Selon Gabriel Allahdua, membre de DTMF et anciennement travailleur sous permis fermé : « J’ai dédié ma vie à la lutte pour un traitement juste des migrants au Canada. Contester les restrictions au droit de changer d’employeur devant les tribunaux est un des moyens à notre disposition potentiellement déterminant. Le gouvernement canadien affirme que les travailleurs migrants sont essentiels, mais il les lie à leur employeur et les exclut à différents niveaux, restreignant ainsi pour eux l’accès aux mécanismes de protection mis en place pour les travailleurs. »
Cette action juridique historique constitue une étape cruciale et nécessaire à la reconnaissance au Canada des droits fondamentaux et de la dignité de tou.te.s les travailleuses.rs (im)migrant.e.s.
Selon Fernanda Cortes, membre de DTMF et ancienne travailleuse communautaire dédiée au soutien de personnes sous permis fermé : « Les travailleurs et travailleuses liés à un employeur subissent, parfois pendant des années, des abus et de la violence de nature économique, physique, psychologique et sexuelle dans leur milieu de travail, en plus de la discrimination. Leur droit de travailler au pays étant dépendant de leur employeur, ils vont rarement dénoncer. De plus, ils sont susceptibles de tomber dans le travail au noir sinon sous statut irrégulier lorsqu’ils perdent ou quittent leur emploi. Beaucoup ont été forcés de retourner dans leur pays d’origine encore endettés, gardant de profondes séquelles physiques et psychologiques de l’abus vécu ici, n’ayant obtenu aucune forme de justice ou réparation. »
Depuis maintenant plusieurs décennies, l’impact préjudiciable du statut d’immigration lié à un ou plusieurs employeurs spécifiques été dénoncé à répétition par les groupes communautaires, les ONGs, les syndicats, les journalistes et les chercheurs (1). Il a été reconnu en cour, devant les tribunaux et par les commissions de droits (2), mais aussi par différents comités parlementaires (3) et par le gouvernement fédéral lui-même (4).
Selon Eugénie Depatie-Pelletier, Directrice du projet constitutionnel à DTMF : « Notre société a choisi de fermer les yeux sur une situation carrément inacceptable sur le plan humain mais qui faisait bien son affaire. La prospérité du Canada durant les dernières décennies a été acquise de façon notable à travers la violation systémique de droits fondamentaux, sur le dos d’une sous-classe d’(im)migrants placés en condition de servitude dans leur milieu de travail. Il est temps aujourd’hui de mettre fin au travail non-libre, un système qui traite la travailleuse comme la quasi-propriété de son employeur, de mettre fin à cette omerta glaçante qui se répètent depuis trop longtemps vu la complicité du gouvernement fédéral. »
Plus tôt cette semaine, les quatre grandes centrales syndicales québécoises ont aussi unanimement dénoncé les effets pervers du permis de travail fermé sur les conditions de travail des travailleuses et des travailleurs migrants et, par ricochet, sur tout le marché du travail. Elles ont appelé les gouvernements du Québec et du Canada à abolir ce type de permis. (5)
Selon Katia Lelièvre, Vice-présidente de la Confédération des Syndicats Nationaux : « Des employeurs font appel aux permis fermés parce qu’ils en ont le droit, de la même manière qu’ils paieraient les gens sous le salaire minimum s’ils le pouvaient. D’ailleurs, plusieurs de s’en privent pas. La lutte contre les permis fermés est une des grandes luttes ouvrières de notre époque et les travailleurs étrangers peuvent compter sur le mouvement syndical et sur la CSN pour se battre à leurs côtés. »
Le constat du Rapporteur spécial de l’ONU, rendu public la semaine dernière au terme de sa visite au Canada, est honteux mais vrai : le gouvernement fédéral continue à placer certains (im)migrants en situation de « vulnérabilité aux formes contemporaines d’esclavage ». (6)
Selon Hans Marotte, Conseiller politique, Fédération des Travailleuses et Travailleurs du Québec : « Les permis de travail fermés créent deux classes de travailleurs qui vont à l’encontre de tous les principes d’équité et de justice digne d’une société démocratique. La situation est alarmante pour les travailleurs et travailleuses de maison et de ferme, mais aussi pour une panoplie d’autres métiers. En tant que centrale syndicale, nous avons toujours milité pour rehausser les conditions de travail de tous et toutes, qu’ils ou qu’elles soient syndiqué.es ou pas, et ce recours est un grand pas dans la bonne direction pour mettre fin à une horreur qui perdure depuis trop longtemps sur notre sol canadien. »
Le gouvernement fédéral n’a pas à faire appel aux permis fermés pour atteindre ses objectifs. Il pourrait admettre plus, et plus rapidement, de familles immigrantes. Il pourrait en parallèle créer un programme d’admission accélérée associé à des quotas de permis de travail ouvert par types de qualification. Il pourrait reconnaître, dès l’émission du permis de travail, un accès au statut permanent sans condition. Il pourrait aussi prévoir des permis automatiques pour conjoint et enfants. Il s’agit d’autant de façons de satisfaire les besoins canadiens en main d’œuvre tout en étant respectueux des droits, de la dignité et de l’intégrité des travailleuses.rs (im)migrant.e.s.
Selon Lauriane Palardy, présidente du conseil d’administration de DTMF et avocate chez Justice Pro Bono : « Empêcher un être humain de changer d’employeur, c’est le priver de sa liberté et de sa dignité. Il est urgent d’y remédier et de se mobiliser contre la vulnérabilisation des travailleurs et travailleuses (im)migrants. »
Ce recours aux tribunaux vise à émanciper toutes les personnes actuellement au pays sous autorisation de travail restrictive, à obtenir justice pour le passé et à prévenir, au Canada et ailleurs, la consolidation des régimes d’emploi de migrants non-libres, remplaçables et jetables. L’immigration est certes socialement positive et nécessaire, y compris pour le développement de la population active ; mais la restriction étatique de la liberté, de la sécurité et de l’accès à la justice de travailleurs n’a jamais été, et ne sera jamais, justifiable dans une société libre et démocratique.
Notes
1- Voir par ex. The United Food and Commercial Workers Union (2020), The Status of the Migrant Farm Workers in Canada, 2020 - Special Report : Marking three decades of advocacy on behalf of Canada’s most exploited workforce, 46 p.
2- Voir par ex. 2015 HRTO 675 ; 2014 HRTO 611 ; 2022 HRTO 2017 HRTO 336.
3- House of Commons : Immigration Programs to Meet Labour Market Needs, Report of the Standing Committee on Citizenship and Immigration (2021), Report on the Temporary Foreign Worker Program (2016) ; Temporary foreign workers and non-status workers (2009).
4- Voir par ex. IRCC - Policy Research, Research and Evaluation Branch (2021), Racism, Discrimination and Migrant Workers in Canada : Evidence from the Literature, 117 p.
https://publications.gc.ca/collections/collection_2022/ircc/Ci4-235-1-2022-eng.pdf ; Government of Canada (2019), Regulatory Impact Analysis Assessment of the Regulations Amending the Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2019-148 .
6- Voir par ex. Aljazeera (2023), Migrant workers in Canada ’vulnerable’ to modern-day slavery : UN expert, 6 sept.,
https://www.aljazeera.com/news/2023/9/6/migrant-workers-in-canada-vulnerable-to-modern-day-slavery-un-expert
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