tiré de : [CADTM-Infolettre] Denise Commane, mobilisations, fausses solutions, combattre la crise...
http://www.cadtm.org/Comment-le-patriarcat-et-le
De CADTM infolettre, le 2020-05-28 10:24
28 mai par Denise Comanne
Le patriarcat
L’oppression des femmes est très ancienne : elle préexiste au capitalisme qui est aussi un système d’oppression mais plus global. On appelle « patriarcat » l’oppression que les femmes subissent en tant que femmes de la part des hommes. Cette oppression se reproduit de multiples façons au delà de l’aspect strictement économique : par le langage, la filiation, les stéréotypes, les religions, la culture… Cette oppression prend des formes très différentes selon par exemple qu’on vit au Nord ou au Sud de la planète, en milieu urbain ou en milieu rural.
La révolte contre l’oppression ou l’exploitation ressentie ne débouche pas ipso facto sur la mise en cause du patriarcat (la classe ouvrière opprimée ne décide pas non plus ipso facto de mettre fin au capitalisme et, pourtant, il est plus « facile » de réagir à l’oppression du patron qu’à celle du compagnon). Pour cela, il faut encore pouvoir se débarrasser des explications les plus courantes, qu’elles soient d’inspiration physiologique (appareil sexuel ou cerveau différent) ou psychologique (caractère passif, docile, narcissique, etc.) pour déboucher sur une critique politique du patriarcat, en tant que système de pouvoir dynamique, capable de se perpétuer, et qui résiste à toute transformation de son noyau central : la suprématie des hommes [2].
Être féministe, c’est donc prendre conscience de cette oppression et, ayant pris conscience que c’est un système, travailler à le détruire pour permettre l’émancipation (la libération) des femmes.
Caractéristiques du patriarcat [3]
La domination masculine ne se réduit pas à une somme de discriminations. C’est un système cohérent qui façonne tous les domaines de la vie collective et individuelle.
1) Les femmes sont « surexploitées » sur leur lieu de travail et elles fournissent – en plus -de longues heures de travail domestique mais ces dernières n’ont pas le même statut que les heures de travail salarié. Sur le plan international, les statistiques montrent que si on prend en compte le travail professionnel des femmes qui est rémunéré, plus le travail domestique, le groupe des femmes produit un « surtravail » par rapport à celui des hommes. Cette non-mixité dans les tâches et les responsabilités familiales est la face visible (grâce aux féministes) d’un ordre social fondé sur la division sexuelle du travail, c’est à dire sur une répartition des tâches entre les hommes et les femmes, suivant laquelle les femmes seraient censées se consacrer prioritairement et « tout naturellement » à l’espace domestique et privé tandis que les hommes se consacrent à l’activité productive et publique.
Cette répartition loin d’être « complémentaire » définit une hiérarchie entre les activités « masculines » (valorisées) et les activités « féminines » (dévalorisées). Elle n’a jamais correspondu, dans les faits, à une égalité. La grande majorité des femmes a toujours cumulé une activité productive (au sens large du terme) et l’entretien du groupe domestique.
2) La domination se caractérise par une absence totale ou partielle de droits. Les femmes mariées au 19e siècle en Europe n’avaient quasiment pas de droits ; ceux des femmes d’Arabie saoudite aujourd’hui sont réduits à peu de choses (généralement, les femmes qui vivent dans des sociétés où la religion est une affaire d’État, ont des droits fort limités).
Les droits des femmes occidentales se sont par contre considérablement élargis sous l’influence du développement du capitalisme - elles devaient pouvoir travailler et consommer « librement » - mais aussi et surtout grâce à leurs luttes.
Les femmes n’ont pas cessé de lutter collectivement depuis deux siècles pour revendiquer le droit de vote, le droit au travail, de se syndiquer, la libre maternité, l’égalité pleine et entière au travail, dans la famille et dans l’espace public.
3) La domination s’accompagne toujours d’une violence, qu’elle soit physique, morale ou « idéelle ». La violence physique, ce sont les violences conjugales, le viol, les mutilations génitales, etc. Cette violence peut aller jusqu’au meurtre. Les violences morales ou psychologiques, ce sont les insultes, les humiliations. Les violences « idéelles », ce sont les violences inscrites dans les représentations (les mythes, les discours, etc.). Par exemple, chez les Baruya (population de la Nouvelle Guinée) où les hommes exercent leur domination sur tous les terrains, le lait des femmes n’est pas considéré comme un produit féminin mais comme la transformation du sperme des hommes. Or, cette représentation du lait comme produit dérivé
du sperme est une forme d’appropriation par les hommes du pouvoir de procréation des femmes, et c’est une manière d’inscrire dans la représentation des corps, la subordination des femmes.
4) Les rapports de domination s’accompagnent le plus souvent d’un discours qui vise à faire passer les inégalités sociales pour des données naturelles. L’effet de ce discours, c’est de faire admettre ces inégalités comme un destin incontournable : ce qui relève de la nature, ne peut pas être changé.
On trouve ce type de discours dans la plupart des sociétés. Par exemple dans la société grecque antique, il est fait référence aux catégories du chaud et du froid, du sec et de l’humide pour définir la « masculinité » et la « féminité ». Voici l’explication donnée par Aristote : « Le mâle est chaud et sec, associé au feu et à la valeur positive, le féminin est froid et humide, associé à l’eau et à la valeur négative (...) ». C’est qu’il s’agit, dit Aristote, d’une différence de nature dans l’aptitude à « cuire » le sang : les règles chez la femme sont la forme inachevée et imparfaite du sperme. Le rapport perfection/imperfection, pureté/impureté, qui est celui du sperme et des menstrues, donc du masculin et du féminin trouve par conséquent chez Aristote son origine dans une différence fondamentale, biologique.
Une inégalité sociale inscrite dans l’organisation sociale de la cité grecque (les femmes ne sont pas citoyennes) est transcrite en termes de nature, dans la représentation des corps.
Dans d’autres sociétés, ce sont d’autres qualités « naturelles » qui sont associées à l’homme ou à la femme et qui aboutissent elles aussi à une hiérarchisation entre le groupe des hommes et celui des femmes. Un exemple, celui de la société des Inuits : là, le froid, le cru et la nature sont du côté de l’homme, alors que le chaud, le cuit et la culture sont du côté de la femme. C’est l’inverse dans les sociétés occidentales, où l’on associe homme-culture/femme-nature. On peut donc constater qu’avec des qualités « naturelles » différentes (froid et chaud pour les femmes par exemple), on aboutit néanmoins à les rationaliser dans un rapport social hiérarchisé entre les hommes et les femmes (quelle que soit la qualité « naturelle », c’est moins bon chez la femme).
Il ne s’agit pas de nier ainsi toute différence biologique entre les hommes et les femmes. Constater une différence, ce n’est pas admettre automatiquement une inégalité. Mais quand, dans une société, est monté en épingle un ensemble de « différences naturelles » non pas entre tel ou tel individu mais entre des groupes sociaux, on doit soupçonner un rapport social inégalitaire masqué derrière le discours de la différence.
Ce discours de « naturalisation » n’est pas spécifique aux rapports de domination des hommes sur les femmes, on le trouve par exemple dans la manière de décrire la situation des noirs. Certains discours tendaient ainsi à justifier la situation d’exploitation et d’oppression des noirs, sous ses différentes formes, par leur « paresse » congénitale. On le constate également à propos des prolétaires du XIX siècle : à cette époque, on expliquait leur impossibilité de sortir de la pauvreté par le fait qu’ils étaient des ivrognes par nature, de père en fils.
Ce type de discours tend à transformer des individus intégrés dans des rapports sociaux en « essences » avec des « qualités » définitives, relevant de la nature, qui ne peuvent pas être changées et qui donc justifient, légitiment ces rapports d’inégalité, d’exploitation, d’oppression etc.
5) S’il n’y a pas de luttes, le type de discours de « naturalisation » peut très bien être intériorisé par les opprimées. En ce qui concerne les femmes, par exemple, l’idée suivant laquelle, parce que ce sont elles qui portent les enfants et les mettent au monde, elles seraient « naturellement » plus douées que les hommes pour s’en occuper, quand ils sont petits du moins, est largement répandue. Pourtant, les jeunes femmes sont souvent aussi démunies que leur conjoint dans les premiers jours qui suivent la naissance. Par contre, elles ont souvent été préparées psychologiquement (à travers l’éducation et les normes diffusées dans l’ensemble de la société) à cette nouvelle responsabilité qui va nécessiter un apprentissage. Cette répartition des tâches à propos des enfants (qui confient quasi exclusivement aux femmes les soins matériels des bébés) n’a rien de « naturel » ; elle relève de l’organisation sociale, d’un choix collectif de société même s’il n’est pas formulé explicitement. Le résultat est bien connu : ce sont majoritairement les femmes qui doivent se débrouiller pour « concilier » travail professionnel et responsabilités familiales, au détriment de leur santé et de leur situation professionnelle, les hommes, quant à eux, étant privés de ce contact permanent avec les jeunes enfants.
Cette naturalisation des rapports sociaux s’inscrit inconsciemment (subtilement) dans les comportements des dominants et des dominées et les pousse à agir conformément à la logique de ces rapports sociaux, les hommes devant se conformer (dans les sociétés méditerranéennes par exemple) à la logique de l’honneur (ils doivent à tout moment faire la preuve de leur « virilité »), les femmes à celle de la discrétion, du service, de la docilité.
Ce discours de « naturalisation », porté par les dominants, aboutit au fait que les individus des deux sexes se voient coller une étiquette, assignés à une identité unique et dans certains cas, persécutés ou du moins maltraités, au nom de leur origine sociale, de la couleur de leur peau, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, etc. Dans les sociétés occidentales, le modèle de référence a longtemps été, et reste encore très largement, celui de l’homme, blanc, bourgeois, chrétien, hétérosexuel. Seule une personne réunissant ce type de caractéristiques pouvait prétendre être un individu à part entière et pouvoir parler pour l’humanité. Tous les autres, les noirs, les juifs, les tziganes, les homos, les travailleurs immigrés et leurs enfants, les femmes (ces dernières pouvant d’ailleurs concentrer sur elles plusieurs de ces « stigmates ») devaient et doivent encore se justifier pour bénéficier des mêmes droits que les dominants.
Le capitalisme intervient
Autrefois, quand on interrogeait les enfants à l’école sur la profession de leurs parents respectifs, on leur apprenait que si leur maman était femme au foyer, il fallait inscrire « néant ». Ce « néant »-là témoigne mieux que tout autre de « l’invisibilité » du travail domestique des femmes dans les sociétés capitalistes avant le renouveau du féminisme à la fin des années 1960. Ce sont les féministes qui, en effet, ont mis en évidence l’importance et la diversité des activités réalisées par les femmes « gratuitement » dans la famille.
Si on essayait de chiffrer la contribution invisible des femmes, non traduite en valeur monétaire (parce qu’elle ne fait pas l’objet d’une vente ou d’un achat), le PNUD
estimait dans son rapport 1995 qu’elle aurait représenté l’équivalent de 11 000 milliards de dollars. Il faut mettre ce chiffre en rapport avec celui de la production mondiale, estimée à l’époque à 23 000 milliards de dollars, pour avoir une idée de ce que représente l’apport des femmes à l’entièreté de l’humanité (PNUD, 1995, p. 6).
A ces 11 000 milliards de dollars, il faudrait ajouter la contribution des femmes qui fait l’objet de rapports marchands (travail salarié, par exemple). Il faudrait enfin prendre en considération que, à travail égal, le montant des salaires payés aux femmes est en général inférieur à celui payé aux hommes.
Les tâches domestiques sont les tâches de reproduction de la force de travail ; elles sont effectuées au sein du cadre familial et l’immense majorité de ce travail est assuré GRATUITEMENT par les femmes (80 % des tâches domestiques sont assumées par les femmes). Le système capitaliste n’a jamais voulu jusqu’ici transformer entièrement les tâches domestiques en professions rémunérées par un salaire et/ou en produits à vendre sur le marché. Pour réussir ce tour de force, il a fallu que, via le patriarcat, les femmes comme les hommes intériorisent et développent l’idée selon laquelle il y aurait une prédisposition des femmes à l’accomplissement des tâches domestiques.
La question du travail domestique des femmes (sphère privée) est donc centrale dans l’analyse de leur situation
La tendance du système capitaliste à réorganiser à son profit l’économie à l’échelle mondiale a des répercussions directes sur les rapports entre les sexes. L’analyse des méthodes employées montre, d’une part, que le système capitaliste se nourrit d’un système d’oppression préexistant, le patriarcat, et d’autre part, qu’il en accuse les traits. En effet, l’oppression des femmes est un outil permettant aux capitalistes de gérer l’ensemble de la force de travail à leur profit. Elle leur permet aussi de justifier leurs politiques quand il leur est plus profitable de déplacer la responsabilité du bien-être social de l’État et des institutions collectives vers “ l’intimité ” de la famille. Autrement dit, quand les capitalistes ont besoin de main d’œuvre, ils vont chercher les femmes et les paient moins que les hommes (ce qui, par voie de conséquence, tire tous les salaires vers le bas). Dans ce cas, l’État est poussé à réaliser des services qui facilitent un peu la tâche des femmes ou leur permettent de se dégager de certaines responsabilités. Mais s’ils n’ont plus besoin de main d’œuvre féminine, ils renvoient les femmes à leurs foyers où se trouve leur « véritable place » selon le patriarcat.
Il n’existe encore aucun pays au monde, même parmi les plus avancés en ce domaine, où les revenus des femmes soient égaux aux revenus des hommes. Certains pays industrialisés reculent même sérieusement dans la liste du développement humain si l’on considère cette donnée : le Canada recule de la 1re place à la 9e, le Luxembourg recule de douze places, les Pays-Bas de seize, l’Espagne de vingt-six (PNUD, 1995). Les carrières majoritairement occupées par des femmes sont dévalorisées (travail de la santé, enseignement).
Lorsque le capitalisme traverse des crises et qu’il met en place des plans d’austérité, les femmes sont les premières exclues des allocations sociales (indemnités de chômage par exemple) quand celles-ci existent. Ailleurs, on les poussera vers des emplois où le salaire est très inférieur, comme le travail en zones franches (au Mexique, dans ce secteur, les salaires des femmes se sont effondrés de 80 % à seulement 57 % de ceux des hommes) ou on les glorifiera de travailler avec un salaire dérisoire dans la multitude de travaux du secteur informel, hors des réglementations “ paralysantes ” des États.
Le droit des femmes au travail est remis en cause par mille astuces gouvernementales. Il y a évidemment le “ choix ” du temps partiel qui va du mi-temps au contrat “ zéro ” où la travailleuse reste à disposition du patron de zéro heure à n’importe quel nombre d’heures selon les besoins, et cela alors que pratiquement tous les sondages prouvent que la majorité des travailleuses est demandeuse d’un temps complet. La réduction croissante de services comme les crèches, les garderies, ou la privatisation d’autres comme les maisons de repos pour personnes âgées multiplient les embûches rencontrées par la femme au travail. “ L’égalité du travail ” introduit le travail de nuit pour les femmes en négatif. Il est clair que pour les services de sécurité, de soins, etc., il est correct d’avoir établi l’égalité de travail des femmes. Mais ce qui était en jeu dans ce soi-disant progrès égalitaire, c’était de permettre aux femmes de travailler de nuit à la chaîne, par exemple. Or, il n’est absolument pas vital de construire une voiture pendant la nuit. La mesure d’égalité de travail de nuit entre les hommes et les femmes aurait donc dû être - selon un féminisme bien pensé – de supprimer le travail de nuit pour les hommes. De plus, ce travail de nuit à la chaîne, inacceptable par principe, n’est pas vivable la plupart du temps, vu travail des femmes encore actuellement dans la sphère familiale.
« Pour gérer la question du travail des femmes, le capitalisme va s’appuyer sur le patriarcat, s’en servir comme levier pour ses objectifs et le renforcer »
La question du travail des femmes dans la production (sphère publique) est donc tout aussi centrale
Pour gérer cette question, le capitalisme va s’appuyer sur le patriarcat, s’en servir comme levier pour ses objectifs et, parallèlement, le renforcer.
Le fait que les femmes soient reléguées – par le patriarcat – aux tâches domestiques, va permettre aux capitalistes de justifier la surexploitation salariale des femmes par l’argument que leur travail serait moins productif que celui des hommes (faiblesse, règles, absentéisme pour grossesse, allaitement, garde des enfants et des parents malades…). C’est la question du salaire d’appoint. Encore aujourd’hui, à compétences égales et à travail égal, les femmes sont payées environ 20 % de moins que les hommes. Double intérêt pour les capitalistes : d’une part, ils disposent d’une main d’œuvre meilleur marché et plus flexible (c’est une main d’œuvre de réserve employable en fonction des fluctuations du marché) et, d’autre part, cela leur permet de tirer l’ensemble des salaires vers le bas.
Cette question générale du travail des femmes dans la sphère privée et dans la sphère publique reflète donc soit leur oppression (quand par exemple, des politiques d’extrême droite ou d’intégrisme religieux les forcent à rester à l’intérieur de la maison), soit leur libération (politiques progressistes d’égalité de salaire, de création d’emplois, de services publics gratuits…).
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Partant du constat de l’importance du travail domestique, le courant féministe « luttes de classe », en fait l’analyse suiv{{}}ante [4] :
L’oppression des femmes a précédé le capitalisme mais ce dernier l’a profondément modifiée
Le travail domestique, au sens précis du terme, est né avec le capitalisme. En remplaçant, dans une large mesure, la petite production marchande agricole et artisanale par la grande industrie, il a formalisé de plus en plus la séparation entre les lieux de production (les entreprises) et les lieux de reproduction (la famille), assignant aux femmes ce rôle de responsable du logis. Cette nouvelle idéologie de la femme au foyer, apparue avec la bourgeoisie, a renforcé le mépris qui pesait sur les femmes « contraintes » de travailler à l’extérieur, faute d’un mari susceptible de les entretenir. Cette idéologie ne fut pas propre à la bourgeoisie, elle a au contraire contaminé tout le mouvement ouvrier naissant. Mais, contrairement aux idées reçues, les femmes des milieux populaires n’ont pas cessé de travailler, prises dans les contradictions multiples liées à leurs tâches dans la famille et leurs pénibles conditions de travail. C’est pourquoi, il nous semble indispensable d’analyser conjointement l’articulation entre capitalisme et oppression patriarcale.
Le capitalisme est un mode de production dynamique et agressif et, à ce titre, il pénètre tous les rapports sociaux, y compris les rapports sociaux de sexe. Le capitalisme n’a pas hésité par exemple à faire appel massivement à la main d’œuvre féminine et enfantine très bon marché, au début du 19e siècle, pour augmenter la production et ainsi ses profits. Au fil des siècles, cette recherche du profit maximal a conduit le capitalisme à mettre en cause (partiellement du moins) l’autorité paternelle et maritale, pour faire des femmes des travailleuses « libres » de vendre leur force de travail sans l’autorisation de leur mari et des consommatrices à part entière.
Cet appel à la main d’œuvre féminine a connu de nouveaux développements au début des années 1960 et aujourd’hui encore sur le plan mondial. Avec la délocalisation des industries traditionnelles ou de pointe, en Afrique du Nord, en Amérique latine ou en Asie, le patronat, recherchant de nouveaux profits, a recruté sur le marché du travail des jeunes femmes. Ces jeunes ouvrières surexploitées ont pu néanmoins acquérir ainsi une certaine indépendance financière par rapport aux hommes de la famille, propice à l’exigence de nouvelles libertés.
Par ailleurs, dans les pays capitalistes développés, de plus en plus d’activités qui étaient réalisées dans la famille, sont externalisées, prises en charges dans un premier temps par les services publics (école, santé, etc.) ou de plus en plus médiatisées par le marché : la fabrication des vêtements, les repas, etc.
L’oppression des femmes est utile au système capitaliste
Le capitalisme, tout en favorisant, au nom des profits, une certaine émancipation des femmes, reste malgré tout très attaché à l’institution familiale traditionnelle. Pourquoi ?
– Dans nos sociétés, la famille joue un rôle fondamental dans la reproduction des divisions (et de la hiérarchie) à la fois entre les différentes classes sociales et entre les genres auxquels sont assignées des fonctions économiques et sociales différentes : au nom de leur fonction « maternelle », les femmes doivent assumer l’ensemble des tâches liées à l’entretien et à la reproduction de la force de travail et de la famille ; les hommes, eux, sont toujours censés être les pourvoyeurs économiques principaux. Ce qui permet, au nom de la prétendue complémentarité des rôles, dans le cadre de la ségrégation professionnelle, de maintenir des discriminations salariales au détriment des femmes.
– La famille joue en outre un rôle de « régulateur » du marché du travail. En période d’expansion économique, comme cela a été le cas pendant une trentaine d’années, jusqu’au milieu des années 1970, les femmes ont été massivement sollicitées comme main d’œuvre bon marché dans toute une série de branches industrielles comme l’électronique, puis comme salariées dans le tertiaire. Mais en phase de récession économique, comme celle que l’on a connue dans les trente dernières années, les employeurs et l’État n’ont de cesse d’inciter les femmes à se retirer partiellement ou totalement du marché du travail, pour aller se consacrer à « leur » vocation maternelle. Quand il y a des reprises économiques (quel que soit leur degré de durabilité), certains investissements sont envisagés à nouveau dans les équipements collectifs, non pas prioritairement dans un souci d’égalité, mais avant tout pour « libérer » la force de travail féminine soumise à la flexibilité des horaires.
– Quelle que soit la période, le travail domestique des femmes permet à l’État de faire des économies en matière d’équipements collectifs et au patronat de payer moins cher ses salarié-e-s. Si les femmes n’étaient pas les seules responsables de ce travail dans le cadre familial, il faudrait prévoir une baisse massive du temps de travail pour l’ensemble de la population et le développement significatif des équipements sociaux.
– La fonction d’autorité de la famille a été largement entamée par les évolutions récentes du statut des femmes dans la société, au profit de sa fonction « affective ». Néanmoins, les défenseurs de l’ordre social capitaliste n’hésitent pas à recourir à la défense de l’ordre familial fondé sur la différence et la hiérarchie des sexes. Pour les plus chauds partisans de la famille traditionnelle, l’autorité paternelle réhabilitée devrait par exemple servir de rempart contre les « débordements » éventuels des jeunes laissés pour compte des banlieues.
– Enfin, et cela peut paraître contradictoire à première vue avec le point précédent, la famille a un immense avantage : c’est une institution relativement souple (ses formes se sont diversifiées considérablement en l’espace de trente ans). Elle peut jouer un rôle de soupape non négligeable face aux contraintes subies par les salarié-e-s dans leur vie professionnelle. La plus grande partie de la population ne peut ni choisir son travail, ni ses conditions de travail. En période de chômage, les « choix » sont restreints au maximum. Mais en « choisissant » son ou sa conjoint-e, en « choisissant » d’avoir des enfants, de manger tel ou tel produit, d’acheter telle marque de voiture plutôt qu’une autre, de partir en vacances pour telle ou telle destination (pour ceux qui le peuvent), chaque individu-e peut avoir le sentiment de retrouver sa liberté perdue hors des murs familiaux. Toute la publicité entretient cette illusion. Ce sentiment de liberté est malgré tout limité par deux éléments fondamentaux : le niveau des ressources financières dont chacun-e dispose ; le sexe (ou plutôt le genre) auquel on appartient et l’âge. En raison des tâches domestiques dont elles sont « responsables » et des violences conjugales qu’elles sont encore trop nombreuses à subir, les femmes connaissent bien les limites de leur liberté. Les enfants de même, soumis pour certains (et plus particulièrement certaines) à l’autoritarisme de leurs parents, voire à des sévices.
Ce sont ces différents éléments (pris comme un tout) qui expliquent pourquoi la famille reste un « pilier » fondamental de la société capitaliste.
Ainsi, contrairement à ce que semblent penser certaines féministes, on voit mal comment la libération des femmes, de toutes les femmes et non pas seulement d’une petite minorité, pourrait aboutir sous le régime capitaliste. C’est pourquoi, il nous semble indispensable, même si cela implique des conflits inévitables, de faire converger les luttes des femmes contre l’oppression patriarcale et la lutte des salarié-e-s contre l’exploitation capitaliste. Un exemple de difficulté dans cette convergence : des syndicalistes hommes ne trouvent pas « convenable » que des femmes travaillent en usine ou ne sont pas prêts à participer à une lutte de femmes sous prétexte que c’est par la lutte « globale » (entendez « des hommes ») que les femmes gagneront des acquis. De plus, certains apprécient rester « maîtres chez eux ».
Historique
1. Aux origines...
Place des femmes dans les sociétés dites primitives (époque préhistorique)
Économie de subsistance (chasse - cueillette)
Il n’y a pas d’accumulation, mais recherche constante des ressources, des moyens de subsistance. Le « travail » de chacun est nécessaire pour assurer la survie de la tribu. Personne ne peut s’approprier les ressources sous peine de mettre en péril cette survie. Il y a égalité sociale.
Quelle est la place des femmes dans ces sociétés de ramasseurs-chasseurs ? D’après des travaux d’anthropologues et d’historiens :
• dans les hordes, mobilité des individus hommes et femmes, avec libre adhésion et sans discrimination
• néanmoins, on a observé la pratique du rapt des femmes là où la chasse devient prédominante dans l’organisation sociale, afin d’assurer la nécessaire reproduction des hommes
• d’autres exemples, et notamment la place des « déesses » dans la mythologie, tendent à montrer la reconnaissance sociale des femmes.
Premières sociétés agricoles : organisation coopérative du travail
On y trouve toujours l’égalité sociale et la propriété collective des ressources et moyens de production. Les terres sont des propriétés collectives exploitées en commun.
Il existe dans ces sociétés, une certaine division du travail entre les hommes et les femmes. Les femmes ont des tâches spécifiques - ex. travail dans les champs (labour), poterie, tissage -, mais cette division sexuelle des tâches ne correspond pas à une oppression des femmes et une exclusion de la sphère publique avec enfermement dans la famille.
Non seulement les femmes participent à la production, mais elles gardent un rôle dans l’organisation sociale :
• rôle dans le conseil du village ;
• il existe des sociétés matrilinéaires (la filiation se transmet par la mère)
• il existe des sociétés dans lesquelles l’éducation des enfants est prise en charge collectivement.
Néanmoins, dans certaines de ces sociétés, on constate une prise de pouvoir par les hommes, liée à une volonté de contrôler la reproduction, de préserver des effectifs de producteurs. Il faut « régler la circulation des femmes » afin d’éviter la disparition de certains groupes : cela se fait soit de manière violente, les rapts, soit de manière non violente, les « échanges ».
2. Apparition d’un surproduit social et des classes sociales. Les sociétés antiques
Avec l’accumulation des ressources, le développement des forces productives et des outils (du temps libre non nécessaire à la subsistance peut être consacré à la fabrication), un surproduit social apparaît. Celui-ci entraîne la formation de classes sociales, certains s’appropriant le surproduit et voulant l’accroître.
À la même époque (Antiquité +/- 3.500 AJC) vont se développer l’esclavage - prisonniers issus des territoires et peuples conquis, plus tard viendra l’esclavage pour dette
- et, petit à petit, l’État. Celui-ci a pour fonction de permettre aux classes dominantes de maintenir leur appropriation du surproduit social. Pour garantir à la classe possédante sa domination, des institutions sont mises en place qui excluent les membres de la collectivité de l’exercice des fonctions politiques : le pouvoir appartient à des chefs héréditaires, rois, nobles. Ils mettent en place une armée, des fonctionnaires, un pouvoir judiciaire, des producteurs d’idéologie (clercs, enseignants) qui doivent faire accepter la domination de ceux qui se sont approprié les richesses produites.
Exemple, les pharaons égyptiens s’appuyant sur les scribes chargés de relever les quantités des récoltes afin qu’une partie en revienne aux classes dominantes et le rôle joué par le clergé qui enseigne que toute rébellion contre le pharaon- représentant de Dieu sur terre - sera punie dans l’au-delà....
Pour les femmes, la situation change radicalement :
• généralisation de la patrilinéarité : la notion d’héritage apparaît et la transmission d’une propriété se fait par les hommes, d’où l’importance d’une descendance mâle dont il faut pouvoir « s’assurer ». La femme devient alors une propriété parce qu’elle est une génitrice avant tout et, parallèlement, s’établit le pouvoir absolu du père sur les enfants (ex. droit romain, les rapts de femmes : histoire des Horaces et des Curiaces).
• le mariage devient source de propriété, de richesse : exemple : la dot qui, dans les sociétés matrilinéaires, consistait en un cadeau, devient du bétail, une terre.
Au fur et à mesure du développement des sociétés antiques, ce sont les riches propriétaires qui acquièrent les responsabilités publiques et les fonctions politiques ; les femmes en sont exclues (pas de droit de vote) et deviennent responsables du « dedans », chargées de la responsabilité d’un foyer qui permet à l’homme d’être déchargé de toute charge pour assurer ses responsabilités au dehors et de la responsabilité d’élever les enfants afin d’assurer la transmission de la propriété.
On pourrait objecter qu’il s’agit là uniquement de la situation des femmes des classes dominantes. En effet, les autres femmes travaillent dans les champs, l’artisanat, les mines d’argent (à Athènes, par exemple). Mais, là aussi, ces femmes qui travaillent, doivent petit à petit assurer également la production domestique parce qu’il n’y a plus l’organisation coopérative du travail (la famille reste une unité de production) - et, à celles-là, on assigne aussi le rôle de la reproduction de la force de travail.
Donc, pour toutes les femmes, apparaît la notion de femme responsable de la sphère privée du « dedans ». C’est le début de l’enfermement dans la famille (ce qu’il ne faut donc pas confondre avec la notion de « femme au foyer ») : femme génitrice - chargée de transmettre la propriété... ou de reproduire la force de travail.
3. Les sociétés pré-capitalistes. Les sociétés féodales
Au fil du temps, la situation des femmes fluctue.
Dans les sociétés rurales, il existe toujours une division sexuelle du travail.
On peut constater que les femmes :
• gardent leur fonction de reproduction de la force de travail. L’autorité du père sur la famille correspond aussi à ce contrôle sur la fonction de reproduction ;
• connaissent une spécialisation dans les tâches domestiques tout en étant associées aux activités de production. En effet, la famille reste une unité de production et de consommation, les deux étant liés, certains biens étant destinés à la famille, d’autres à être échangés.
Au cours de cette période, la situation des femmes est en fait fluctuante et contradictoire : enfermement à la maison et exclusion de la sphère publique mais la famille est une réalité mouvante ; par exemple, les veuvages et remariages sont fréquents ; les familles élargies ou regroupements familiaux sont nécessaires pour survivre, produire ; des solidarités existent. A certains moments, la pression est donc moins forte sur les femmes : ex. éducation collective des enfants. Dans certains cas, leur travail productif est reconnu ; par exemple, des femmes peuvent faire partie des corporations d’artisans.
4. A l’époque du capitalisme marchand et du développement des manufactures
Au fur et à mesure de la mise en place du capitalisme marchand, puis de la mécanisation, la situation des femmes va se dégrader. Et le rôle de la famille va se transformer avec la mise en place de l’État bourgeois.
Avec l’essor des manufactures, le travailleur-producteur est séparé de ses moyens de production, l’artisan loue sa force de travail et ne possède plus son outil.
Ce processus avait été amorcé par « l’industrie à domicile » : les marchands louent un outil de production (ex. métier à tisser) à la famille, apportent la matière première et viennent rechercher le produit fini en échange d’un salaire.
Une autre conséquence de l’essor des manufactures est la transformation de la famille - unité de production en famille – en une unité de consommation.
Auparavant, les familles paysannes produisaient ce qui leur était nécessaire.
Au fur et à mesure du développement du capitalisme, les produits autrefois confectionnés dans les familles seront fabriqués à l’extérieur.
Dès lors, il y a dévalorisation du travail domestique, considéré comme non-productif de biens susceptibles d’être échangés et n’étant plus reconnu comme socialement nécessaire.
Beaucoup plus tard, cette dévalorisation touchera d’ailleurs toutes les professions liées aux tâches assignées aux femmes dans les familles : nettoyer - soigner - éduquer...
Une fois que le travail féminin est dévalorisé, dans cette période de transition, la bourgeoisie commence à utiliser les femmes comme une main-d’œuvre d’appoint, supplémentaire et moins bien payée, pour faire pression sur les salaires masculins et diviser la future classe ouvrière, soit dans l’industrie à domicile qui existe encore, soit dans les manufactures.
Pour faire admettre cette transformation de la main-d’œuvre féminine en main-d’œuvre de réserve (donner définitivement au travail et au salaire féminins, un statut d’appoint), il fallait assigner clairement aux femmes la responsabilité familiale comme tâche principale.
Dès le 18e siècle, pour que la société bourgeoise se mette en place, il y a donc « recentrage sur la famille ».
En fait, il s’agit d’une nouvelle conception de la famille et du rôle des femmes : l’ambition de la bourgeoisie qui devient la classe dominante, suscite une nouvelle attention pour l’enfant, puisque c’est lui qui portera les projets d’ascension sociale. Cela se traduit concrètement par une limitation du nombre des naissances « pour mieux s’en occuper », par une vie plus intense au foyer. Dans cette optique, les mariages bourgeois sont avant tout des mariages d’affaires et la famille devient aussi le lien de transmission des normes sociales.
A cette époque (18e siècle), ce modèle de famille bourgeoise n’existe que dans les classes dominantes. Cela va changer.
5. Révolution industrielle et prolétarisation des femmes
Au moment de la mécanisation des manufactures de la révolution industrielle, la bourgeoisie préconise le modèle de la famille bourgeoise pour la classe ouvrière :
• famille nucléaire (les parents et les enfants)
• la femme doit assurer la reproduction de la force de travail : les hommes doivent être frais et dispos pour assurer la production ; les enfants, en tant que futurs producteurs, ne peuvent plus courir les rues et les champs : on doit les préparer à descendre à leur tour dans la mine...
Cette famille est de plus en plus définie comme sphère privée, unité de consommation ; elle a une fonction éducative qui est la reproduction des normes de l’idéologie dominante : respect de l’ordre établi, de la propriété privée.
Dans la famille ouvrière, le père peut régner en maître et laisser l’autorité politique à l’extérieur à d’autres...
Cependant ce projet est contradictoire avec la réalité de la révolution industrielle qui va prolétariser les femmes.
En effet, au moment de l’expansion industrielle du 19e siècle, tous seront mobilisés dans les mines, le textile..., y compris les femmes et les enfants.
Ces dernières et ces derniers seront confinés dans des tâches d’exécution souvent dangereuses, à des salaires moindres.
La famille ouvrière éclate :
• mobilité des travailleurs
• célibataires voyageurs logeant dans des familles
• cités ouvrières dans lesquelles une vie collective se crée
• les heures de travail différentes font que, dans une famille, on ne se rencontre plus ou très peu.
Tout cela présente une série de dangers pour la bourgeoisie qui ne contrôle plus la situation et qui va, dès lors, mettre sur pied une entreprise de moralisation afin de récupérer son emprise sur les travailleurs :
• tentative de réforme de la famille : la bourgeoise remet en valeur l’image de la femme au foyer, garante de la morale, c’est-à-dire que chaque femme
• qu’elle travaille ou non - doit considérer le foyer comme sa responsabilité principale.
• mise en place de l’école publique qui aura une fonction idéologique (Jules FERRY et l’enseignement de la morale) et une fonction économique (former des travailleurs qualifiés) à la fin du 19e siècle et surtout au début du 20e siècle.
Cela implique :
• que les femmes sont aussi chargées de contrôler « moralement » les hommes (par exemple, les patrons s’adressent à elles pour qu’elles fassent pression sur leurs maris pour qu’ils renoncent à faire grève, au nom de la « survie » de la famille) ;
• que leur travail correspond à un appoint : leur responsabilité principale n’étant pas la production, il donne lieu à un salaire d’appoint au salaire masculin ; la notion de main-d’œuvre d’appoint implique aussi qu’on l’utilise au gré de la conjoncture ;
• que l’emploi des femmes va évoluer de plus en plus vers des métiers dits « féminins » qui prolongent leurs fonctions familiales et seront également sous-payés puisqu’ils correspondent à des activités non-productives, dévalorisées parce qu’elles dérivent des tâches familiales.
L’entrée massive des femmes dans les usines pouvait amener leur émancipation.
Pour freiner cette émancipation, on n’aura pas seulement recours à l’« enfermement » des femmes dans les familles, mais on utilisera la main-d’œuvre féminine sous-payée pour diviser les travailleurs. Ex. : licenciement des hommes pour faire travailler des femmes et des enfants de nuit, dans les pires conditions...
6. Bilan à la veille de la 1re guerre mondiale...
Beaucoup de femmes travaillent, surexploitées, comme main-d’œuvre d’appoint.
Recentrage sur la famille : les femmes sont désignées comme responsables au premier chef de cette famille qui constitue :
• le lieu de l’entretien et de la reproduction de la force de travail (travail ménager gratuit)
• l’unité de consommation
• le lieu où s’exerce le contrôle idéologique (cette fonction éducative se partage avec l’école qui reproduit également la force de travail et l’idéologie des classes dominantes).
7. Évolution au 20e siècle
L’entrée massive des femmes dans les usines, puis dans les bureaux a jeté les bases de leur émancipation.
Les femmes ont acquis petit à petit l’égalité juridique, le droit de vote en 1948 en Belgique...
Depuis 1945, de plus en plus de femmes travaillent et ce de façon constante, la lutte des femmes pour leur émancipation s’est développée, le mouvement des femmes s’est structuré et a des acquis :
• ex. grève des femmes de la Fabrique nationale d’Armes (FN) à Herstal (en Belgique) en 1966 : première étape vers l’égalité de salaire... toujours en attente.
Après 1968 :
• contraception, dépénalisation de l’avortement
• les femmes ont dénoncé la double journée de travail
• équipements collectifs
• éducation, accès aux études supérieures, accès aux professions. Les femmes se sont organisées dans les syndicats, dans les partis.
Les femmes travaillent de plus en plus, mais en périodes de crise, plus particulièrement depuis le début des années 1980, on constate que les femmes sont à nouveau - comme dans les années 1930 - considérées comme une main-d’œuvre d’appoint, et qu’il y a un recentrage sur la famille et le rôle de la femme au foyer.
En effet :
Depuis le début des années 80, accroissement du travail à temps partiel (88% des temps partiels sont des femmes en 1995) présenté comme le moyen de concilier vie professionnelle et vie familiale ; à cela s’ajoutent les différentes formules de pause-carrière, congé parental...
A noter que les femmes représentent 40% de la population active mais que 28% travaillent à temps partiel, soit près d’une sur trois.
Bon nombre de femmes avaient accepté un emploi à temps partiel avec à la clé le complément « chômage » pour travail à temps partiel involontaire. Maintenant que le plein en travailleuses à temps partiel a été fait, ce complément a été supprimé !
Intérêt patronal :
• double gestion de la main-d’œuvre : lors d’une restructuration, le patron impose le temps partiel aux... femmes
• flexibilité : nombre d’heures et plages horaires flexibles en fonction de la demande, de la production nécessaire.
Le discours patronal et gouvernemental réactive la notion de salaire d’appoint en invitant les familles à se serrer la ceinture autour du salaire, du revenu masculin. Dans un pays comme la Belgique, cela signifie par exemple une diminution de l’allocation de chômage pour les femmes et l’exclusion de nombreuses chômeuses co-habitant avec un homme qui a un salaire ; des attaques sur les pensions des femmes ; des primes pour l’engagement de travailleurs à temps partiel ; on favorise les familles à un seul revenu (celui des hommes) par un avantage fiscal (l’unique revenu est divisé entre les deux conjoints et la somme des impôts est moindre que sur deux revenus ; c’est ce qu’on appelle le quotient conjugal).
L’emploi des femmes est donc particulièrement menacé et tout cela permet de diminuer les dépenses publiques (les équipements collectifs étant une autre cible à ajouter à ce qui précède).
Malgré que ces acquis semblent toujours très fragiles pour les femmes, des hommes en prennent ombrage. Ils se sentent mal à l’aise, diminués, remis en question par rapport à leur rôle de père par exemple (ne pas oublier que le patriarcat a aussi une facette de domination père/enfants) voire attaqués par ces timides conquêtes féministes. Un courant veut les regrouper et s ‘opposer au courant féministe : c’est le masculinisme [5]. Ceci montre la grande capacité d’adaptation du patriarcat aux changements de société. C’est un courant rétrograde, négatif sur le plan des rapports sociaux femmes-hommes. Par rapport à cela, les féministes, femmes et hommes, doivent répondre à la question « Quel type d’homme peut casser le patriarcat et collaborer à la lutte émancipatrice des femmes ? »
Notes
[1] Basé sur la formation « Aux origines du patriarcat, de la propriété privée, et de l’État » de France ARETS, École « Che » Guevara « Comprendre le monde pour agir, agir pour changer le monde » Formation marxiste critique et ouverte à l’initiative de la Formation Léon Lesoil ASBL.
[2] Jean Batou et Magdalena Rosende in Solidarités, http://www.solidarites.ch/solinf/123/10.php3
[3] Cette partie du module de formation est basée sur le travail de France Arets, Aux origines du patriarcat, de la propriété privée et de l’État, in École « Che » Guevara, « Comprendre le monde pour agir, agir pour changer le monde », Formation Léon Lesoil ASBL
[4] Le courant féministe « radical », lui, en déduit (C. Delphy dans un article emblématique intitulé « L’ennemi principal » [1970]) l’existence d’un mode de production domestique distinct du mode de production capitaliste. Toutes les femmes, quelle que soit leur appartenance sociale, seraient victimes d’une exploitation directe de la part des hommes dans la famille et les femmes constitueraient, comme les hommes, une classe de sexe homogène. Dans cette lutte contre l’exploitation domestique, les femmes seraient opposées à la classe des hommes, de même que les salariés s’opposent au patronat, dans la lutte des classes. Les conclusions politiques de cette analyse étaient claires : dans cette lutte de classes, les femmes devaient s’unir pour lutter contre leur ennemi principal : le patriarcat. Dans l’immédiat, C. Delphy ne voyait ni l’intérêt, ni la possibilité de faire se rejoindre la lutte de classe traditionnelle et la lutte des « classes de sexe ».
[5] Voir Denise Comanne, Pays du Nord : Les acquis féministes en danger, http://www.cadtm.org/Pays-du-Nord-Les-acquis-feministes
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