Tiré de Entre les lignes et les mots
À l’origine de cet arrêt de la CJUE, une ressortissante turque d’origine kurde, de confession musulmane et divorcée, explique avoir été mariée de force par sa famille, battue et menacée par son époux. Craignant pour sa vie si elle devait retourner en Turquie, elle a demandé l’asile en Bulgarie. Le juge bulgare, saisi de l’affaire, a décidé de poser des questions à la Cour de justice.
La Cour opère une grande avancée pour les femmes qui demandent l’asile. Selon elle, les textes européens doivent être interprétés dans le respect des conventions internationales relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes telles que la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (dite « CEDEF ») et la « Convention d’Istanbul ».
Or, la Convention d’Istanbul stipule que la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre doit être reconnue comme une forme de persécution permettant l’octroi du statut de réfugié. La Cour relève par ailleurs que le fait d’être de sexe féminin constitue une caractéristique innée et que « il y a lieu de relever, en particulier, que le fait pour des femmes de s’être soustraites à un mariage forcé ou, pour des femmes mariées, d’avoir quitté leurs foyers, peut être considéré comme une « histoire commune qui ne peut être modifiée ».
La Cour indique par ailleurs que les femmes, dans leur ensemble, peuvent être regardées comme appartenant à un groupe social selon la Convention de Genève et bénéficier du statut de réfugié lorsqu’elles sont persécutées en raison de leur genre. C’est le cas si, dans leur pays d’origine, elles sont exposées, en raison de leur sexe, à des violences physiques ou psychologiques, y compris des violences sexuelles et domestiques. Jusqu’à présent, les femmes devaient démontrer appartenir à des groupes sociaux créés par la jurisprudence en France (personnes victimes de la traite des êtres humains, fillettes et jeunes filles risquant l’excision, personnes persécutées du fait de leur orientation sexuelle ou identité de genre, etc.)
Avec cette nouvelle analyse de la CJUE, les femmes victimes de violences et risquant le féminicide ou d’autres formes de violences devraient pouvoir prétendre à l’octroi d’une protection du seul fait d’être une femme, même en l’absence d’autre motif de persécution.
Les instances de l’asile doivent dès maintenant se saisir de cette décision pour accorder une protection aux femmes qui subissent des actes de persécution y compris des pratiques discriminatoires systématiques. Cette décision pourrait également permettre une harmonisation des protections accordées au niveau européen aux femmes victimes de persécutions parce qu’elles sont des femmes. Nos associations resteront particulièrement vigilantes sur l’interprétation qui sera faite de cet arrêt en France et veilleront au respect des droits et l’amélioration de la protection des femmes exilées.
1er février 2024
Signataires :
Les associations du réseau ADFEM (Actions et droit des femmes exilées et migrantes [1])
ARDHIS (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour)
Centre Primo Levi
GAS (Groupe accueil et solidarité)
[1] La Cimade, Comede (Comité pour la santé des exilés), FASTI (Fédération des associations de solidarité avec tou·te·s les immigré·e·s), Femmes de la Terre, Fédération nationale des CIDFF, FNSF (Fédération nationale solidarité femmes), GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s), LFID (Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie), RAJFIRE (Réseau pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées)
http://www.gisti.org/spip.php?article7171
https://www.lacimade.org/presse/droit-dasile-enfin-la-reconnaissance-du-groupe-social-des-femmes/
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