Édition du 12 novembre 2024

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LGBT

Au-delà du cliché — Questions d’identité L’homosexualité est-elle une mode ?

Quatre jours à nous côtoyer n’avaient pas suffi. Plus de 50 heures à partager des repas, à discuter et à rigoler, non plus. Nous étions deux journalistes conviés à un voyage de presse pour découvrir Paris. Elle, une gentille Roumaine. Moi, un jovial Québécois. Lors de notre dernier souper, la dame m’a demandé quel genre de femme je cherchais.

tiré de : L’INFOLETTRE DE FUGUES # 624 - 29 mai 2017 Publié le 23 mai 2017 à 09h01 Samuel Larochelle

Après avoir éclaté d’un long rire, pendant lequel j’ai tenté d’évaluer le taux d’alcoolémie qui influençait son jugement, j’ai compris qu’elle ne blaguait pas. Je lui ai donc répondu, avec mon sourire des grandes occasions, que je cherchais un homme. Un silence s’est installé. Longtemps. Jusqu’à ce qu’elle ajoute un commentaire encore plus improbable : « C’est rendu à la mode, l’homosexualité, on dirait… »

Ma première réaction s’est résumée à un « what the fucking fuck !? » entre mes deuxoreilles. Comment pouvait-elle limiter mes préférences à une simple tendance ? Ne savait-elle pas que les homosexuels avaient passé les dernières décennies à se battre pour être considérés comme des êtres humains égaux (insérez ici un résumé de toutes les batailles politiques, de tous les souvenirs homophobes et de tous les conflits intérieurs accompagnant le fait de se savoir différents, marginaux et persécutés) et qu’un nombre effarant de pays sont encore le terrain de ces guerres barbelées de souffrances ? Réalisait-elle qu’elle s’exprimait comme les arriérés convaincus que l’homosexualité n’est rien d’autre qu’une phase, que ça ne peut pas être sérieux, parce que la vie sur Terre n’est valable que lorsque des êtres de sexes opposés s’accouplent ? Pensait-elle vraiment que mon intérêt pour le corps des hommes s’expliquait par des raisons aussi volatiles que nos préférences pour une couleur, une coupe de vêtements, une marque de voiture ou des cafés qui coûtent trop cher ?

Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête lorsque j’ai pris un pas de recul. J’ai pensé que ma réaction était sûrement décuplée par le dégoût qui s’emparait de moi lorsqu’on me plaçait dans une boîte en prétendant que je ressemblais à tout le monde. Je me suis dit que la Roumanie de mon interlocutrice n’était probablement pas un territoire où la communauté lgbtq pouvait agir librement, et qu’elle n’avait peut-être pas été assez confrontée à leurs réalités pour y réfléchir et ouvrir son esprit. Puis, j’ai décidé de remettre en question mes propres croyances en analysant son commentaire autrement : l’homosexualité est-elle AUSSI une mode ?

Il suffit d’observer les comportements des générations qui suivent la mienne pour constater que le rapport à l’homosexualité, à la bisexualité et au transgenrisme s’est drastiquement transformé depuis vingt ans. Je me sens comme un vieux dinosaure à la se-conde où je discute de ces enjeux avec mes cousines de 14 ans ou avec des amis fraichement débarqués sur la planète des vingtenaires. Un vieux dinosaure heureux, il va sans dire. Malgré les imperfections du peuple québécois, malgré les drames qui se produisent encore, malgré l’ignorance tatouée au fond du crâne de certains concitoyens et malgré les gais et lesbiennes qui ont un parcours si positif qu’ils imaginent que tous les problèmes sont choses du passé, les perceptions de la population ont évolué en profondeur. Les jeunes lgb sont désormais nombreux à s’afficher ouvertement dès le début ou le milieu du secondaire (chose qui, il y a quinze ans, m’apparaissait comme une apocalypse sociale) et de plus en plus de milieux scolaires, familiaux et amicaux soutiennent adéquatement les personnes trans.

Sensibles à leur environnement de plus en plus inclusif et toujours partants pour défier ceux qui sont accrochés aux carcans rigides d’une époque révolue, quantité d’adolescents abandonnent leurs jugements face aux personnes lgbtq. Plusieurs d’entre eux reconsidèrent l’hétéronormativité imposée par la société, les films, les livres, les séries télés et les rêves d’une vie heureuse inculqués par leurs parents bien intentionnés, mais peu conscients des dommages que peuvent causer leur idée préconçue du bonheur. Ces jeunes osent, testent leurs limites, multiplient les expériences et identifient peu à peu leur place sur l’échelle de Kingsey : sont-ils uniquement attirés par les représentants du sexe opposé, du même sexe, les deux équitablement ou les deux selon les contextes, leurs humeurs et leurs envies ?

Plus ils expérimentent et plus ils en parlent, plus leurs amis envisagent faire de même. Parce que ceux-ci réalisent que de telles envies ne sont plus condamnées comme autrefois et parce qu’ils se laissent emporter par l’effet d’entraînement… un peu comme une mode. À un âge où la définition de son identité côtoie la volonté de se fondre dans le groupe, plusieurs jeunes imitent leurs semblables en explorant les nuances de leur sexualité. Et s’ils se lancent dans cette aventure en respectant leurs limites et celles de leurs partenaires, ils ont tout mon respect. N’en déplaise à ceux qui ont un attachement maladif aux étiquettes.

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