2. Les générateurs de vapeur (GV) font intégralement partie des réacteurs de type CANDU et autres. L’eau hautement radioactive du circuit primaire de refroidissement, en contact direct avec les grappes de combustible, circule à l’intérieur des tuyaux dans les GV. En vieillissant, ces tuyaux deviennent de plus en plus radioactifs, corrodés et cassants ; il devient donc nécessaire de remplacer les GV. Le Département de l’Énergie des États-Unis a décrété : « Afin de disposer adéquatement des GV mis hors d’usage, des mausolées ou voûtes de stockage sont conçus pour minimiser les fuites de rayonnement et l’exposition à celles-ci du personnel et du public. »
3. Bruce Power détient 16 GV radioactifs remisés sur place à sa centrale, près du Lac Huron. La société ontarienne Bruce Power (BP) gère la plus importante centrale électronucléaire en Amérique du Nord. Elle y fait présentement la réfection de 2 de ses 8 réacteurs, ce qui nécessite le remplacement de 16 GV. En 2006, lors de l’évaluation environnementale du projet de réfection, ces 16 GV furent classés « déchets radioactifs ». Pour cette raison, il fut déclaré que les GV ne pourraient être recyclés et seraient gérés à perpétuité sur un site contigu de gestion surveillée des déchets nucléaires appartenant à l’Ontario Power Generation (OPG), qui en assure aussi la gestion. Ce site est destiné et conçu pour recevoir tous les GV désuets provenant de la réfection prévue des autres réacteurs de la même centrale.
4. Les GV désuets sont contaminés en plutonium et autres matériaux radioactifs. Le plutonium, sous cinq formes différentes, compte pour 90% de la masse radioactive de chacun de ces GV désuets. À lui seul, le plutonium 239 contenu dans les 16 GV est, en principe, suffisant pour donner la charge corporelle maximale admissible de contamination radioactive à 52 millions de travailleurs du nucléaire. Le plutonium 239 est un élément radioactif extrêmement toxique qui demeure dangereux pour des dizaines de milliers d’années. Les GV contiennent aussi d’autres éléments radioactifs à période longue.
5. En 2010, Bruce Power a demandé un permis pour transporter 16 GV jusqu’en Suède pour « recyclage ». Faisant fi des engagements qu’elle avait pris en 2006, BP a conclu en 2009 un contrat avec une société suédoise, la Studsvik, pour mettre en pièces chaque GV, en fondre l’enveloppe externe moins radioactive ainsi que pour couper et comprimer les tuyaux situés à l’intérieur ; Studsvik décrit ces derniers comme étant « un faisceau de tuyaux hautement radioactifs ». Le métal moins radioactif serait alors mis sur le marché de la ferraille pour utilisation non restreinte ; la partie la plus radioactive, soit environ 450 tonnes, serait renvoyée jusqu’à Halifax, d’où elle serait acheminée par camion à BP.
6. Les GV seraient transportés par les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent. L’entente entre BP et Studsvik requiert que les GV soient d’abord camionnés de Kincardine (Ontario) à Owen Sound, puis transportés par bateau sur les Grands Lacs et le Saint-Laurent, avant de traverser l’Atlantique jusqu’à l’usine de Studsvik en Suède. Chaque GV contient suffisamment de radionucléides toxiques à longue période pour gravement contaminer l’eau potable d’une masse d’eau locale dans le cas d’un accident. Rappelons qu’une barge s’est retournée en octobre 2008 dans le port de St-Jean (N.-B.), envoyant par le fond du port les rotors de deux turbines à vapeur neuves pesant 107 tonnes chacune.
7. La demande de permis de transport par BP a soulevé une vague de protestations. Des douzaines d’ONG, de municipalités, de communautés des Premières nations et autres communautés autochtones ont exprimé leur opposition à ce transport. Quelque deux cents municipalités bordant les Grands Lacs et le Saint-Laurent ont adopté des résolutions s’opposant au transport projeté. Plusieurs communautés des Premières nations et autres communautés autochtones ont exprimé leur mécontentement de n’avoir pas été consultées ni même informées à propos de ce projet de transport. La Commission canadienne de sécurité nucléaire (CCSN), l’instance émettant de tels permis, a été forcée de tenir des audiences publiques en septembre 2010 pour recevoir les points de vue de 80 intervenants du Canada, des États-Unis et d’outre-mer. La CCSN a allongé la période de consultation, puis a remis à plus tard sa décision, mais a finalement émis le permis de transport le 4 février 2011.
8. La radioactivité contenue dans ces GV excède le montant maximal prescrit pour un seul navire. C’est la réglementation de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui détermine la quantité de radioactivité autorisée pour un chargement unique. La CCSN admet que la radioactivité des 16 GV de Bruce Power excède par plus de 6 fois la norme établie par l’AIEA. Des opposants au projet maintiennent que ce transport des GV excède plutôt par 60 fois les normes de l’AIEA, considérant les limitations plus contraignantes établies par cette agence pour les voix navigables intérieures.
9. Cette restriction réglementaire a été contournée par un « Arrangement spécial ». Dans des circonstances exceptionnelles ou urgentes, les règlements de l’AIEA prévoient que les cargaisons contenant un excédent de rayonnement peuvent être autorisées suite à un « Arrangement spécial ». Les opposants au projet contestent cet « Arrangement spécial » en s’appuyant sur le fait que le promoteur n’a pas démontré la nécessité de ce transport. Ontario Power Generation (OPG), la corporation provinciale propriétaire des réacteurs de BP, a prévu remiser sur son site tous ces générateurs à vapeur.
10. Le traitement des GV en Suède contaminerait le marché de la ferraille avec des déchets radioactifs. Il n’y a pas de marché pour le métal radioactif. Personne n’en veut. Studsvik se propose de mélanger le métal radioactif des GV avec du métal non contaminé à raison d’une part pour dix. Le matériau résultant sera vendu en tant que ferraille sans avertissement quant à sa teneur en plutonium et autres polluants radioactifs fabriqués de main d’homme. Au cours des dernières années, l’ONU, la Steel Manufacturers Association et le Bureau International de la Récupération et du Recycling, ont condamné cette pratique inquiétante qui consiste à contaminer le marché mondial de la ferraille avec des déchets radioactifs.
11. Il existe déjà une alternative acceptable et approuvée par la CCSN pour ces GV. En octobre 2009, à la demande de BP, OPG a transféré à celle-ci les titres de propriétés des GV. Avant cette transaction, un plan concerté de remisage sur place et à perpétuité des GV avait été établi. Lors d’une évaluation environnementale en 2006, BP prévoyait remiser les GV en surface jusqu’en 2043, pour les enfouir ensuite sous terre. Entre-temps, une usine pour réduire le volume des GV devait être construite par le propriétaire, OPG. Cette proposition fut acceptée par la CCSN en 2006. En 2006-2007, BP et la CCSN ont affirmé que les GV étaient des déchets radioactifs et donc, ne pouvaient être recyclés.
12. Ce transport des GV désuets occasionne des risques pour la santé et l’environnement. Des intervenants tels que l’Alliance des Villes des Grands Lacs et du Saint-Laurent ont démontré que le pire scénario d’accident impliquant les GV pourrait contaminer l’eau potable d’une ville entière à un niveau tel qu’il faudrait trouver de nouvelles sources d’approvisionnement. Rappelons que 90% de l’inventaire radioactif des GV est attribuable au plutonium, bien connu pour être l’un des matériaux radioactifs les plus toxiques fabriqués de main d’homme et qui persiste pendant des dizaines de milliers d’années. Par conséquent, tout accident majeur rejetant un tel élément aurait des conséquences s’étalant sur plusieurs générations.
13. Procéder à ce transport maritime de GV établirait de dangereux précédents. Ce serait la première fois que des débris radioactifs provenant de vieux réacteurs nucléaires transitent par les Grands Lacs et le Saint-Laurent. Si on permet ce premier passage, beaucoup d’autres risquent de suivre. Ce serait aussi la première fois que le Canada procède à l’exportation de déchets radioactifs vers un autre pays. Ce serait la première fois que le Canada procède à la dissémination de ses déchets radioactifs sur le marché commercial international. De plus, ce serait la première fois que le Canada consent à l’importation de déchets radioactifs en provenance d’un autre pays. Ce sont tous de dangereux précédents.
14. La CCSN n’est pas l’instance appropriée pour déterminer les politiques gouvernementales. La CCSN est une agence octroyant des permis et, à moins qu’une directive ou une politique ne le lui interdise, elle émet habituellement les permis sollicités par l’industrie. Mais dans le cas qui nous concerne ici, il y a un vide politique. Ni le gouvernement fédéral, ni les gouvernements provinciaux n’ont établi de politique portant sur la gestion des déchets radioactifs provenant de la réfection ou du démantèlement des réacteurs nucléaires désuets. Le leadership en cette matière doit venir de nos élus par le biais de nos institutions démocratiques, suite à une vaste consultation publique, afin de déterminer ce qui est dans le meilleur intérêt de tous les Canadiens.
15. Le Canada a besoin d’une politique claire sur les déchets radioactifs dits « de faible intensité ». Dans le but d’établir une procédure responsable pour le futur, le Canada a besoin de directives claires sur l’exportation, l’importation, le transport et la classification des déchets radioactifs dits « de faible intensité ». Pour distinguer les différentes sortes de déchets radioactifs, une meilleure classification fondée sur toxicité et longévité est nécessaire. Et, plus important, nous avons besoin de règles claires sur la façon d’isoler à perpétuité les déchets nucléaires de l’ensemble des êtres vivants.
Pour plus d’information, visiter http://ccnr.org – le site web du Regroupement pour la surveillance du nucléaire – où les parlementaires peuvent trouver une résolution visant à arrêter ce transport.