Texte rédigé le 19 mars 2010.
Voilà un sujet éminemment complexe à traiter. Tant d’éléments interviennent dans ce qui pourrait être la réforme majeure du président Obama sur le front intérieur qu’il est difficile d’en présenter un tableau simplifié. Je vais pourtant, ici, tenter de vous donner une idée de ce qui se joue en ce moment à ce sujet chez nos voisins et comment la joute se passe.
Je vais me concentrer sur les enjeux et jeux politiques qui sont au cœur de ce projet, sur les présupposés culturels et les structures législatives à partir desquels les américainEs vivent la situation et l’analysent et sur la conjoncture dans laquelle le débat se passe.
Ne vous attendez pas à avoir une analyse du contenu des projets en débats. Impossible d’en avoir une idée raisonnablement convaincante tant cela est gros (1,700 pages pour celui du Sénat), complexe et trop changeant. Je n’ai pas encore lu ou entendu unE seulE analyste qui dise avoir tout compris. Et des modifications s’ajoutent d’heure en heure.
Le fonctionnement de la législation américaine
Il faut savoir que le fonctionnement des institutions législatives américaines est très différent du nôtre. Le pouvoir est distribué entre le président, celui qui en a le moins, la Chambre des représentants et le Sénat qui, lorsqu’ils agissent ensemble forment le Congrès. Pour qu’une loi soit normalement adoptée il faut que ces deux institutions votent à majorité sur un même texte et que le président l’approuve et le signe.
Chaque membre des ces deux chambres est autonome et vote en tout temps en son âme et conscience indépendamment de son parti d’appartenance. Donc, on ne peut prendre pour acquis que les démocrates qui forment en ce moment la majorité dans les deux chambres vont tous voter les lois proposées par le président, démocrate lui-aussi, ou par les leaders de l’une ou l’autre de ces chambres. Il faut convaincre chacune de ces personnes de voter pour la proposition. En plus, l’idéal politique veut que le parti majoritaire recrute des appuis dans les rangs du parti minoritaire. Cela se nomme les actions bi-partisanes qui renforcent la crédibilité des lois adoptées.
Il existe un principe de séparation entre l’exécutif, la présidence, et le législatif, le congrès. C’est un point très délicat du fonctionnement du gouvernement américain et en ce moment, le président Obama respecte assez scrupuleusement cette séparation. Il a donc annoncé son intention de réformer le système des assurances santé du pays, en a fait un enjeu de sa campagne, mais a confié, comme il se doit, la tâche de l’élaboration et de l’adoption d’une loi au Congrès. Chacune des chambres s’est impliquée l’an dernier, dans la rédaction d’un projet de loi dont le contenu était assez différent. Les deux ont été adoptés. Un travail commence alors entre les représentants des deux chambres pour fusionner le meilleur des deux projets. Mais surtout pour viser la version qui est le plus susceptible d’être adoptée par les membres du Congrès et approuvée par le président.
Les objectifs de la réforme,
1) faire baisser le coût des soins de santé,
On a tendance à penser que l’objectif prioritaire de cette réforme est d’arriver à ce que toute la population possède une assurance santé. Ils sont en ce moment entre trente et un et quarante cinq millions à n’en pas avoir du tout ou de très, très minimales. C’est vrai, et le président le répète souvent. C’était aussi l’attente d’une bonne partie de la population. Mais il y a aussi d’autres objectifs qui sont devenus tout aussi importants sinon plus.
Ce qui préoccupe tout autant les promoteurs de la réforme, au premier chef une bonne partie des élus démocrates, la population et une certaine portion du monde des affaires, c’est le coût actuel des dépenses en santé dont les primes d’assurances. La montée est constante, se situe bien au-delà de l’inflation et inquiète pour l’avenir. On parle ici de la somme des coûts pour les gouvernements (fédéral et étatiques), pour les entreprises et les individus. Une bonne partie des déficits gouvernementaux, fédéral et des États, viennent de ces coûts.
La majorité des AméricainEs sont assuréEs à leur travail avec des plans familiaux disponibles. À leur majorité, les enfants sont automatiquement exclus de ces plans quelle que soit leur condition. Les travailleurs-euses autonomes et les sans-emplois doivent avoir recours à des plans individuels, généralement hors de prix. Cela vaut aussi pour les petites et une partie des moyennes entreprises.
Les plus pauvres bénéficient d’une couverture minimale à la charge des États : Medicaid. Les personnes âgées bénéficient d’un plan fédéral propre : Medicare auquel un plan d’assurance médicament insatisfaisant a été ajouté il y a quelques années. Ils sont tous obligés d’y adhérer au risque de perdre leur pension de retraite.
Le coût de toutes polices d’assurances ne cesse d’augmenter. Une de plus grande compagnie de Californie [1] vient d’annoncer qu’elle augmentait ses primes de 39% dans quelques mois [2] Une grande partie de non assuréEs le sont parce qu’ils-elles sont incapables d’assumer ces frais. Et il en coûte toujours plus aux gouvernements pour fournir la caisse des plans publics.
Ces coûts souvent faramineux, assumés par les entreprises augmentent d’autant leurs coûts de production. Les fabricants d’automobiles, par exemple estiment qu’une auto fabriquée au Canada coûte environ 2,000$ de moins parce qu’ils n’ont pas à fournir d’assurance maladie à leurs employés sauf pour des frais complémentaires.
La baisse globale des coûts devrait favoriser une baisse significative du déficit colossal américain. En cours de discussion, cet objectif est devenu un enjeu majeur. L’inquiétude quant aux dépenses induites par les changements envisagés a constamment montée dans l’opinion publique et chez les éluEs.
2) Se débarrasser des provisions concernant les états antérieurs de maladie. (pre-existing conditions).
Les compagnies d’assurance invoquent couramment cette disposition pour refuser d’assurer quelqu’unE ou encore pour refuser de rembourser les frais pour des soins déjà reçus. La télévision, la radio et les journaux américains sont pleins d’exemples de cette pratique. Il est clair qu’un enfant naissant avec une maladie génétique, une malformation ne pourra jamais être assuré dans le cadre actuel. Des personnes terrassées par une crise cardiaque se sont vues refuser le paiement de leurs factures de soins sous prétexte qu’elles n’avaient pas déclaré de troubles cardiaques lorsqu’elles avaient contracté leur assurance ou été intégrée dans celle de leur employeur.
Il peut arriver qu’on maintienne votre protection tant que vous êtes chez votre employeur mais, le jour où vous devrez en changer, impossible de vous réassurer. C’est un autre facteur qui fait que beaucoup de nos voisins et voisines ne sont pas assuréEs en cas de maladie.
3) Introduire un peu d’équité et de justice,
Un système qui ne couvre correctement que ceux et celles qui, étant en assez bonne santé sont assez fortunés, est tout sauf juste et équitable. En plus, il ne réussit pas à maintenir les AmériacainEs dans les créneaux de classement mondiaux auxquels on doit s’attendre pour la plus grande puissance économique au monde. En effet, leur espérance de vie en bonne santé, selon la définition de l’OMS, [3] arrive seulement au trentième rang mondial avec 69 ans alors qu’on les retrouve au deuxième rang pour ce qui est de la proportion du produit intérieur brut, soit 15,3% en 2007, consacré à la santé [4]. D’autres sources montrent que la mortalité infantile est beaucoup plus élevée que dans les autres pays de l’OCDE avec des taux comparables à certains pays africains dans certaines couches de population pauvres.
Ce sont surtout les afro-américains et les latinos qui sont affectés par la difficulté de s’assurer. Ils forment le contingent des plus pauvres aux États-Unis. Ils forment aussi, malheureusement les couches les plus malades et les plus victimes d’accidents dont ceux résultant des violences de toutes sortes.
Or, il est démontré depuis longtemps que pour qu’un système d’assurance fonctionne avec une certaine équité, il faut qu’un maximum de gens soit inscrit, idéalement toute la population, et paye ses primes d’une manière ou d’une autre. Dans les pays comme le nôtre, l’équité est assurée parce que, toute la population participant via ses impôts, les riches payent pour les pauvres en partie du moins et les personnes en santé pour les malades. Les régimes privés appliquent ces deux principes mais, en choisissant le poids relatif des diverses catégories de participantEs. Leur objectif étant de faire un maximum de profits, ils éliminent à la source les cas les plus coûteux et tentent par tous les moyens d’en éliminer d’autres en cours de route.
Il faut aussi garder en tête que presque tous les hôpitaux américains sont à but lucratif. Des obligations leur sont faites d’accepter les cas urgents aux urgences, mais la facture suivra. Pour pouvoir fonctionner ils doivent entretenir de bons liens avec les compagnies d’assurances. Les soins seront d’autant plus prodigués que vous détenez une bonne police chez un assureur respecté. Bien des médecins se plaignent du temps qu’ils perdent à négocier avec les assureurs pour savoir quel traitement sera couvert ou non pour leur patientEs et ainsi ajuster les soins.
3) ne pas intervenir sur le statu quo actuel à propos de l’avortement.
LA RÉFORME,
Il a été impossible de réformer l’assurance santé aux États-Unis depuis 1938. Les tentatives des ex-présidents Rosevelt et Clinton lors de son premier mandat, ont toutes échoué. C’est pourquoi l’engagement du président Obama prend un tel sens symbolique.
Pour arriver à quelque modification que ce soit dans ce domaine, il faut s’attaquer aux compagnies d’assurance, à celles de la pharmacie, des hôpitaux des associations de médecins et à leurs lobbies. Tous ces pouvoirs, bien installés dans l’économie américaine se sont toujours opposé aux changements. La couverture additionnelle pour les médicaments des personnes âgées a été acquise de justesse parce qu’en fin de compte elle confortait les profits des pharmaceutiques et n’entravait pas les autres. Les pharmaceutiques subissaient une concurrence de plus en plus vive depuis que les AméricainEs pouvaient s’approvisionner en médicaments via internet notamment au Canada.
{}1) L’option publique,
C’est ainsi qu’est désigné là-bas le système universel tel que nous le connaissons. Cette option a été mise de côté dès le départ par le président lui-même. Même s’il s’en était fait le promoteur durant sa campagne électorale.
Pourtant, il y a un réel mouvement dans la population qui réclame ce type de régime considéré comme le seul qui puisse vraiment convenir aux objectifs visés. Une partie de la Chambre des représentants, le Progresssive Caucus, s’attendait à ce que ce soit l’essentiel de la proposition de réforme. Rien à faire ! Elle a été définitivement écartée semble-t-il. Cela a poussé une bonne partie des appuis dont bénéficiait le président à le quitter. Un des piliers de cette opposition vient quand même de se rallier au projet en débat. Le président l’a personnellement rencontré à bord d’Air Force One pour précisément le gagner à la cause. Il y adhère surtout pour des raisons tactiques.
Ce rejet d’un système public et universel à fait que les oppositions au processus se situent donc presque autant à gauche qu’à droite.
Même si la proposition actuelle ne contient plus de Public Option la droite ne se prive pas de la taxer de socialiste ce qui suffit à une bonne partie de la population pour la rejeter.
2) Couvrir tous et toutes, malgré tout ?
En cours de route, la création d’une compagnie d’assurance publique qui aurait fait concurrence à celles du secteur privé a été proposée et soutenue par le président. Celle-là aussi est tombée sur le champ de bataille. À compter de 2013, il y aura une obligation faite à tous et toutes de détenir une couverture quelconque. En contrepartie les compagnies d’assurance seront obligées d’accepter tous-tes les postulantEs à charge pour le gouvernement de les subventionner pour tous ceux et celles qui ne pourront assumer la totalité des frais de prime.
La loi doit aussi stipuler que les conditions préexistantes ne pourront plus constituer une raison de rejet des bénéfices de l’assurance. Cette provision, si elle est appliquée, permettra d’intégrer dans le système une grande quantité de gens qui en sont exclus en ce moment. De même, les jeunes adultes continueront d’être couverts par les assurances de leurs parents s’ils sont étudiantEs et ce jusqu’à 27 ans.
L’État du Massachusetts a mis en place un régime quasi universel qui couvre environ 98% de sa population et qui marche assez bien. Il devra s’ajuster aux nouvelles dispositions fédérales.
De même pour les anciens combattants qui bénéficient aussi d’un régime particulier. Il est très critiqué mais il existe.
Cependant il est déjà acquis qu’il restera une frange d’environ 10 millions de personnes qui ne pourront toujours pas bénéficier d’assurances. Elles seront encore obligées d’avoir recours aux organisations charitables qui se chargent de les soigner.
3) L’avortement,
Des luttes se mènent aussi pour s’assurer qu’aucun financement direct ou indirect n’ira aux interruptions volontaires de grossesses. Ce qui est le cas en ce moment. Un certain nombre de membres de la Chambre des représentants ne sont pas convaincuEs que les dispositions prévues dans le projet de loi soient suffisantes. La haute hiérarchie de l’Église catholique vient aussi d’intervenir en demandant que cette provision soit évidente dans le projet. Autrement elle appelle les indécisEs à voter contre. Cela pourrait suffire à faire échouer l’entreprise. Un large groupe de religieuses, impliquées dans les services de santé, s’est élevé contre cette position de leurs dirigeants en se prononçant pour les droits à l’avortement tels qu’ils sont inscrits dans les lois en ce moment. Et ont appelé à voter pour.
L’ARÈNE POLITIQUE,
1) Les tactiques présidentielles,
Donc, depuis le premier énoncé des objectifs d’une telle réforme, le président a laissé l’initiative à membres du Congrès qui ont élaboré et réussi, de justesse à faire voter deux propositions de lois. Elles ont maintenant traversé le processus dit de réconciliation. Ce qui est soumis au vote final est une version modifiée des deux propositions originales amendée à de multiples reprises. A la veille prévue de ce vote, de nouvelles modifications sont toujours introduites pour satisfaire les exigences de certainEs membres de la Chambre et gagner ainsi leur appui.
Jamais, au cours de cette longue période d’un an le président n’a fait appel à sa base populaire. Sans doute qu’ayant vite évalué que l’option du régime universel ne passerait pas la barrière des positions dans son propre parti, il s’est privé des meilleurs appuis qu’il aurait pu avoir pour le faire. Ce qui a donné à ses opposants tout l’espace pour mener une lutte acharnée, démagogique, sans substance sur le fond, mais qui a porté ses fruits. Les représentantEs et sénateurs-trices démocrates ont tenté, dans une tournée à travers le pays, de renverser la vapeur l’été dernier. Ce furent des confrontations musclées dans des assemblées souvent contrôlées par les opposantEs. Ils et elles ont été incapables de vraiment défendre le projet.
Par ailleurs, la partie de population qui est assurée et qui est majoritaire, ne se plaint pas nécessairement de son sort. Au contraire. Elle a pris peur ! Elle s’est inquiétée des effets des changements à venir sur sa situation [5]. Cet aspect de la réalité dans le processus de changement n’a pas été suffisamment pris en compte si ce n’est ignoré complètement. Comme le disait un commentateur, on n’accepte pas de changements par altruisme dans ce pays. [6]
L’insécurité face à l’avenir a aussi augmentée devant l’impossibilité de saisir toutes les implications du projet. De nombreuses provisions ne prendront effet qu’à partir de 2013-14 par exemple. D’ici là il y aura eu d’autres élections dont les présidentielles en 2012. Les résultats pourraient remettre en cause de grandes parties de la nouvelle loi. Les promoteurs se sont donc rabattus sur les principaux changements positifs qu’elle introduit ce qui n’a fait que mousser la suspicion sur la partie non-expliquée parce que trop complexe.
Le président et le parti démocrate n’ont pas été très habiles à contrer la peur intrinsèque des Américains face à l’action gouvernementale. Encore récemment, des sondages montraient qu’ils ont plus peur du big government que des big corporations. Le président Obama n’a pas voulu répéter une des erreurs du président Clinton sur cet enjeu et s’attaquer de front aux compagnies d’assurance. Mais ce sont contre elles que la population est le plus en colère, malgré tout. Il a aussi voulu jouer jeu ouvert avec tout le monde, politiciens, marché et public. On lui reproche de n’avoir pris le leadership de la bataille publique que très récemment.
Donc, l’opposition est venue de droite et de gauche.
À droite,
Le parti républicain a mené une campagne d’une grande férocité. Il a dépensé des sommes colossales pour faire pénétrer son point de vue. Presque dès le départ, alors même qu’aucun projet de loi n’était complètement rédigé, il a déclaré qu’il ne voterait jamais pour une réforme des assurances santé qui modifierait vraiment l’état actuel des choses. Son objectif politique est de défaire le président sur un de ses projets majeurs en politique intérieure et ainsi gagner des chances de reprendre du pouvoir au Congrès où les démocrates sont majoritaires en ce moment. Une seule représentante républicaine, celle du Maine, a voté pour la version de la Chambre des représentants. Aucun appui au Sénat.
Ils ont donc joué sur le sentiment d’insécurité des détenteurs d’assurances, sur la méfiance envers le gouvernement allant jusqu’à dire que ce seraient des fonctionnaires qui décideraient de la vie et de la mort des patientEs, qu’il ne serait plus possible de choisir son médecin et, donnant l’exemple du Canada, que beaucoup mourraient sur des listes d’attentes. Etc. Etc. Ces opinions ont été largement répercutées par les médias déjà acquis à leur cause et amplifiées depuis cet hiver par un large mouvement qui s’est développé à sa droite, le Tea Party.
Le parti républicain a toujours soutenu que ce projet mènerait à des augmentations d’impôts et à une réduction simultanée des couvertures pour les actuels-les assuréEs et les bénéficiaires du programme Medicare. En effet, le projet de réforme prévoit que d’ici quelques années, des ajustements seront apportés à ce programme. C’est là que seront puisées une partie des sommes nécessaires pour financer les assurances des nouveaux arrivants. Et les commentateurs s’entendent pour dire qu’au cours des prochaines années il y aura effectivement des augmentations de primes.
Le financement ne manque pas pour ces opposants. Les lobbies qui travaillent en faveur des compagnies d’assurance, et de l’industrie des soins, ont dépensé plus pour faire pression sur les membres du Congrès pour que la loi soit battue que ce qu’il est prévu en ce moment qu’elle amènera comme baisse globale de coûts [7].
Le parti démocrate qui est en réalité un parti de centre-droit, comporte une aile droite. Ce sont les Blue Dogs Democrats. Ils se sont vivement opposés à la proposition de régime universel qui apparaissait dans la première version de la loi rédigée par la Chambre des représentants, malgré les indications du président. Ils ont gagné ! Ils s’y sont aussi opposés au nom de l’incertitude quant aux coûts. Ils ont été 39 à voter contre le projet de loi à la Chambre des représentants.
Hier, le 18 mars, le comité du budget du Congrès, instance indépendante, a évalué sur la base de projections, que ce qui est en jeu en ce moment permettrait de faire des économies substantielles et de réduire de centaines de milliards le déficit américain dans quelques années. Cela semble en avoir rassuré un bon nombre qui se montre plus ouverts à voter pour.
L’opposition à l’accès à l’avortement grâce aux fonds publics a aussi justifié leur opposition au projet.
À gauche,
Comme je l’ai mentionné plus tôt, la première opposition dans le parti démocrate, est venue du fait que le régime universel était exclu de la proposition. Cette partie de la Chambre était ainsi en phase avec une bonne partie de la population qui réclamait et réclame encore, ce changement majeur : sortir le financement des soins de santé du secteur privé à but lucratif.
Les syndicats n’ont pas soutenu le projet fortement, quand ils ne se sont pas opposés, parce qu’une provision prévoit qu’à compter de 2018, une taxe sera imposée aux plans les plus coûteux et les mieux ‘garnis’ [8] . Ceci pour contribuer au financement des coûts pour les nouveaux et nouvelles assuréEs. Ils interprètent l’introduction de cette taxe comme une attaque directe contre les plans qu’ils ont réussi à négocier avec les employeurs. Ils craignent que ces derniers n’invoquent à l’avenir ce facteur pour réduire les bénéfices pour les travailleurs-euses. Ils voudront à tout prix éviter le niveau imposable [9].
On craint aussi que l’ensemble des réformes ne pousse vers une baisse des standards de soins. Vraisemblablement les nouvaux et nouvelles assuréEs devront se contenter de plans à minima. D’autres dispositions pourraient introduire des baisses de couvertures assez généralisées.
Mais ce qui caractérise la gauche, en ce moment, c’est son peu de soutien à la réforme telle que proposée. Les groupes politiques et communautaires se sont concentrés sur la défense du régime universel, avec des groupes de médecins et d’infirmières entre autre. Et en toute logique, ils rejettent la formule prévue parce qu’elle constitue un renforcement des compagnies d’assurance et de leur pouvoir : ‘(Le président) nous rentre dans la gorge une loi qui donne des milliards de dollars de nos impôts aux compagnies privées d’assurance sous forme des subventions et force des millions d’Américains à acheter de mauvaises couvertures qui ne peuvent être accompagnées que de hausses des coassurances, des primes, des franchises et le pire, laisser les plus malades devoir déclarer faillite ou incapables de se payer les soins requis [10].
Encore une fois, le gouvernement subventionne le secteur commercial et financier, se prive des moyens de faire encore plus d’économies et surtout d’assurer à toute la population des soins de santé à la hauteur des possibilités américaines.
Même la prévision de taxer les ménages gagnant plus de 250,000$ à compter de 2018 ne fait pas le poids.
Et beaucoup analysent que le secteur économique des soins de santé, dont les assureurs, est en train de s’emparer d’une bonne partie du pouvoir à Washington, comme celui de la finance l’a fait à la faveur de la crise de 2008.
Conjoncture politique immédiate,
Le niveau de méfiance qui existe entre les Démocrates de la Chambre des représentants et ceux du Sénat est un élément majeur de la dynamique politique américaine actuelle. À un point tel, que les premiers ne veulent pas voter des textes qui risqueraient encore d’être encore modifiés par leurs pairs.
Ce climat de fermeture s’ajoute aux manoeuvres procédurales des Républicains pour empêcher à tout prix l’adoption de toute réforme qui ne soit pas que des baisses d’impôts et des restrictions des dépenses gouvernementales.
Le gouvernement américain, dans son aile législative est complètement non fonctionnel en ce moment.
Et il y aura des élections législatives en novembre prochain. Un tiers des membres de la Chambre des représentants doit faire face à l’électorat de même qu’une partie du Sénat. C’est une conjoncture déterminante. Tous ces politiciens-nes doivent financer cet exercice. Les compagnies de toutes sortes monnayent leurs appuis et celles du secteur de la santé ne se sont pas privées d’exercer ce pouvoir depuis des mois. Pour se faire élire il faut aussi avoir une majorité de son côté. Comme le public est méfiant vis-à-vis la réforme, la situation est délicate. Un bon nombre de Démocrates sont représentantEs de circonscriptions ou États conservateurs. Chaque candidatE devra donc pouvoir défendre son vote et la réforme si jamais elle est adoptée. Car cela constituera un des enjeux principaux dans cette campagne de mi-mandat. Dans les négociations privées qui se passent entre la Maison blanche et les futurEs candidats, cette réalité est examinée avec attention et certainEs seront autoriséEs à voter contre pour améliorer leurs chances de réélection sans que l’adoption de la loi ne soit mise en péril.
Depuis une semaine, l’argument de vente, si je peux utiliser cette expression, devient : Sauver la présidence ! Car si le président est battu sur cette question c’est sa présidence qui part à vau- l-eau. La possibilité d’améliorer la loi dans le futur est aussi invoquée pour la défendre malgré ses faiblesses et ses effets pervers.
L’enjeu du financement des soins de santé est majeur, mais les Républicains l’ont porté à un tel niveau d’opposition que la défaite n’en serait que plus cuisante. Il faut maintenant s’assurer de 215 votes à la Chambre des représentants si la procédure normale est utilisée. Mais les Démocrates parlent de plus en plus d’utiliser des tactiques procédurales pour s’assurer que la loi soit adoptée coûte que coûte. Il pourrait même arriver qu’il n’y ait pas de vote du tout et que la loi soit adoptée quand même, ce qui révulse une bonne partie de la population et des observateurs-trices.
Notons que la très puissante Americain Medical Association a donné, cette fois, son approbation au projet de réforme. C’est une première depuis plus d’un siècle.
En guise de conclusion,
À ce jour, le 19 mars, il n’est pas du tout sûr que la réforme soit adoptée même si un vote est annoncé pour demain. Le jeu de pressions de toutes espèces se continue sur les membres du Congrès. Les opposantEs motivéEs par les effets sur le budget ont, pour une partie d’entre eux et elles été rassuréEs par l’analyse du Comité du budget du Congrès. Un représentant de plus s’est rallié hier. Mais ceux qui s’opposent à cause des possibilités de paiements pour des avortements ne sont toujours pas complètemen convaincuEs.
La population en général demeure inquiète. Beaucoup d’effets de la loi ne se feront sentir que dans quelques années, dont l’introduction des non assuréEs dans le régime. Bien d’autres répercussions positives ou négatives ne sont pas perceptibles en ce moment.
Le parti Républicain répète qu’il utilisera toutes les avenues possibles pour battre ce projet de loi et il devient clair que son opposition est train de s’organiser dans les États au cas où ses tactiques seraient sans effet au moment de l’adoption [11].
Au moment de terminer la rédaction de cet article, rien n’est encore sûr quant à l’issu de cette bataille chez nos voisinEs.
Je pense intéressant de s’arrêter sur l’analyse d’une journaliste du Columbia Journalism Review, Mme Trudy Lieberman :
(…) nous sommes une société extrêmement divisée et ceci depuis les débuts de notre histoire. Il existe une profonde divergence sur ce que le gouvernement doit et ne doit pas faire. (…) et (dans ce débat précis) jusqu’à quel point il faut réguler les compagnies d’assurance. (…) Il survient toujours une tension importante entre les régulateurs, le public et ceux soumis à la régulation. (…) Je pense qu’il est très clair que nous ne nous entendons pas, dans ce pays, sur le fait que tous devraient être assurés pour les soins de santé et pouvoir se les payer. [12]