Tiré du site Europe Solidaire, 8 avril 2020
mercredi 8 avril 2020, par ROUSSET Pierre
Le 5 avril, le South China Morning Post annonçait : « le débat sur les masques est clos. Hong Kong avait raison depuis le début ». L’OMS venait enfin de reconnaître que leur port était nécessaire pour lutter contre la pandémie. C’était une évidence — niée trois mois durant par le gouvernement français.
L’exemple sud-coréen
La Corée du Sud est un important contre-exemple par rapport à la Chine, dont on aurait bien fait de s’inspirer. Cela avait mal commencé. Des milliers de membres d’une secte évangélique, Shincheonj, sont revenus de Wuhan (où la pandémie a commencé) dans la région de Daegu, provoquant une explosion de contaminations. Cela n’a pas empêché le pasteur fanatique Jeon Gwanghoon de déclarer qu’il n’y avait pas danger et que Dieu protègerait les membres de son Eglise. Le fonctionnement monolithique, secret, de cette secte a considérablement entravé le travail d’investigation des autorités chargées de dépister la maladie. Le drame sud-coréen n’a pas empêché la secte évangélique française et charismatique « la Porte ouverte chrétienne » de répéter le scénario à Mulhouse, du 17 au 21 février. Les mêmes causes ont produit les mêmes effets et le Haut-Rhin est devenu l’épicentre du pire foyer de contamination en France.
La pandémie s’est donc déclenchée en Corée avec une brutalité que nous n’avons pas connue si ce n’est, peut-être, dans le Grand Est. Pourtant, l’épidémie reste là-bas maîtrisée avec 10.284 cas officiellement confirmés et 187 morts au 5 avril 2020. Le président Moon Jae-in avait d’abord banalisé la situation, mais la riposte s’est rapidement organisée : production massive de tenues de protection et tests de dépistage, distribution généralisée de masques, imposition précoce des mesures de distance physique... Le dépistage systématique a permis de localiser rapidement de nombreux malades avant que des symptômes n’apparaissent, de les isoler et de rechercher qui avait pu être contaminé dans leur entourage.
La Corée du Sud a jusqu’à maintenant pu éviter le confinement de territoires ou du pays entier. Nul ne s’aventure cependant à faire des pronostiques quant à l’évolution future de l’épidémie. Le pays peut avoir à faire face à une seconde vague de contamination, mais, pour l’heure, il semble qu’il pourra éviter l’épineuse question du déconfinement, à la différence de la France.
Un désastre français
Résumons : comme le port de masques, les dépistages massifs sont essentiels. Une évidence — niée trois mois durant par le gouvernement français, qui n’a pas non plus mobilisé dès janvier l’industrie pour reconstituer les stocks de tenues de protection, de matériel d’intubation ou de tests et passer sans attendre des commandes d’achat massives à l’étranger.
Il héritait certes d’une situation d’impréparation désastreuse, mais il était parfaitement au courant du problème. Jérôme Salomon, médecin infectiologue, est le directeur général de la Santé publique depuis janvier 2018. Auparavant, devenu haut fonctionnaire, il avait intégré en 2001 le cabinet de Bernard Kouchner dans le pôle se sécurité sanitaire. Il a été conseiller, chargé de la sécurité sanitaire en 2013-2015, attaché à Marisol Touraine, ministre de la Santé. Proche d’Emmanuel Macron, il devient son conseiller durant la campagne présidentielle (et le prévient que le système sanitaire français n’est pas préparé à faire face à une grave épidémie).
Jérôme Salomon sait donc tout du passé et du présent sanitaire de la France. Emmanuel Macron en est informé. La ministre de la Santé de l’époque Agnès Buzin a avoué que le pouvoir était au courant, dès janvier, qu’il fallait se préparer à une pandémie. Néanmoins, il court depuis derrière l’épidémie, accumulant ratés et retards en tous domaines. J’ai vécu toute l’histoire de la Ve République. Je n’ai jamais connu de présidence et de gouvernement aussi incapables et lâches qu’aujourd’hui [1].
Terrible paradoxe, la France était probablement l’un des pays occidentaux les mieux préparés à faire face à une épidémie. De très importants stocks préventifs (matériel, vaccins, etc.), ainsi que des plans d’action en cas d’épidémie avaient été constitués sous l’impulsion, notamment, de Roselyne Bachelot ou Xavier Bertrand (ce dernier a cependant amorcé leur réduction). Ils ont cessé d’être renouvelés, puis ont été liquidés sous Touraine et la présidence Hollande, distribués aux hôpitaux et aux entreprises, à charge pour eux de les entretenir sans budget assigné... La présidence Macron a maintenu le même cap. La « culture » de la prévention anti-pandémique s’est perdue au sein de l’administration.
A l’arrière-plan, il y a évidemment la politique d’affaiblissement du service public hospitalier à laquelle ont contribué tous les gouvernements, droite et gauche confondus, depuis trente ans. En matière de santé, la France est devenue un pays dépendant. Riche, mais dépendant.
Une arrogance bien mal venue
Des semaines durant, le discours du pouvoir, et de Jérôme Salomon en particulier, a été d’une arrogance insoutenable à l’encontre des pays asiatiques dont nous avions tant à apprendre. Ils ont leurs cultures, disait-il, mais nous la nôtre et on est plus malin. Le temps passant, cette arrogance est devenue intenable. En Asie orientale, Sud-Coréens, Japonais, Vietnamiens se demandent sidérés comment les anciennes puissances coloniale peuvent se retrouver aussi démunies – la France, la Grande-Bretagne (ajoutons les Etats-Unis)..., à l’exception de l’Allemagne. Le leadership auquel prétend encore l’Occident en prend un sacré coup !
Le témoignage dans le Nouvel Observateur de Michael Sibony [2], qui séjournait au Vietnam, en dit plus que mille discours. Grâce à une politique systématique de confinement temporaire (pendant deux semaines) des personnes revenant au pays et des personnes contaminées, en testant méthodiquement leur entourage, en favorisant le port du masque et des gestes barrière, le pays a pu limiter radicalement le nombre de cas avérés et, jusqu’à aujourd’hui, n’a pas connu de décès Covid-19. D’où cette scène tristement désopilante : Sibony, avant son retour en France, achète en gros masques et gels et doit expliquer à une pharmacienne effarée que tous ce qui est à disposition dans son officine s’avère introuvable dans l’ancienne métropole coloniale.
Des arguments « culturels » mal venus ont agrémenté le discours des autorités en France. Tout d’abord, le port de masque, quand on est contagieux, n’est pas une affaire de culture, mais d’éducation. Il suffirait qu’il soit enseigné à l’école pour entrer dans les mœurs... Ensuite, le Japon n’est pas le pays de la distanciation sociale (physique). Certes, on se salue sans se toucher, mais on se retrouve aussi souvent dans des restaurants serrés épaules contre épaules sur des banquettes, dans une promiscuité bien plus intense qu’autour de nos tables...
La référence chinoise
Philippe, Premier ministre, et Véran, ministre de la Santé, ont affirmé que « l’on ne pouvait pas savoir », dénonçant violemment les critiques faciles, faites avec le bénéfice du recul. En janvier pourtant on en savait assez pour mobiliser immédiatement tous les moyens (il est vrai que le pouvoir était surtout préoccupé de la réforme des retraites). Je le dis d’autant plus facilement que j’ai écrit moi-même un premier article sur le sujet, publié le 16 février [3]. Je notais qu’il n’y avait pas d’épidémie en France (ce qui était alors vrai). Je ne pouvais affirmer, vu mes sources limitées, que l’épidémie viendrait (mais la présidence et le gouvernement le savaient, eux), cependant je donnais déjà beaucoup d’indications médicales (que faire ?) aux cas où... Et je soulignais notamment quatre points : ce qui se passe en Chine montre que la maladie est très dangereuse ; les premiers cas en France confirment qu’elle se propage sur le plan international ; tout retard dans la mise en œuvre de mesures fortes se paie extrêmement cher ; cacher la gravité d’un danger sanitaire n’est pas le propre du régime chinois, on en a eu plus d’un exemple en France.
La connaissance de la maladie a beaucoup progressé et il reste encore beaucoup d’inconnues. Cependant, en janvier déjà, il suffisait de voir ce qui se passait en Chine pour savoir que ce que l’on nomme aujourd’hui Covid-19 était une attaque de coronavirus particulièrement sévère.
La présidence et le gouvernement français n’ont pas voulu avertir immédiatement de la gravité du danger ni en prendre eux-mêmes la pleine mesure. Début mars encore, Macron s’est ostensiblement rendu au concert en disant « la vie continue ». Le premier tour des municipales a été maintenu le 14 du mois... Et l’on nous dit que tout ce qui pouvait être fait l’a été ?
Dans ces conditions, le point de référence du pouvoir français n’est pas la Corée du Sud (ou, humiliation suprême, le Vietnam), il reste le « modèle chinois » à partir duquel il faut réfléchir, en tenant compte de la taille du pays, mais aussi de l’extrême violence qui a accompagné le confinement. De nombreux témoignages sur Internet (vite censurés) illustrent la fureur d’une partie de la population face à l’incurie du régime et la violente répression qui a accompagné le confinement : portes d’appartement soudées par la police, refus de reconnaître que des malades sont atteints par Covid-19 (conditions de la gratuité des soins), patients incapables de payer et qui meurent dans la rue... Les chiffres officiels de décès en Chine sont massivement sous-estimés.
Dans l’étape qui s’amorce, la Chine (et singulièrement le Hubei, Wuhan) sera le laboratoire du déconfinement. Une période lourde de dangers épidémiologiques (le risque d’une seconde vague de contamination) et politiques pour le PCC. Des semaines cruciales s’annoncent.
L’Asie des pauvres
Dans une grande partie de l’Asie, dont l’Inde est le symbole, il est simplement impossible pour la majorité de la population de mettre en œuvre les mesures barrières élémentaires : promiscuité inévitable, manque de sanitaires ou d’accès à l’eau pour se laver les mains... Le confinement plonge la population dans des dilemmes insolubles, face à des régimes autoritaires ou dictatoriaux.
Aux Philippines, le président Duterte a d’abord prétendu que l’ADN des Philippins les protégeait de Covid-19, puis que le peuple devait le protéger (lui), avant d’instaurer le confinement national. Il a promis une aide sociale pour les démunis, qui bien entendu n’arrive pas. Il a édicté des règles inapplicables de déplacement et sommé la police d’abattre quiconque les violerait. Comme dans bien d’autres pays, une grande partie de la population se trouve dans le secteur informel où qui ne travaille pas un jour, ne mange pas ce jour. Les pauvres craignent plus de mourir de faim que de la maladie.
En Thaïlande, des associations se mobilisent pour une amnistie générale des migrant.es sans papier (en particulier des Rohingyas). Vu leur nombre et le rôle qui est le leur dans l’économie, il s’agit véritablement d’une urgence de santé publique. Là comme ailleurs, menacés de déportation, les migrant.es ne se présenteront pas aux contrôles sanitaires. Pour le faire, elles et ils doivent être assurés de leur sécurité.
En Papouasie occidentale, le PSP (Parti socialiste de Papouasie) dénonce les conséquences, en temps de crise sanitaire, de la colonisation indonésienne qu’ils subissent. Il appelle à l’indépendance et à la révolution socialiste.
En Indonésie, sous la présidence incompétente de Jokowi, c’est la dépendance sanitaire du pays vis-à-vis de l’Australie qui s’accroit. On craint des millions de morts.
Partout, la suspension du payement des dettes est exigée.
La pandémie a un impacte en tous domaines, et pas seulement sur le plan sanitaire.
Les mouvements progressistes tentent de résoudre la quadrature du cercle : comment en temps de confinement (souvent dictatorial) favoriser l’auto-organisation des populations et apporter « par en bas » l’aide logistique, le savoir-faire, les biens de première nécessité. Comment concevoir dans de telles conditions une politique populaire de prévention de la maladie ? Il nous faut maintenir la solidarité internationale (y compris financière) et assurer les échanges d’expérience pour tenter collectivement de répondre à ces exigences, à ces questions.
Pierre Rousset
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