Zone Agtech : le contraire de la transition
L’expression biomassacre (dérivée du terme biomasse) provient d’un rapport de l’organisation ETC Group paru en 2011, qui fait le point sur les impacts de l’industrie émergente des biotechnologies dans le monde. Cette nouvelle niche industrielle, créée pour permettre à des investisseurs de mettre leur argent à l’abri des marchés financiers qui s’écroulent, réunit plusieurs secteurs technologiques apparemment distincts pouvant converger en un « écosystème » d’innovations présentées comme des solutions face aux crises climatiques et environnementales : nanotechnologie, biotechnologie, technologies de l’information, robotique.
À L’Assomption, le greenwashing va bon train alors que l’organisme de développement économique de la MRC, le CIENOV, a pavé la voie à la création d’une nouvelle zone industrielle géolocalisée de 14 km², comprenant des terres pour des cultures expérimentales et un million de pieds carrés de nouveaux bâtiments industriels. Ce nouveau complexe nommé Zone Agtech est réparti sur deux municipalités (Repentigny et L’Assomption). Il est dédié aux technologies agricoles innovantes. Le maire de L’Assomption ne tarit pas d’éloge envers ce projet qu’il décrit comme la « Silicon Valley » des nouvelles technologies agricoles en terre québécoise et un laboratoire de l’agriculture de l’avenir. À y regarder de plus près, la nouvelle zone Agtech marquerait plutôt une entrave sérieuse à la transition vers l’agriculture durable dont nous avons un besoin urgent et incontournable. Les aspects problématiques de ce projet sont nombreux et interreliés. Essayons d’y voir plus clair.
Un mauvais choix énergétique
Les nouveaux bâtiments industriels situés à L’Assomption seront obligatoirement munis d’une serre sur leur toit. Les experts de la transition reconnaissent que l’efficacité énergétique est la voie à privilégier pour réduire les GES. La géothermie ou l’aérothermie couplées à l’électricité et/ou une autre source d’énergie renouvelable seraient les meilleures options sur le plan économique et environnemental. Ces options auraient sans doute été retenues si les concepteurs de la Zone Agtech avaient été tenus de soumettre leur projet à un test climat. Ce qui n’a pas été fait. Même si la municipalité a conclu une entente de confidentialité avec Énergir concernant le choix énergétique pour le chauffage et la climatisation, des rumeurs circulent sur le fait que la zone sera alimentée par l’électricité et la biomasse. Si l’électrification des bâtiments et des serres est souhaitable, la biomasse est beaucoup moins verte qu’on veut le croire.
L’utilisation de la biomasse, qu’elle provienne des déchets municipaux, des résidus forestiers ou de productions agricoles, semble une solution d’avenir, mais il s’agit en fait d’un nouveau mirage technologique. Si elle peut avoir des applications à l’échelle locale, elle présente deux inconvénients majeurs. D’une part, la combustion de la biomasse ou sa transformation en gaz constituent une importante source de pollution atmosphérique et de GES. En effet, des études ont démontré que les émissions de CO2 de la combustion du bois sec (par exemple des copeaux de résidus forestiers) surpassent celles de l’essence et du diésel2. Il faudra une centaine d’année avant que le CO2 émis dans l’atmosphère en quelques minutes lors de la combustion d’arbres matures soit recapturé par des plantations nouvelles. D’autre part, l’exploitation à grande échelle de la ressource agricole ou forestière à des fins d’utilisation industrielle détourne ces matériaux précieux de leur fonction la plus essentielle qui est de régénérer les sols. C’est une approche qui s’inscrit dans l’idéologie de la croissance infinie du système capitaliste à des fins de profit, et non dans la réorganisation de notre système économique que la crise climatique rend indispensable.
Drones et commerce international
La zone accueillera une usine de fabrication de drones. Si, comme veulent le laisser croire les promoteurs, ces robots seront utiles en agriculture, leur construction nécessite quantité de métaux dont l’extraction est fortement émettrice de GES et destructrice des écosystèmes. Il va de soi que ce sont uniquement des grands exploitants industriels qui pourront y trouver un intérêt. Ce qui démontre déjà le peu d’adéquation avec la permaculture dont nous avons besoin pour l’avenir. Au-delà des autres usages récréatifs et commerciaux, l’utilisation croissante des drones à travers le monde sert plutôt les intérêts policiers et militaires. La question qu’on peut se poser est : en avons-nous vraiment besoin ?
Les produits fabriqués dans la Zone Agtech, hormis les produits des serres sur les toits, sont destinés au commerce international. Produire pour l’exportation dans un contexte où nous devons éliminer les GES et développer les circuits courts est absolument contraire à la transition et la lutte au changement climatique.
Opacité
La Zone Agtech est géolocalisée et la MRC souhaite y obtenir le statut de « zone d’innovation ». Il n’a pas été encore possible de savoir quels seront les avantages commerciaux et fiscaux associés au statut particulier de cette zone. Sommes-nous en présence d’un projet de zone franche où les industries pourront se soustraire aux lois du travail et aux lois fiscales du Québec ? Aux Pays-Bas, là où les Agtech ont pris leur envol et dont le modèle inspire nos développeurs, le secteur des exportations est réputé pour ce genre de réglementation complaisante. L’opacité règne dans le mécanisme décisionnel concernant la zone Agtech. Les citoyens sont écartés des prises de décision et les ententes de confidentialité se multiplient.
Conflits pour l’eau
La municipalité estime accueillir 5000 nouveaux résidents liés aux emplois dans la Zone Agtech. Déjà, les projets de développement domiciliaires vont bon train, entrainant la minéralisation de nombreux espaces verts au centre-ville et à sa périphérie. Ce qui est contraire à la démarche de transition visant à diminuer les îlots de chaleur et développer l’agriculture urbaine. Le projet Agtech prévoit également accueillir des industries nécessitant un apport d’eau important, tels que des bassins de pisciculture, l’élevage d’insectes, la culture de mycorhizes et la fabrication de bioplastiques, en plus des serres sur les toits.
Ces nouveaux besoins en eau, liés à l’augmentation de la population et aux besoins industriels croissants, laissent entrevoir des conflits pour la ressource. Alors que déjà la rivière L’Assomption connait une baisse historique de son débit et que la municipalité émet des avis d’interdiction d’arrosage lors des sécheresses et des canicules, on peut se demander qui de l’industrie ou des citoyens aura la priorité lorsque, comme on peut le prévoir dans un avenir rapproché, l’eau viendra à manquer ?
Pérenniser l’agriculture non durable
La zone Agtech devrait accueillir des élevages d’insectes pour décomposer le lisier de porc. Ce qui, dit-on, pourrait améliorer le bilan environnemental des mégaporcheries et permettre à cette filière agricole de se développer. Alors que 70% des terres agricoles au Québec servent à nourrir les porcs, principalement pour l’exportation, peut-on vraiment qualifier ces pratiques de durables ?
Vers une agriculture du désastre
Les promoteurs de la Zone Agtech présentent leur projet comme un exemple de « développement durable ». Dans les faits, c’est un projet de « business as usual » qui n’a rien de durable, sinon la dégradation climatique et environnementale qu’il entraine et les conflits sociaux qu’il annonce. Encore une fois les intérêts économiques d’un petit nombre dominent l’agenda politique dans le plus grand mépris de l’expertise québécoise et internationale sur la transition et la lutte au réchauffement climatique. Le grand spécialiste de la transition, Yves-Marie Abraham3, professeur de HEC Montréal, a défini les grandes orientations pour relever les défis de la transition : produire moins, partager plus, décider ensemble. Le projet de Zone Agtech est le contraire de tout cela.
Louise Morand
Comité vigilance hydrocarbures de la MRC de L’Assomption
Notes
1-https://etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/publication/pdf_file/biomassters_FRE_v3.pdf
2-https://etcgroup.org/sites/www.etcgroup.org/files/publication/pdf_file/biomassters_FRE_v3.pdf, p.19
3- Yves-Marie Abraham (2019). Guérir du mal de l’infini. Montréal : Écosociété.
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