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Climat : le Giec va porter un nouveau coup à la stratégie des « petits pas »

6 octobre 2018 tiré de mediapart.fr

Les représentants de 195 pays vont adopter lundi en Corée du Sud le rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental d’études sur le climat, consacré à ce que serait une planète plus chaude de 1,5 °C par rapport à l’ère pré-industrielle. Au rythme actuel des engagements pris lors de la COP 21, la hausse serait de 3 °C. Un changement radical s’impose.

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » La célèbre phrase de Jacques Chirac, prononcée en 2002 à Johannesburg, au IVe Sommet de la terre, n’est plus vraiment d’actualité. La nouvelle version serait plutôt : « Notre maison brûle, nous voyons précisément la progression du feu, nous connaissons la température dans la chaque pièce, mais nous n’avons pas encore organisé les secours. »

Telle est l’impression qui risque de se dégager lundi à la lecture du « résumé pour les décideurs » du rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental d’études sur l’évolution du climat (Giec) publié le jour même. Au moment de l’accord de Paris, lors de la COP 21 en 2015, les pays se sont mis d’accord pour tenter de contenir la hausse de la température « bien au-dessous de 2 °C et de poursuivre leurs efforts pour limiter cette hausse à 1,5 °C ». La France y avait œuvré, bénéficiant aussi de la présidence Obama aux États-Unis et de la bonne volonté de la Chine.

Or la terre est en ce moment même sur une trajectoire de + 3°C. Et encore, en prenant en compte les engagements des États. La réalité, elle, est bien pire. La France, par exemple, dont le président a été désigné à New York « champion de la terre », n’a pas respecté ses propres objectifs cette année – en 2017, la France a dépassé de 6,7 % son plafond d’émissions de gaz à effet de serre. Selon une première version du rapport publiée en juin, la hausse de 1,5 °C devrait être atteinte en 2040. C’est dire si la situation est urgente, pour ne pas dire impossible à contrecarrer. 

« Cette formulation sur les 2 °C et les 1,5 °C était un compromis boiteux lors de l’accord de Paris, explique Maxime Combes, économiste et membre d’Attac. C’est un peu comme dans l’ancienne URSS, quand telle entreprise ne parvenait pas à produire X, on lui demandait de produire 120 % de X l’année d’après en espérant qu’elle augmenterait ainsi sa production. On fixe des objectifs ambitieux pour essayer de faire bouger la réalité, mais ça ne fonctionne pas. »

À Paris, les États de la COP 21 avaient demandé au Giec de produire un rapport sur les connaissances scientifiques autour d’un monde à +1,5 °C, et de montrer les différences avec un monde à +2 °C. C’est ce rapport, de près de mille pages, que les délégués de 195 pays ont examiné ces derniers jours à Incheon en Corée du Sud. 

Les délégués doivent produire un document d’une quinzaine de pages, le « résumé pour les décideurs ». Chaque mot y sera pesé, chaque graphique aura été débattu. Et le résultat, issu d’un consensus politique, risque de laisser les militants sur leur faim.

« Le Giec n’est pas un organe de décision politique, a rappelé vendredi matin, lors d’une conférence téléphonique, Pierre Canet, du WWF France. Ce rapport doit éclairer les décideurs. Il vient renforcer la responsabilité qu’ils portent. Seront-ils à la hauteur ? » « Le temps n’est plus à la prise de conscience. Il est à l’action immédiate, profonde, de tous les acteurs, y compris politiques et économiques, au premier rang desquels les États », estime pour sa part le Réseau Action Climat (RAC, qui regroupe de nombreuses ONG).

Quelques éléments intervenus depuis l’accord de Paris laissent toutefois sceptiques. Il y a d’abord eu la décision du président américain Donald Trump de quitter cet accord. Début septembre à Bangkok, les États-Unis et d’autres pays occidentaux se sont de nouveau attiré les foudres des pays les plus petits et les plus pauvres, en refusant de s’engager clairement et pleinement sur les financements promis à Paris en 2015.

En France, la démission de Nicolas Hulot, fin août, a également montré que même un pays qui peut se vanter d’être à l’origine de l’accord historique de la COP 21 est loin d’en faire assez. Quand le ministre démissionnaire a fustigé la politique des « petits pas », il a mis sur la place publique une évidence pour de nombreuses ONG : lutter contre le réchauffement climatique ne pourra passer que par une profonde et radicale modification de notre système économique.

Sans oublier l’Allemagne, qui s’illustre en cette rentrée avec l’évacuation de la forêt primaire de Hambach pour agrandir une mine de lignite, la version la plus polluante du charbon.

Selon le Giec, la planète ne dispose plus que de deux ans pour changer sa trajectoire et espérer rester sous les 1,5 °C. « Cela demande des efforts sans précédent et des transformations profondes de notre système. Concrètement, il s’agit de réduire drastiquement les émissions pour atteindre la neutralité tous gaz à effet de serre d’ici à la moitié du siècle, c’est-à-dire un équilibre entre les émissions et les puits naturels (océans ou forêts) », estime les ONG du RAC. 

Selon une pré-version du rapport, le Giec devrait recommander une réduction bien plus importante de la pollution due aux hydrocarbures qu’initialement prévu. Les industries consommatrices de ces énergies fossiles devraient d’ici 2030 consommer un tiers uniquement de ce qu’elles consomment aujourd’hui.

La réaction des producteurs de charbon ne s’est pas fait attendre. Dans un article de Bloomberg, Brian Ricketts, secrétaire général de l’Association européenne du charbon et du lignite, estime « peu probable que nous voulions utiliser substantiellement moins d’énergie dans le futur ». « Bénéficier de l’énergie a permis le progrès. Utiliser encore plus d’énergie est nécessaire pour créer un monde meilleur pour tous », martèle-t-il. 

Les experts du Giec devraient également recommander de conserver, restaurer et augmenter les puits naturels de carbone, en particulier les forêts. Ils écartent en revanche le recours à la géo-ingénierie, par exemple le fait de vaporiser des particules dans la haute atmosphère pour atténuer le rayonnement solaire. Pour les experts, de telles mesures se basent sur de « grandes incertitudes et des lacunes dans nos connaissances » (extrait du rapport cité par Reuters en juin dernier).

La Terre sur le point de sortir de sa trajectoire « naturelle »

Le rapport devrait également insister sur les différences entre un monde à +1,5 °C et un monde à +2 °C. Interrogée par la BBC, le Dr Heleen de Coninck, l’une des coordonnatrices du rapport, estime que « les décisions que nous prenons maintenant, à savoir si nous laissons le réchauffement attendre 1,5 °C, 2 °C, ou plus, changeront énormément notre monde ». « Mais nos vies, en gardant la limite de 1,5 °C, avec l’augmentation de la population et les effets sur la croissance, seront de toute façon très différentes », ajoute la chercheuse.

Ce chemin pour rester sous les 1,5 °C de réchauffement planétaire est d’autant plus important qu’une étude parue au cœur de l’été dans la revue de l’Académie américaine des sciences (PNAS) tire un énième signal d’alarme (Le Monde en a parlé ici, Reporterre là). Selon une quinzaine de chercheurs, dont Will Steffen, Johan Rockström et Katherine Richardson, la terre pourrait se transformer en étuve, si la barre des 2 °C de réchauffement est franchie.

Selon cette étude, ce niveau d’augmentation des températures constitue un point de rupture. Cela pourrait entraîner une série de rétroactions positives, c’est-à-dire que les phénomènes liés au réchauffement s’auto-alimenteront. Par exemple, le réchauffement du pergélisol – le sol gelé depuis des milliers d’années des régions arctiques ou des sommets – libérerait du CO2 comme du méthane, ce qui ferait encore grimper la température, entraînant un nouveau réchauffement du pergélisol, et ainsi de suite.

Les chercheurs parlent ainsi du risque de se trouver dans une « Terre Serre » (« Hothouse Earth »). « Il y a aujourd’hui un risque que les puissants effets non linéaires des processus de rétroaction deviennent un facteur important, voire le principal, de la trajectoire du système terre dans les siècles prochains », écrivent les chercheurs. Cette notion de trajectoire est importante, car, selon les chercheurs, si la terre sort de sa trajectoire « naturelle », l’y faire revenir relève de l’impossible.

Pour fixer le risque d’un emballement à partir d’environ deux degrés, les mêmes chercheurs se sont basés sur certains effets déjà observés avec la hausse actuelle d’un degré, qu’ils qualifient d’ores et déjà de « bifurcation » par rapport à la trajectoire naturelle. Pour tenter d’empêcher le système terre de sortir de sa voie, les universitaires estiment qu’il faut rapidement réduire d’une part les émissions de carbone, d’autre part créer ou entretenir des puits à carbone (essentiellement les forêts) et enfin, étudier l’éventualité d’agir directement sur le rayonnement solaire. Mais ce dernier point pourrait entraîner « des risques très importants de déstabilisation ou de dégradation de plusieurs processus clés du système terrestre », selon les mêmes experts.

Les chercheurs soulignent enfin que l’humanité a désormais le choix : franchir des points de non-retour faute d’avoir agi à temps, ou bien agir vite tout en sachant qu’il faudra de toute façon composer avec une terre bien plus chaude qu’actuellement.

Un homme marche dans le lit asséché d’un réservoir dans le district de Sanyuan, en Chine. © Reuters Un homme marche dans le lit asséché d’un réservoir dans le district de Sanyuan, en Chine. © Reuters

Dès le lendemain du rapport du Giec, les Européens devraient avoir un premier aperçu de la réception de ce rapport par les responsables politiques. Les vingt-huit ministres de l’environnement de l’UE se réunissent mardi au Luxembourg, sous la présidence de l’Autriche. À l’ordre du jour : les normes en matière d’émissions de CO2, le changement climatique et la biodiversité.

En amont de la publication du rapport du Giec, le Réseau Action Climat souligne que « les objectifs climatiques européens, fixés en 2014, sont obsolètes depuis la COP21 et sont très loin de ce que l’Europe peut et doit faire ». Et insiste : « Il est temps que les dirigeants des pays européens, dont la France, prouvent que l’Europe peut agir pour protéger ses citoyens. »

Il ne faudra pas compter en revanche sur le patronat européen. Selon deux documents internes à BusinessEurope, le lobby des patrons à Bruxelles qui fédère les associations patronales de trente-quatre pays européens – dont le Medef français –, et présidé depuis peu par l’ancien dirigeant du Medef Pierre Gattaz, n’a semble-t-il rien saisi à la gravité de la situation.

Dans un premier document, rendu public courant septembre par Euractiv, BusinessEurope estime qu’il faut soutenir la politique climatique européenne « tant qu’on parle d’une déclaration politique sans implications » précises sur les engagements chiffrés. En revanche, le patronat compte « s’opposer à une nouvelle hausse des ambitions en utilisant les arguments habituels ». En clair, derrière un soutien de façade, les grands patrons européens veulent saboter de l’intérieur tous les objectifs contraignants.

Un second document, lui aussi révélé par Euractiv et daté 3 octobre 2018, révèle plusieurs versions de la contribution de BusinessEurope à une consultation publique sur la stratégie de réduction des émissions à long terme, lancée par la Commission européenne. Si l’on compare les différentes versions du texte, on se rend compte que les références précises à des objectifs de réductions des émissions ont été effacées. Quant à la « trajectoire de réduction des gaz à effet de serre », elle s’est transformée, dans une version ultérieure, en un simple « scénario de réduction des gaz à effet de serre ».

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