Cette soirée présentée par Alternatives et la Fondation Rosa Luxemburg Stiftung New York avait pour thème la défense des droits de la nature et la justice environnementale. Les conférenciers ont abordé plus concrètement l’urgente nécessité de transformer le système actuel, dit productif, basé sur l’exploitation massive des énergies fossiles et marqué par de grandes inégalités sociales. Chacun à leur manière, ils ont partagé leur vision de la situation et la voie à privilégier pour permettre l’entrée dans une transition juste. Les mouvements populaires étant au cœur de tout changement sociétal profond, des clefs précieuses ont été partagées aux participants pour initier une transition vers un modèle économique pauvre en carbone, socialement juste et porteur d’un projet sociétal durable.
Naomi Klein, invitée phare de la soirée : militante altermondialiste et auteur de No Logo et This Changes Everything : Capitalism vs. the Climate (Canada)
Pour Naomi Klein, les problématiques rencontrées actuellement sont toutes interconnectées. Le modèle néo-libéral n’adressera jamais la crise écologique. Puisqu’il se base sur la croissance à tout prix, ses réformes et ses politiques demeureront toujours superficielles. Aucun changement réel et profond ne prendra place dans de telles circonstances. Le néo-libéralisme arrive à charmer la population avec un discours écologique, mais cela ne sert à rien si les politiques et les actions gouvernementales ne tiennent pas la route. Il faudra donc briser toutes les barrières du néo-libéralisme et rejeter les vieux schémas de croissance pour espérer sortir la tête de ces eaux troubles. Klein appelle à l’action en cette ère de changements. La prise de conscience des méfaits du capitalisme est globalisée, et il est temps plus que jamais de se rassembler pour créer un nouveau modèle, une culture où nous prenons soin les uns des autres et de la Terre, une économie du care.
Anne-Céline Guyon : porte-parole de Stop Oléoducs sur la mobilisation citoyenne québécoise contre le projet d’Oléoduc Énergie Est (Canada)
Guyon dénonce le modèle extractiviste qui fait fi du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en s’opposant à des projets industriels et qui nie l’existence des changements climatiques. La mobilisation citoyenne est toutefois, selon elle, l’unique voie efficace pour faire entendre son opposition. Elle expose le cas du projet d’Oléoduc Énergie Est pour démontrer un exemple de mobilisation massive de la société civile ayant un impact réel sur le développement d’un projet industriel. Plus les gens sont informés sur ce projet, plus ils s’opposent à Énergie Est. Cette entreprise devient peu à peu dans l’imaginaire collectif un symbole des impacts sur les droits humains comme ceux des communautés autochtones. Enfin, bien qu’il faille lutter, il est aussi important de proposer de nouvelles voies pour un monde empreint de justice climatique et de justice sociale.
Maité Llanos : militante syndicale et membre de Trade Unions for Energy Democracy sur le lien entre le libre-échange et l’environnement (Argentine)
Madame Llanos estime qu’ouvrir le débat sur les changements climatiques dans une société néo-libérale ne fait qu’accorder un espace encore plus grand aux entreprises capitalistes pour se développer un champ d’action « acceptable ». Ainsi, discuter du climat est une erreur si on souhaite changer le système. Si une transition juste est instaurée, il faudra qu’elle soit menée par et pour le peuple, et non par et pour les corporations. Puis, il faudra ensuite arriver à démanteler les accords de libre-échange qui accordent beaucoup de pouvoir à ces dernières. Nous devons donc continuer à créer des alliances, étendre la mobilisation pour combattre le système, le gouvernement et les corporations, et construire un front de résistances et d’alternatives au capitalisme mondialisé.
Tadzio Muller : représentant de Rosa Luxemburg Stiftung Allemagne et co-animateur de la Coalition Climat 21 sur les mobilisations contre les centrales au charbon en Allemagne (Allemagne)
« C’est le pouvoir qui compte. » Pour Tadzio Muller, le combat pour les changements climatiques concerne le capitalisme et ce combat est celui de la société civile. Cette dernière devra se mobiliser pour voir les choses changer concrètement en développant son propre projet, sa propre vision. Les mouvements sociaux sont à la source des grands changements sociétaux, non les politiques gouvernementales. Nous devons nous mobiliser pendant qu’il est encore temps, avant qu’une déclaration des droits pour les entreprises capitalistes n’agrandisse encore plus leur champ d’action. En effet, leur accès à davantage de pouvoirs annoncera la fin du pouvoir des citoyens, de l’impact de la mobilisation citoyenne.
Clayton Thomas-Muller : ancien porte-parole de Idle No More et chargé de campagne à 350.org sur l’importance de bloquer les sables bitumineux et contrer l’extractivisme (Canada)
Clayton Thomas-Muller explique la crise écologique comme une déconnection de l’humanité dans sa relation sacrée avec la Terre Mère. Le modèle économique actuel nous incite à remplir ce vide laissé par cette déconnection de la nature par la surconsommation, afin d’assouvir notre avarice. Tant que nous ne nous rendrons pas compte de ce cercle vicieux, nous n’arriverons jamais à trouver de solutions durables. Thomas-Muller ajoute qu’en parlant de changements climatiques, il est nécessaire d’aborder les thèmes du colonialisme et de la réconciliation, surtout sous une perspective des Premières Nations. Ces deux thèmes permettront de se remémorer les schémas à ne pas reproduire (désappropriation, délocalisation, assimilation) et guérir des blessures du passé pour reconstruire sur de nouvelles bases.
À la lumière de ces interventions, on comprend que la solution à cette crise écologique et humaine réside dans la mobilisation citoyenne, les alliances entre les groupes et organisations impliquées, et la dénonciation continue du modèle économique actuel basé sur l’extractivisme (rapport de domination avec la nature où les ressources naturelles sont exploitées de manière intensive) et le maintien d’inégalités sociales. La crise écologique est avant tout une crise systémique. Pour arriver à la surmonter, il sera donc nécessaire de réfléchir et de développer une stratégie d’action globale. Un mouvement doit s’organiser ralliant des activistes de tous les champs et milieux pour constituer un panel à l’image de cette stratégie clef. À la crise écologique est liée une multitude d’autres luttes : raciales, féministes, anticapitalistes… Penser de manière plurielle en reconnaissant l’intersectionnalité des luttes et la convergence qui en découle permettra donc de développer une réponse pertinente dans cette quête d’une transition juste.