Les différentes initiatives mises en place au niveau international pour traiter le problème de l’endettement des pays du Tiers Monde sont-elles efficaces ? Non, répond Renaud Vivien, juriste et membre du Comité pour l’abolition de la dette du Tiers Monde (CADTM). Pour lui, il n’y a qu’une seule solution envisageable : l’annulation totale et inconditionnelle de la dette financière des pays en développement. Explications.
Les promesses d’annulation de dette formulées par les grands bailleurs de fonds internationaux ont-elles été tenues ?
Non. En 2005, lors du Sommet de Gleneagles, en Écosse, les dirigeants du G8 ont décidé de prendre une décision qu’ils ont eux-mêmes qualifiées d’"historique" et que les médias ont largement relayée comme telle : éliminer 100% de la dette des pays les plus pauvres. Mais cette annonce ne s’est malheureusement pas concrétisée, ou à peine. Le montant total de l’allégement n’a représenté que 55 milliards de dollars, alors qu’à l’époque, la dette publique extérieure de l’ensemble des pays en développement (PED) s’élevait à 1.330 milliards de dollars. De plus, les allègements de dette octroyées dans le sillage de cette décision n’ont souvent eu qu’un effet positif à court terme sur les pays concernés. En fait, la situation n’a fait qu’empirer depuis lors, puisqu’en 2009, on estimait à 29 le nombre de PED ayant une dette insoutenable, soit le double de pays qui étaient rangés dans cette catégorie avant l’éclatement de la crise mondiale en 2008.
La volonté politique n’y est donc pas ?
Non, très clairement. Or, elle seule permettra de mettre un terme à cette injustice et elle passe nécessairement par l’annulation totale et sans condition de toutes les dettes odieuses et illégitimes. La Norvège a emprunté momentanément cette voie, mais elle n’est pas suivie par les autres pays du Nord, qui continuent à faire front au sein du Club de Paris contre les pays endettés, malgré les preuves manifestes d’illégitimité de la dette. On pourrait penser que seuls, les pays n’ont qu’une très faible marge de manœuvre, mais c’est faux. Les suspensions de remboursement, les audits et les déclarations de nullité de dette constituent des actes souverains légitimés par le droit international public, que les créanciers doivent reconnaître. D’ailleurs, les décisions prises récemment par l’Équateur, le Paraguay et la Norvège, et qui allaient dans ce sens, n’ont pas entraîné de rétorsion économique.
Et d’après vous, que devraient faire les pays en développement ?
Eux aussi sont confrontés à un vrai choix politique : continuer à rembourser ou stopper immédiatement le paiement du service de la dette. Pour le CADTM, il est clair que c’est cette dernière option qui doit être prise, car elle repose sur des arguments juridiques tels que l’obligation pour les États de respecter en priorité les droits humains des populations. De toute façon, tout prêt contracté en violation de normes de droit international et national ou détourné par les pouvoirs publics avec la complicité des créanciers n’a aucune valeur légale. Pour identifier toutes ces dettes contractées de manière illicite et donc légitimer leur annulation sans conditions, il est urgent de mettre en place des audits de la dette. L’audit de la dette constitue en effet un acte unilatéral qui peut être posé par tous les Etats.
C’est d’ailleurs une recommandation principale de l’actuel Expert indépendant de l’ONU sur la dette externe. Le CADTM est également en faveur de la mise en place d’audits de la dette au Nord car nombre de dettes contractées par les pays riches n’ont pas profité aux populations du Nord. Enfin, il convient ici de dénoncer le chantage des créanciers qui consiste à dire que si les pays du Sud agissent unilatéralement sur leurs dettes, ils seront ensuite privés de l’accès aux marchés financiers pour financer leur développement. Or, cet argument est irrecevable, car, à l’exception des pays dits émergents (comme le Brésil et l’Inde) et de certains pays riches en ressources pétrolières (comme le Nigéria), l’écrasante majorité des PED n’a, à l’heure actuelle, toujours pas accès à ces capitaux internationaux. Il ne faut, de plus, pas oublier que les transferts du Sud vers le Nord sont largement supérieurs aux transferts du Nord vers le Sud. Pour donner un exemple, on évalue la fuite des capitaux d’Afrique subsaharienne à 400 milliards de dollars entre 1970 et 2005, soit près du double de la dette extérieure totale du sous-continent (215 milliards dd dollars en 2005). C’est donc bien le Sud qui finance le Nord, et non l’inverse.
De nombreuses organisations (ONG, syndicats, mouvements sociaux, etc.) plaident pour une annulation de la dette, mais souvent en ordre dispersé…
C’est exact. Toutes ne partagent pas exactement la même position et la même stratégie. Les unes, comme le réseau international CADTM, pensent que l’annulation de la dette doit aller de pair avec une mise en cause du système capitaliste dans son ensemble. Les autres pensent qu’il faut libérer les pays du fardeau de la dette en accompagnant de manière critique la stratégie du FMI et de la Banque mondiale sans remettre en cause la logique sous-jacente. Le premier défi du mouvement contre la dette est donc de renforcer les synergies pour concrétiser ses revendications.
L’Église catholique s’est beaucoup investie dans ce combat. Quelle est sa position aujourd’hui ?
À la fin des années 1990, l’Église catholique et plusieurs Églises réformées ont effectivement donné un nouvel élan à la campagne internationale contre la dette des pays du Tiers Monde, en vue du Jubilé de l’an 2000. Selon la Bible, tous les cinquante ans, une remise exceptionnelle de dettes doit être effectuée. Cela a donné lieu à de nombreuses manifestations, ainsi qu’au dépôt de la plus grande pétition de l’histoire de l’humanité (24 millions de signatures collectées entre 1998 et 2000), à Cologne lors du sommet du G7. Sous la pression populaire, celui-ci a opté pour une nouvelle stratégie basée sur l’annulation des dettes jugées "insoutenables".
Le problème est que celle-ci est restée assortie de conditionnalités, comme "la bonne gouvernance". En fait, rien n’a donc vraiment changé. La logique est restée la même. Après le Jubilé de l’an 2000, l’Église catholique – estimant qu’elle avait obtenu ce qu’elle voulait, c’est-à-dire l’allégement de la dette – s’est malheureusement désinvestie de ce combat. Je pense qu’elle voyait cela comme un acte de charité. Or, ce que nous voulons, nous au CADTM, c’est un acte de justice. Nous ne nous limitons pas à revendiquer l’annulation totale et inconditionnelle de la dette extérieure publique des PED et l’abandon des politiques d’ajustement structurel (voir édition précédente) imposées à ces pays. Nous réclamons également des réparations pour les dommages causés au Sud du fait de la dette historique, écologique , sociale et culturelle de l’Occident.
Recueilli par Pascal ANDRÉ
Petit lexique
Clubs de Paris : Organisme chargé de gérer la dette des pays pauvres, créé en 1956, bien avant l’explosion de la crise de la dette au début des années 1980. Le Club regroupe les États créanciers (dont la Belgique), qui se réunissent à Paris afin de réexaminer l’endettement de tel ou tel pays qui ne parvient pas à honorer ses échéances ; ils allongent généralement les durées de remboursement.
Le Club de Londres , quant à lui, est un organisme regroupant des établissements bancaires de nationalités diverses qui ont choisi de gérer en commun un problème ponctuel de dette internationale. Il est le pendant bancaire du Club de Londres.
Dette odieuse : Il s’agit d’une dette sans bénéfice pour la population, contractée par des dictatures avec la complicité des créanciers. Cette doctrine a été théorisée en 1927 par le juriste russe Alexander Sack.