Tiré de A l’Encontre
19 janvier 2023
Par Ian Allinson
Nous sommes au milieu de la plus grande vague de grèves en Grande-Bretagne depuis des décennies [voir ci-dessous la liste des grèves déclarées depuis le 16 janvier 2023 – réd. A l’Encontre]. Cinq facteurs en sont à l’origine : l’augmentation rapide du « coût de la vie », qui pénalise davantage l’inaction ; un marché du travail tendu, qui réduit le risque d’actions de grève ; des années de doléances accumulées ; l’absence de conviction qu’un gouvernement travailliste résoudra nos problèmes [les critiques des salarié·e·s face aux propositions de Keir Starmer sur le NHS, comme son intervention lors du World Economic Forum, confirment cette appréhension – réd.] ; et l’inspiration de grèves percutantes, dont beaucoup sont victorieuses.
Un gouvernement faible qui tente de contenter la base conservatrice
Le gouvernement fait obstacle à la résolution de nombreux conflits, même lorsque les employeurs ne font pas partie du secteur public, comme c’est le cas pour de nombreux salariés du rail [qui a été privatisé, renationalisé, puis reprivatisé]. Dans le secteur de la santé, il refuse [Stephen Barclay, le ministre de la Santé, dénonce le Royal College of Nursing et les infirmiers et infirmières en grève- réd.] toujours de négocier les salaires, prétendant que l’organe de révision des salaires (the pay review body) est à la fois indépendant et sacro-saint. En réalité, ses membres représentent les intérêts des employeurs, le gouvernement fixe ses attributions et ses recommandations sont souvent ignorées si le gouvernement pense pouvoir s’en tirer avec une adaptation salariale inférieure. Inviter les syndicats à des « discussions » qui n’étaient pas des négociations a illustré la faiblesse du gouvernement conservateur sans tromper personne. Sans solution aux problèmes auxquels le capitalisme britannique s’affronte, et encore moins à ceux de la classe laborieuse, le gouvernement se retrouve à essayer d’apaiser la droite populiste du parti parlementaire conservateur (Tory) et de l’ensemble de ses membres.
Le projet de loi est une attaque contre les travailleurs et la démocratie
Le projet de loi sur les grèves (portant sur les niveaux de service minimum) reprend le concept du projet de loi sur les grèves dans les transports (Minimum Service Levels) et permet de l’appliquer aux services de santé, aux services d’incendie et de secours, à l’éducation, aux services de transport, aux industries nucléaires et à la sécurité des frontières. Les travailleurs et travailleuses sont sanctionnés pour n’avoir pas réussi à opposer une résistance notable au projet de loi précédent. La législation proposée rendrait les actions de grève dans de larges pans de l’économie soit illégales, soit relativement inefficaces. Ce projet de loi est antidémocratique et répressif. Comme je l’ai soutenu à propos du projet de loi précédent, il s’inscrit dans le cadre d’une intensification plus ample de l’Etat répressif et des restrictions au droit de contester pratiquement.
La défiance et la protestation sont la clé
Cela crée un potentiel de solidarité incluant les syndicalistes, les écologistes, les antiracistes, les militants pour la Palestine, les militants LGBT et plus encore. La clé pour vaincre une législation répressive et dissuader son extension est la résistance. Il existe déjà des secteurs, notamment la construction, où peu de travailleurs peuvent faire grève légalement en raison de la sous-traitance et de la rotation de la main-d’œuvre. Les dirigeants syndicaux sont très réticents à appeler ou à soutenir des actions de grève illégales qui risquent de susciter des poursuites et des amendes très élevées. Pourtant, les travailleurs de la construction font souvent grève, mais ils s’appuient sur l’organisation de la base pour le faire, plutôt que d’attendre un appel du sommet syndical. Lorsque leur action est la plus réussie, ils peuvent pousser les syndicats à mener une action officielle, ce qui renforce leur pouvoir. L’année dernière, nous avons assisté à des actions sauvages (non officielles, illégales) de travailleurs qui n’étaient même pas syndiqués d’Amazon et d’autres entreprises.
Faire du 1er février une véritable journée d’action
Que devons-nous donc penser de l’appel du TUC à une journée nationale de « défense du droit de grève » le mercredi 1er février ? Il serait facile de se gausser de la suggestion d’actions légales et de « manifestations » dans tout le pays. Mais ce serait une erreur – la décision d’une journée par le TUC fournit un point focal pour l’action et tous ceux et celles qui veulent une riposte sérieuse devraient la soutenir aussi fort que possible. Je me souviens que le TUC avait appelé à « 15 minutes d’action » (et non de grève) pour soutenir une grève des ambulanciers en 1990. Environ 250 d’entre nous ont quitté mon lieu de travail pour marcher jusqu’à la station d’ambulances locale. Pendant que nous marchions, nous avons été rejoints par des travailleurs et travailleuses de nombreuses usines locales pour un rassemblement où les grévistes ont pris la parole depuis le toit de la station d’ambulances. Ce n’était pas suffisant, mais c’était extrêmement mobilisateur et ce fut un grand pas en avant pour la lutte. Cela a donné confiance aux ambulanciers de plusieurs régions pour entreprendre des actions de grève sauvage allant bien au-delà de ce qui avait été officiellement appelé.
Tous les travailleurs et travailleuses ayant voté en faveur d’une grève [lors des scrutins obligatoires] doivent pousser leur syndicat à les appeler à faire grève le mercredi 1er février
Un grand nombre de travailleurs et travailleuses disposent déjà de décisions légales de grève. D’autres syndicats, dont le National Education Union (NEU), doivent annoncer les résultats des votes sous peu [le résultat a été annoncé le 16 janvier : Angleterre, participation 53,27%, pour la grève 90,44% ; Pays de Galles, participation 58,07%, pour la grève 92,28% ; des résultats similaires existent pour les différents secteurs de l’éducation – réd.]. Les militants du NEU avaient déjà évoqué le 1er février comme date potentielle de grève [ce qui est confirmé – réd.]. Tous les travailleurs et travailleuses disposant d’un mandat de grève doivent faire pression sur leur syndicat pour qu’il les appelle à la grève le 1er février. Il existe de nombreuses façons de faire pression sur nos dirigeants syndicaux, mais nous devons agir rapidement.
Sur les lieux de travail peuvent s’organiser des réunions officielles ou officieuses pour envoyer des résolutions.
Les travailleurs peuvent s’organiser pour que tout le monde appelle les structures syndicales ou leur envoie des courriels pour exiger d’avoir le feu vert pour une grève.
Nous pouvons publier des pétitions ou des photos de groupe [pour donner des preuves de l’organisation et de la détermination].
Lorsque nous pouvons rassembler suffisamment de personnes pour le faire en toute sécurité ou obtenir des promesses de non-représailles de la part de la direction, nous devrions faire pression pour que les travailleurs et travailleuses sans mandat de grève débrayent et se joignent à nous.
Les débrayages non officiels seraient la meilleure réponse possible à la législation antisyndicale.
L’action coordonnée renforce la confiance
Bien que la coordination des actions soit la politique du TUC, de nombreux syndicats soutiendront qu’une action commune le 1er février éclipserait le sens de leur conflit spécifique. Chaque lutte a ses propres problèmes et sa propre dynamique. Cet argument n’est pas nouveau.
Lorsque je travaillais pour une grande entreprise informatique, nous avons coordonné nos grèves avec d’autres à plusieurs reprises : avec des infirmières en santé mentale, des fonctionnaires, des chauffeurs de bus, des agents d’entretien des logements, et même en tant que seuls travailleurs du secteur privé nous avons rejoint la grève coordonnée des retraites du secteur public du 30 juin 2011. Avant, il y avait toujours une certaine nervosité à l’idée que nos problèmes spécifiques « disparaîtraient » au profit de grèves plus importantes et plus médiatiques. Mais chaque fois que nous l’avons fait, les travailleurs et travailleuses ont apprécié l’initiative.
L’action coordonnée donne aux travailleurs et travailleuses le sentiment de faire partie d’un mouvement plus large des masses laborieuses, de partager des intérêts communs et d’avoir un pouvoir collectif. Elle renforce la solidarité et la détermination. Pour cela, nous avons les arguments supplémentaires suivants : la plupart des conflits ont des thèmes communs relatifs au coût de la vie ; l’action coordonnée a la meilleure chance d’empêcher le gouvernement de faire obstacle aux règlements de nombreux conflits, et la menace sur le droit de grève nous affecte tous.
Nous devrions faire pression pour organiser des larges rassemblements à l’heure du déjeuner dans autant d’endroits que possible
La législation anti-grève fait partie d’un assaut plus large contre nos libertés, y compris le droit de manifester. Cela crée la possibilité d’une solidarité entre les différents secteurs qui font face et résistent à la répression de l’Etat. Faisons tout ce que nous pouvons pour que les rassemblements du 1er février reflètent cela et construisent cette solidarité. (Article publié sur rs21 le 11 janvier 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre)
Liste des grèves déclarées et en cours
19, 25 et 26 janvier : grève des chauffeurs de bus de l’entreprise Abelio dans les régions ouest et sud-ouest du Londres, appelée par Unite.
20 janvier : grève des travailleurs de la bibliothèque de Hackney, quartier de Londres ayant environ 300’000 habitants, syndicat Unison.
du 16 janvier au 6 février : les enseignants d’Ecosse engagent des grèves région par région.
18-19 janvier : grève des infirmiers et infirmières du NHS, organisé par le RCN (Royal College of Nursing).
23 janvier : grève des ambulanciers à Londres, dans le Yorkshire, dans le Nord-Ouest, le Nord-Est et le Sud-Ouest, syndicat Unison.
25 janvier : grève des travailleuses et travailleurs d’Amazon BHX 4 à Conventry, syndicat GMB.
26 janvier : grève des physiothérapeutes du NHS, syndicat CSP (Chartered Society of Physiotherapy)
1er février : grève à l’échelle nationale du secteur public, incluant entre autres tout le secteur enseignant secondaire et universitaire.
1er et 3 février : grève des conducteurs de train de la société d’exploitation des trains de voyageurs de Grande-Bretagne, syndicat UK Train Drivers’ Union.
6-7 février : grève dans le NHS, RCN.
9 février : grève des physiothérapeutes.
14 février : grève des enseignants et du secteur administratif de l’enseignement dans le Pays de Galles, syndicat NEU.
28 février : grève des enseignants dans la région du Nord, du Nord-Ouest, du Yorkshire et du Humber (estuaire maritime de la côte est du Nord de l’Angleterre).
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