Édition du 17 décembre 2024

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Olympiques

Sport : jeux ou compétition ?

Ça y est ! Les Jeux olympiques de Londre sont en marche et le battage médiatique nous assomme avec les résultats des performances, les records qui tombent, les impressions des analystes et les humeurs des athlètes. Plusieurs dénoncent la commercialisation de cet événement, la proximité des commanditaires, les combines qui se trament dans les officines du comité international olympique et ses différentes fédérations nationales et bien d’autres. Ici au Québec, nous avons encore en mémoire la catastrophe financière que furent les olympiques de 1976. Mais au-delà de ces scandales financiers, les olympiques, jeux ou compétitions ?

Plus récemment, l’affaire du nouveau Colisée de Québec et les enterloupettes du maire Labeaume offrant sur un plateau d’argent (jeu de mots trop facile) un nouvel outil à l’empire Québecor pour maximiser sa convergence sportive dans le hockey professionnel a permit de souligner le côté mercantile de l’activité et la complicité des dirigeants politiques et économiques dans cette opération visant à vendre encore davantage le sport-spectacle et l’inscrire dans des stratégies de développement des affaires. Mais qu’en est-il de l’institution sportive elle-même ? Quelle place, quelle fonction occupe le sport dans la société capitaliste mondialisée ?

Plusieurs opposantEs au financement du nouveau Colisée de Québec faisaient la distinction entre le financement public scandaleux du projet Québecor tout en se disant amateurEs de hockey et favorables à une équipe de Québec dans la Ligue nationale de hockey (LNH). Comme si on pouvait distinguer le sport comme tel et l’utilisation qu’en font l’élite financière. Le sport dégagé des pressions financières deviendrait une activité d’intégration, favorisant les rapprochements, la solidarité, etc. Pourtant, le discours sportif est truffé de concept portés bien haut par le capitalisme néolibéral (la performance, le dépassement de soi, l’individu qui s’efface derrière l’équipe, le rejet des moins bons, le nationalisme chauvin, etc.) et ça devrait nous porter à la plus grande prudence. Pourquoi ce discours va comme un gant à cette activité ?

L’auteur Alain Deneault, dans son ouvrage Faire l’économie de la Haine (1) parle du sport comme d’une “métaphore du capitalisme”. Il fait l’hypothèse suivante : “ le sport spectaculaire de masse donne à célébrer des concepts, des idées, des logiques qui sont en fait habituellement sujettes à caution dans les sphères sociales où elles se trouvent élaborées mais qui, dans l’arène sportive, sur la scène sportive, dans la médiatisation sportive se trouvent au contraire célébrées.” (p. 106). Pensons aux bagarres au hockey ou au dopage. Jamais les scène de violence montrées au hockey ne seraient tolérées sur la voie publique. Le dopage au travail est généralement sévèrement réprimés. Pourquoi en est-il autrement dans le sport ? Citant Juvénal, philosophe Grec du 1er siècle de notre ère, il explique que le “sport sert d’écran face au cours historique des choses, que c’est une façon de se voiler la face par rapport à la réalité.” (p. 107). Il souligne l’aspect déformant du sport, son côté narcotique (opium du peuple) et sa tendance à faire fi des différences dans la population (tous derrière “nos” athlètes, riches comme pauvres, le sport comme signal de ralliement toutes classes sociales confondues). Il conclut que le sport désormais privatisé est “une pépinière à métaphores : on peut tout greffer à ce substrat de l’affrontement… Et faire du coup, du sport un socle à idéologèmes ou les l’assises de tous les discours dans l’air du temps. Le sport devient un écran, une surface d’inscription de données idéologiques servies comme des évidences auxquelles nous sommes amenés à adhérer, voir à célébrer sans questionnement.” (p. 111)

L’auteur Jean-Marie Brohm (2) quant à lui va dans le même sens : “L’analyse des processus du sport moderne est une clé pour l’analyse du processus des civilisations.” Au-delà de l’effet Opium du peuple, Brohm croit que “les violences, la corruption, les arrangements, les manipulations ou les instrumentalisations politiques sont des révélateurs exemplaires de la nature réelle du sport contemporain. Le spectacle sportif a ainsi un effet de narcotisation des consciences, de dépolitisation et de neutralisation idéologique de la lutte des classes par l’industrie de l’amusement sportif. “ (p. 14)

Brohm poursuit : “L’opium sportif n’est pas réductible à l’un de ses multiples aspects : chauvinisme, xénophobie, racisme, haine de l’adversaire, violence des partisans, régression intellectuelle, massification émotionnelle, mais représente la totalité synthétique de ce que Theodor Adorno a appelé les “exhortations aux bonheurs”, les pseudos-satisfactions illusoires grâce auxquelles l’ordre odieux que nous connaissons peut encore survivre. La pire domination est l’ignorance de la domination. “(p. 23-24) “Le sport est un appareil d’hégémonie multiforme dont la fonction essentielle est de distiller l’idéologie dominante comme le foie secrète la bile. “ (p. 27)

Dans l’un de ses brillants ouvrages sur le sport, Brohm contribue à démystifier les dessous idéologiques du discours sportif : “le premier mécanisme idéologique qui singularise le disneyland sportif en tant qu’appareil idéologique, machinerie d’influence, miroir de captation, d’étourdissement et de narcotisation des consciences est évidemment la dénégation de tout caractère idéologique, la scotomisation de tout caractère politique du sport. (…) Le sport serait fondamentalement “neutre”, apolitique, en dehors de la lutte des classes, au dessus des querelles partisanes et des conflits sociaux, ni à gauche, ni à droite, ni même au centre. “ (p. 131-132) Ce constat nous permet de mieux situer la place qu’occupe le sport-spectacle dans notre société : un ensemble idéologique qui renforce et conforte le capitalisme réellement existant dans toutes sa portée et dans toutes les étapes de son développement vers l’hyper-mondialisation et qui, dans certaines circonstances, anticipe ce développement (voir par exemple les cas de recherches sur la bio-performance pour favoriser une meilleure productivité des travailleurs et travailleuses).

Brohm distingue trois mécanismes idéologique propre au sport-spectacle : “le premier mécanisme idéologique qui singularise le disneyland sportif en tant qu’appareil idéologique, machinerie d’influence, miroir de captation, d’étourdissement et de narcotisation des consciences est évidemment la dénégation de tout caractère idéologique, la scotomisation de tout caractère politique du sport. (…) Le sport serait fondamentalement “neutre”, apolitique, en dehors de la lutte des classes, au dessus des querelles partisanes et des conflits sociaux, ni à gauche, ni à droite, ni même au centre.” (p. 131-132)

“Le deuxième processus idéologique découle du précédent. Il s’agit de la dissociation quasi schizophrénique existant entre la langue de bois des discours sportifs officiels (…) et les tristes évidences du milieu sportif : aggravation et augmentation des violences dans et hors des stades, scandales à répétition de la corruption maffieuse ou semi-maffieuse, monétarisation généralisée des “valeurs” sportives, fraudes et tricheries en tout genres et surtout dopage massif à tous les étages.” (p. 135-136)

“Le troisième processus idéologique concerne la vision sportive du monde en tant qu’ensemble de discours performatifs.La “foi” sportive a en effet pour fonction essentielle d’entretenir le dogme athlétique, l’immaculée conception du mythe olympique, en tentant de préserver la force performative de sa prédication ou la force illocutoire de ses injonction normatives.” (p. 140)

Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain rétorqueront certainEs. Nous voulons éviter effectivement de faire table rase d’une activité qui débarassée de ces affres peut permettre une autre approche : pourquoi ne pas revenir à ces activités ludiques qui comme le hockey du samedi matin d’une certaine époque sur une patinoire extérieure du quartier regroupant tous ceux et toutes celles intéresséEs à participer, donnait lieu à des joutes sans tenir compte du pointage, du nombre de participantEs d’un côté comme de l’autre et qui se terminait dans la camaraderie. Des matches qui n’en étaient pas puisque ce que l’on retenait était le plaisir d’avoir joué et non d’avoir compétitionné. Mais bien entendu, une telle redéfinition ne peut être envisagée dans une société toute orientée vers le culte de la compétition. D’ici là, ne parlons plus des Jeux mais bien des compétitions olympiques.

Notes

1 Alain Deneault, Faire l’économie de la haine, 2011, Écosociété, 118 p. Voir aussi son excellent article dans le même livre à propos de l’utilisation des méthodes nazis dans la campagne visant à soutnir la candidature de Paris pour les Olympiques de 2012 et l’hommage à Leni Riefenstahl, la cinéaaste de Hitler et auteure du film propagandiste faciste Les Dieux du stade.

2 Jean-Marie Brohm, La tyrannie sportive, Paris, Beauchesne éditeur, 2006, 244 p. L’auteur précise avec justesse sur l’expression “Sport de compétititon : cette expression est une tautologie, car il n’y a de sport que de compétition. C’est par abus terminologique que l’on range sous les terme générique de “sport” les activités de détente, la gymnastique quotidienne d’entretien ou les pratiques de loisirs en pleine nature. Le sport est la compétition institutionnalisée dans des championats, concours, épreuves, défis, matchs organisés par des clubs, fédérations, comités olympiques ou entreprises du spectacles.” (note 13 de la page 176)

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