigeant du Partido Lakas ng Masa (PLM, Parti de la force des masses). Walden, ancien député pour Akbayan, est très connu dans les cercles altermondialistes internationaux. Leody est crédité par la Comelec de 0,17% (huitième candidat sur dix) et Walden de 0,19% (septième candidat sur neuf). L’objectif spécifique de ce tandem était de populariser la perspective socialiste, il a ouvert un espace de discussion de fond dont les militant.es ont pu profiter.
Il est toujours délicat d’écrire de France un article sur un sujet aussi complexe que la portée d’élections aux Philippines avant de connaître le bilan que les forces progressistes en tire aux Philippines même. L’expérience de la campagne de Leni Robredo devait, aux yeux des courants populaires qui s’y sont investis, assurer les fondements d’une résistance durable à la présidence Marcos (qui prendra effet le 30 juin). Là encore ce n’est pas gagné d’avance, mais l’impulsion est donnée. Lors d’un rassemblement, le 13 mai, Leni a ainsi déclaré que « ce jour n’est pas une fin, mais le début d’un nouveau chapitre ».
Pierre Rousset
Notes
[1] Lors des élections de 2016, Leni Robredo avait été élue vice-présidente face à la candidature de Bongbong Marcos, fils du dictateur Ferdinand Marcos, qui l’a cette fois emporté contre elle à la présidence. Ce n’était que la seconde femme a occuper ce poste.
[2] La plus connue, incarcérée depuis 5 ans, est la sénatrice Leila De Lima.
[3] The International Observer Mission, sponsorisée par l’International Coalition for Human Rights in the Philippines (ICHRP).
[4] Du nom de l’avenue où se trouvaient les casernes militaires rebelles et les manifestant.es : Epifanio de los Santos.
[5] Mouvement rose – le rose est la couleur choisie par la candidate pour rendre sa campagne plus visible et aider l’électorat à s’y retrouver. Elle a délibérément choisi une couleur différente du jaune, qui était celle de Corazon Aquino en 1986, pour ne pas s’inscrire dans sa continuité.
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