Parce qu’il a échoué dans sa politique sécuritaire, parce qu’il enregistre des échecs électoraux, parce qu’il entend interdire toute enquête impartiale sur des faits mettant en cause le financement de sa campagne électorale, et parce qu’il aggrave l’insécurité sociale et économique de millions de Français tout en favorisant jusqu’à la caricature les plus nantis, le président de la République et son gouvernement ont manifestement décidé d’agiter les vieux refrains des années 1930, destinés à attiser la haine contre les étrangers.
En se livrant, à quelques jours d’intervalle, à un discours discriminatoire contre les Gens du voyage et les citoyens européens que sont les Roms, puis en recherchant chez les étrangers et les personnes d’origine étrangère les causes de l’insécurité, Nicolas Sarkozy est en train de menacer les fondements mêmes de la République. Ce ne sont pas les délinquants que Nicolas Sarkozy poursuit, ce sont les Français d’origine étrangère et les étrangers, qu’il désigne comme les boucs émissaires de tous nos maux.
Ce qui est ici en cause, ce n’est plus le débat légitime en démocratie sur la manière d’assurer la sûreté républicaine, c’est l’expression d’une xénophobie avérée. Quelle que soit la légitimité que confère l’élection, aucun responsable politique ne détient le mandat de fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de la République, et de désigner à la vindicte des millions de personnes.
Le président de la République et son gouvernement mettent ainsi en œuvre une stratégie de la tension, espérant sans doute retrouver un électorat perdu, au risque de mettre en péril la paix civile. »
Interrogé lors Journal d’information de 8 heures sur France culture sur le contenu de la « guerre nationale contre les voyous » déclarée par Nicolas Sarkozy – une guerre qui lie ouvertement insécurité et immigration, délinquance et étrangers ou sans-papiers qui place les « amis », ses « amis » d’un côté, les « ennemis » de l’autre – Jean-Pierre Dubois, professeur de droit constitutionnel, explique : « Monsieur Sarkozy pointe du doigt un certain nombre de boucs émissaires ; cette fois ce sont les Français qui étaient étrangers et qui ont été naturalisés. Il s’agit d’une mesure générale qui vise tous les étrangers qui ont commis certaines infractions. C’est-à-dire que lorsque deux personnes auront commis la même infraction, l’un étant Français de naissance, l’autre Français par naturalisation, les deux personnes ne seront pas traitées à égalité. Monsieur Sarkozy avait dit qu’il combattait la double peine ; il avait même prétendu l’avoir supprimée. Or, c’est une super-double peine monstrueuse qu’il propose là. Et le retrait automatique de la nationalité à une catégorie de personnes, ça n’a pas de précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Je ne sais pas si Monsieur Sarkozy se rappelle que son père a été naturalisé. Je me demande s’il n’a pas complètement oublié ses propres origines.
Cette idée de faire deux catégories de Français et de faire une inégalité dans la punition face à la même infraction est absolument insupportable. Si le Parlement fait cette loi, j’espère bien que le Conseil constitutionnel l’annulera ; mais c’est dramatique pour les institutions. »
Distraire l’opinion de la relation entre la contre-réforme des retraites et l’affaire Woerth-Bettencourt, regagner du terrain électoral sur la droite extrême – au moment où Marine Le Pen monte dans les sondages ! – font certainement partie de l’attirail politico-médiatique de gouvernement Sarkozy-Fillon et du « premier cercle » des possédants de la France.
Mais cela renvoie à des traits plus généraux de la situation socio-politique en Europe : la cascade de mesures d’austérité frappant le salaire socialisé (retraites, chômages, allocations diverses, services publics effectifs…) ; les brutales restructurations d’entreprises ; la gestion très brutale de la force de travail afin d’accroître l’extraction de plus-value absolue et relative, cela dans une période de semi-stagnation de la demande finale ; tout cela exige l’affirmation d’un pouvoir fort, autoritaire et répressif.
De là la nécessité d’une compréhension, pour la dite gauche radicale, de lier aussi bien dans la pratique, l’explication que dans la formulation interactive des revendications : 1° les exigences démocratiques qui renvoient, entre autres, aux espaces nécessaires et utiles aux mobilisations protéiformes des salarié·e·s et des opprimé·e·s ; 2° les éléments propres à l’expression et à la défense des besoins socio-économiques qui se heurtent, à la fois, aux orientations des oligarchies au pouvoir et à leur système de défense d’une propriété privée de plus en plus concentrée ; 3° à partir de là, la défense et illustration d’une perspective socialiste, cela dans un contexte de crise du capitalisme international. Une crise qui débouche sur des affrontements concurrentiels durs entre firmes transnationales et « blocs économiques », avec, physiologiquement, des tendances à des basculements des centres d’accumulation du capital à l’échelle mondial. (Rédaction du site A l’encontre.)
A Grenoble, ce 30 juillet 2010, Nicolas Sarkozy a lâché une bombe au milieu de son discours sur l’insécurité : « La nationalité doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique », a dit le président.
Rien dans cette phrase ni dans son contexte ne laisse à penser que Nicolas Sarkozy fait référence aux seuls Français ayant acquis la nationalité française.
Or jusqu’à présent, le champ d’application de la procédure de déchéance se limitait aux Français ayant acquis la nationalité française par naturalisation ou par mariage (rappelons que seules les personnes possédant une autre nationalité que la nationalité française peuvent être déchues, afin que les cas d’apatridie ne se multiplient pas).
Mais si l’on en croit Nicolas Sarkozy, on pourrait imaginer demain un Français de 30 ou 50 ans, né en France et qui a toujours été français, être privé de sa nationalité si un de ses aïeux est étranger. « Si c’est bien ce que le président a voulu dire, alors il crée une nationalité éternellement conditionnelle pour des Français qui auraient des ancêtres étrangers, explique l’historien Nicolas Weil, spécialiste du droit de la nationalité. « On crée deux catégories de Français. Ce serait du jamais vu depuis la période la plus noire de notre histoire, et à rebours de toute l’évolution de la sécurisation de la nationalité depuis la Seconde Guerre mondiale. »
Que veut dire le mot « origine » ? Après combien de générations d’ancêtres ayant vécu en France considérera-t-on que l’on n’est plus « d’origine » étrangère ?
Il faut répéter trois fois les termes du discours à Michel Tubiana, de la Ligue des droits de l’Homme, pour le convaincre que le président a vraiment employé ces mots : « Je refuse de l’entendre. Ce n’est pas possible : il doit y avoir une ambiguïté. La tonalité d’ensemble du discours est une tonalité des années trente. Mais ces mesures-là, ce sont les années quarante ! »
Le constitutionnaliste Dominique Rousseau n’est pas moins surpris. Il juge qu’une telle loi serait anticonstitutionnelle et cite à l’appui de sa démonstration l’article 1 de la Constitution de 1958 : « (La France) assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. On ne peut donc pas faire de distinction entre Français de souche et Français d’origine étrangère. Cela porterait atteinte à l’égalité entre Français. »
Les « mineurs délinquants » visés également
Priver une personne née française de la nationalité française ? La stupéfaction est telle qu’on s’interroge : le président a-t-il vraiment cette ambition ? Certes, son discours est écrit ; chaque expression est pesée. Mais quand même. N’emploierait-il pas ces mots seulement pour faire polémique ? Une autre hypothèse, dans ce cas, est que le président n’envisagerait de changer la loi « que » pour ceux qui ont acquis la nationalité française au cours de leur vie.
Pour l’instant, l’article 25 du code civil prévoit quatre cas pour lesquels le gouvernement peut déchoir tout individu de sa nationalité française.
– 1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou constituant un acte de terrorisme.
– 2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du Code pénal [atteinte à l’administration publique commise par des personnes exerçant une fonction publique, concussion, corruption, détournement de fonds publics].
– 3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national.
– 4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France [espionnage].
Auparavant une cinquième hypothèse était prévue : « S’il a été condamné en France ou à l’étranger pour un acte qualifié de crime par la loi française et ayant entraîné une condamnation à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement. »
La loi Chevènement [Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur de 1997 à 2000 du gouvernement « socialiste » de Lionel Jospin] du 16 mars 1998 a supprimé ce dernier cas. Nicolas Sarkozy voudrait-il le réintroduire à sa façon ? Cela n’aurait bien évidemment pas du tout la même portée que dans la première hypothèse.
Autre interrogation majeure : le chef de l’Etat a souhaité « que l’acquisition de la nationalité française par un mineur délinquant au moment de sa majorité ne soit plus automatique ». Jusqu’à présent, la loi de 1993 prévoit que « nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s’il a été l’objet soit d’une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l’infraction considérée, s’il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement, non assortie d’une mesure de sursis ».
Le même article précise toutefois que « (c)es dispositions ne sont pas applicables à l’enfant mineur susceptible d’acquérir la nationalité française ». Le président semble vouloir retirer cette restriction. Tentera-t-il également d’élargir le spectre des condamnations pouvant empêcher d’acquérir la nationalité ? L’expression très vague qu’il a employée, « mineur délinquant », peut le laisser penser.
Mais même en faisant voter par le Parlement un tel changement ainsi que celui sur « l’origine étrangère », et même si ces amendements n’étaient pas censurés par le conseil constitutionnel, le président pourrait être freiné : les procédures de retrait et de perte de la nationalité doivent toutes être approuvées par le Conseil d’Etat. Et il n’est pas sûr que celui-ci accepte de modifier en profondeur sa jurisprudence.
* Article publié sur le site Mediapart qui, aujourd’hui, mérite un soutien.
(31 juillet 2010)