Édition du 17 septembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Des Solidaires repliés sur eux-mêmes et ignorants la débâcle qui menace

Pas un budget de l’an 1 mais une Constitution anti-extractiviste de prendre soin

Les deux tâches du prochain Conseil national (CN) de Québec solidaire de juin 2023 seront la réforme des statuts et la gestion financière du parti en plus d’entendre les rapports habituels de la coordination du parti et de l’aile parlementaire… sans devoir les approuver ou rejeter. Ce serait là un changement bienvenu aux statuts. Étant donné la médiatisation des élections aux postes de porte-parole d’ici le congrès de novembre prochain et leur importance cruciale due à la plaie du vedettariat auquel le parti s’est adapté, on se dit qu’il aurait été pertinent que le CN consacre du temps à déterminer le profil souhaité des candidatures, et même débattre avec celles déjà déclarées. Qui a dit que la régionalisation du parti, sans doute à parfaire, est la priorité à discuter au point d’en faire la thématique des ateliers ?

On s’étonne que dans son document de présentation la direction, pour justifier de consacrer 100% du temps du CN à des questions internes pour préparer un congrès dont ce sera aussi la priorité y inclus l’élection des porte-parole, prétende que la question du programme est essentiellement réglée. La direction est-elle aveugle au bilan de la campagne électorale et à la critique de nombreux membres qui ont pointé la défaillance du parti pour y soulever la question de l’indépendance. Cette défaillance, le PQ l’avait mise en relief durant l’élection. Durant la période post-électorale, il en a profité tactiquement et brillamment, peu importe sa faillite stratégique à cet égard, pour grimper dans les sondages. Ce n’est pas pour rien qu’une candidate au poste de porte-parole axe sa campagne sur l’indépendance et le français. Depuis les élection a-t-on entendu les porte-parole rappeler que si le référendum péquiste est intemporel, la démarche indépendantiste Solidaire est visible en plein jour, soit dès le premier mandat une paritaire Assemblée constituante indépendantiste débouchant sur un référendum ?

Un débat de fond sur l’indépendance quasi reniée, malgré les apparences, à la fondation du parti

Avant que s’enclenche une débâcle stratégique, car c’est de cette immense danger dont il est question, il est plus que temps que s’amorce dans le parti un débat de fond sur l’indépendance, débat qui ne peut pas attendre à 2024. Heureusement qu’une candidate porte-parole jette un pavé dans la mare bien qu’il soit étonnant, pour ne pas dire sidérant, de l’entendre dire qu’il faut « aller là où les gens ne nous attendent pas, dans des milieux d’affaires, dans des chambres de commerce, par exemple » (La Presse). Est-ce que rencontrer amicalement l’ennemi de classe, ce qui serait similaire à une personne racisée allant à une rencontre d’une organisation de suprémacistes blancs, est la tasse de thé des Solidaires ? Il est urgent de comprendre le malaise des porte-parole lequel malaise n’est pas que le leur surtout quand on pense qu’une bonne moitié de l’électorat Solidaire, selon certains sondages, déclare ne pas être indépendantiste. On reconnaît là le décrochage de la jeunesse, électorat privilégié de Québec solidaire, vis-à-vis l’indépendance.

Non seulement cet électorat dit privilégier les enjeux climatique et de justice sociale qu’il ne relie pas à celui national mais une bonne partie identifie la lutte pour l’indépendance à une lutte soit ringarde soit carrément de droite identitaire. On constate les dégâts depuis une génération, depuis exactement la défaite référendaire crève-cœur de 1995, de la propagande nationaliste à caractère ethnique, avec relents racistes, soit pseudo-indépendantiste du PQ, soit autonomiste à la Duplessis de la CAQ. Les progressistes québécois comptaient sur Québec solidaire pour redresser la barre. Ce redressement a été mi-figue mi-raisin pour ne pas dire un échec. La fondatrice Déclaration de principes place la « souveraineté » à la queue de l’énumération tout enprécisant que « …[t]oute la population pourra ainsi se prononcer sur des changements politiques et constitutionnels [… et qu’un] référendum clôturera cette démarche… » ce qui ne débouche automatiquement pas sur l’indépendance car la souveraineté peut vouloir dire de décider démocratiquement de demeurer au sein du Canada.

Une Assemblée constituante devenue indépendantiste en 2017… en devenant anti-démocratique

Quelques années plus tard, le programme parlera carrément d’« indépendance » tout en précisant, pour ne pas dire en rectifiant, que « Québec solidaire utilise à la fois les termes souverainiste et indépendantiste pour décrire sa position sur la question nationale québécoise. » Mais il n’en restait pas moins que la stratégie du trio électoral gouvernement Solidaire – Assemblée constituante – référendum, ne débouchait pas automatiquement sur l’indépendance. Il fallut attendre la fusion de 2017 avec Option nationale pour qu’après une valse-hésitation, le parti précise que l’Assemblée nationale sera indépendantiste. Mais cette démarche purement électorale de changement constitutionnel, dût-il être radical, était déconnectée de toute stratégie de mobilisation populaire à la mode de la décennie post Révolution tranquille 1966- 1976 close et enterrée par la conquête de la majorité parlementaire par le PQ. Il en résulte, sur la base de l’actuel rapport de forces figé depuis 1995, une contradiction insoluble dans un cadre de démobilisation : une assemblée constituante démocratique serait fédéraliste et une indépendantiste serait anti-démocratique.

D’où la gêne Solidaire et la tension paralysante de son électorat que le retour de l’enjeu indépendantiste par un PQ aux abois lors de l’élection 2022 a mis à nu. Québec solidaire avait cru que la mue indépendantiste pure de son programme, garantie par la fusion avec la purzédure Option nationale, mise en relief par la victoire électorale de ces deux têtes d’affiches en 2018, réglait définitivement le scepticisme populaire vis-à-vis sa conviction indépendantiste. Le reniement indépendantiste du PQ de Lisée lors de cette élection donna l’impression d’une pleine réussite de la manœuvre. L’aile parlementaire, jusqu’en 2022, a cru pouvoir être indépendantiste sans en parler autrement que par quelques discours du dimanche et quelques apparition symboliques les jours de fête … ou être obligé, sur la défensive, de répondre aux questions torturantes de quel qu’intervieweur ou intervieweuse.

Pas de préparation de la Constituante lui préférant la tactique du clivage loin de l’indépendance

Quant à préparer, expliquer et populariser toutes les mesures programmatiques (section 9.3.3) de la brève « période de transition » prévue afin d’éviter le piège péquiste de la bonne gouvernance qui s’éternise, c’est motus et bouche cousue. Mais la complexité de la stratégie constituante permet-elle de compléter le processus à l’intérieur d’un seul mandat… surtout si le parti manque d’enthousiasme pour y arriver ? En tout cas, il y a là une bonne excuse de tout retarder à un deuxième mandat ce qui, politiquement parlant, est l’équivalent d’un étapisme à la PQ qui, comme pour lui, finit par en rester à la première étape. Si certaines de ces tâches préparatoires sont circonstancielles, d’autres sont indispensables à l’enclenchement du processus stratégique Solidaire : « [r]édiger et adopter une loi-cadre transitoire de l’État du Québec qui facilitera la mise sur pied d’une Assemblée constituante, [c]e texte serv[ant] de cadre provisoire pour le Québec jusqu’à la conclusion du processus constituant. » et « prévoir les modalités de négociation avec les peuples autochtones pour garantir leur droit à l’autodétermination… » ce qui ne sera pas une mince affaire.

Ne pas recentrer le discours politique sur l’indépendance et ne pas aborder dès maintenant les tâches de la transition, quitte à mettre sur pied un ou des comités spéciaux pour ce faire, donne fortement l’impression d’un parti qui pour l’instant se complait dans l’opposition en ne se préparant pas à assumer la direction gouvernementale. Ou encore qui attend que cette majorité lui tombe dans les mains comme un fruit mûr de par la logique du moins pire quitte à proposer chemin faisant des réformes sur des enjeux clivants, histoire de se démarquer sans rupture stratégique. Par exemple, le plan de lutte climatique de Québec solidaire baigne dans les mêmes eaux, quoique un peu plus chaudes, que celles de la CAQ soit le virage tout électrique des véhicules hydroélectriques, seuls en vente en 2030 et non en 2035, d’un transport public hors sol de métros et tramways au lieu de REM et tramways, des énergies vertes et de l’efficacité énergétique mais sans supplément de centrales pour l’exportation, du soutien à l’industrie pour s’électrifier mais avec un peu plus d’obligations.

Proposer une Constituante non pas légaliste mais d’un Québec libéré du gaz et pétrole canadiens

Pour donner l’impression de blanc contre noir, le parti a mis à l’avant-scène la démarcation du troisième lien, avant que la CAQ se ravise, et maintenant il rapplique avec le moratoire sur les claims miniers. L’aile parlementaire Solidaire ne semble pas réaliser que l’orgie minière dans laquelle le Québec s’incruste n’est que la conséquence du nouvel extractivisme du capitalisme vert. Étant donné la caractéristique diffuse des énergies vertes dont celle hydroélectrique, sans compter leur consommation gargantuesque d’espace, cet extractivisme nécessite beaucoup plus de matière et donc d’énergie pour l’extraire et pour la transformer par kilowattheure produit que les hydrocarbures, concentrés en énergie, n’en nécessitent.

En un mot, ce qu’on gagne en aval dans la production, on le perd en amont dans la construction des infrastructures. On ne peut pas rejeter les conséquences sans aussi rejeter les causes. Que vient faire l’indépendance dans cette galère ? Pour réaliser le plan vert de la CAQ ou des Solidaires, il est nul besoin de se séparer du Canada mais simplement de s’inscrire dans sa stratégie extractiviste même si elle est encore plus lente que celle de la CAQ étant donné qu’elle est lestée par les hydrocarbures de l’Ouest canadien et de Terre-Neuve. S’imaginer vaincre l’alliance des banques et des pétrolières dans un Canada du Quebec bashing dominé par l’axe Toronto-Calgary sous la gouverne d’Ottawa est une contradiction dans les termes.

Se donner le projet de société d’un Québec indépendant et libre d’hydrocarbures, lui qui déjà n’en produit pas, pour leur substituer une société écoféministe de prendre soin de la terre-mère et des gens qui y habitent est un projet emballant, mobilisant et réaliste. Tant que l’aile parlementaire Solidaire s’en tiendra à une politique de clivage à la marge, elle verra la stratégique de rupture indépendantiste comme un cauchemar qui viendra hanter ses nuits. Elle tentera en vain de l’enfouir dans son inconscient électoraliste et pragmatique. Cette schizophrénie finira par l’anéantir quand l’indépendance redeviendra une force sociale… ou quand elle sera rangée à tout jamais au musée de l’Histoire et avec elle tant la nation québécoise que Québec solidaire. Le remède à ce mal qui ronge le parti comme un cancer est de transformer la préparation de la Constituante, à activer dès maintenant, non pas en démobilisant et abstrait exercice légaliste mais en une proposition constitutionnalisant les éléments clefs de son plan climat-biodiversité assurant le plein emploi écologique.

Préparer dès maintenant une constitution alliant libération nationale et émancipation sociale

Par exemple la Constituante pourrait imposer de réduire drastiquement la consommation d’énergie par personne, d’un, par la collectivisation communautaire ou publique de l’habitat densifié et regroupé en zone urbanisée avec services de proximité accessibles à pied ; de deux, par la collectivisation du transport jusqu’au moindre village. Sur cette lancée, la constitution interdirait la propriété privée de l’habitat et des moyens de transport, ces deux mamelles de l’enchaînement des ménages populaires au capital financier par l’endettement. Serait aussi constitutionnaliser la gratuité mur à mur sans passe-droit privé des services publics tels la santé, l’éducation, les garderies, les transports, mais aussi l’électricité de base ; la limitation du prix des loyers, devenant à terme le lot de tous les ménages, à 25% du revenu net ; l’interdiction de l’obsolescence programmée d’où une longue garantie ; la transformation de l’agro-industrie en agrobiologie ; une politique migratoire de portes ouvertes et de libre installation. La sobriété énergétique et la fin de la consommation de masse permettent ainsi la constitutionnalisation de la semaine de quatre jours à 32 heures.

Il y a de bonnes chances pour que la démocratisation de cet exercice vers tous les membres et gens sympathisants au parti contribue, étant donné l’impact déjà acquis du parti dans la politique québécoise, à créer ou stimuler, et certainement à orienter, une mobilisation de type 1966-1976. C’est une telle mobilisation qui permettra de surmonter cette inextricable contradiction de la stratégie de l’Assemblée constituante entre démocratie versus indépendance. En un mot, ce qui est nécessaire dès maintenant n’est pas un budget de l’an 1 à la PQ mais le canevas de la constitution d’un Québec indépendant libéré de tout extractivisme pétrolier ou soi-disant vert. Il faudrait cesser d’opposer libération nationale à émancipation sociale, justice sociale à indépendance nationale, la lutte contre le capitalisme à la lutte contre le fédéralisme. Pour que l’une soit victorieuse, il faut que l’autre le soit car elles se renforcent l’une l’autre. Un peuple humilié, anglicisé, folklorisé ne saurait vaincre le capitalisme. Un peuple exploité, appauvri, aliéné ne saurait vaincre le fédéralisme.

Cette problématique ne serait-elle pas davantage pertinente à discuter lors du CN de juin de Québec solidaire ? Ce CN n’a à se mettre sous la dent que de la poutine interne soit deux résolutions banales genre pour-la- vertu-contre-le-vice, sauf pour les gens amateurs de pointvirgule, qui peuvent être adoptées en deux heures. Sans compter les élections internes dont une seule est contestée sur dix postes, ce qui dénote la sérieuse déficience de la démocratie interne, la direction du parti propose aux personnes déléguées une petite heure d’« [a]teliers sur la conjoncture politique : défis et opportunités pour Québec solidaire en région » suivis d’une brève plénière. Fort bien. Ne pourrait-on pas au moins doubler le temps de ces ateliers et d’y ajouter la thématique de l’indépendance nationale en posant la question suivante : Pourquoi le parti a-t-il de la difficulté à se faire reconnaître indépendantiste ? À part les méchants médias et nos adversaires politiques pervers, le parti y serait-il pour quelque chose ?

Marc Bonhomme, 27 mai 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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