Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Politique canadienne

NPD et les faits humains de Gaza : puis-je appuyer M. Mulcair s'il ne peut dire mot ?

Très sincèrement, en tant que membre du NPD, Thomas Mulcair est parmi les trois personnes pour qui je pense peut-être voter lors du congrès à la chefferie du parti. Sauf que j’ai un dilemme important, qui concerne notre humanité ou notre courage moral. Si M. Mulcair peut reconnaître que les situations décrites ci-dessous ne sont pas légitimes et doivent être dénoncées, alors il risque fortement d’avoir mon vote. Il peut le faire de manière diplomatique et pondérée, certes, mais il y a parfois des vérités tragiques où maintenir le silence ou une trop grande discrétion revient à tolérer ou à accepter. Quand vos ami-es commettent des erreurs graves, des crimes ou des actes cruels, devriez-vous vous taire pour les apaiser et simplement comprendre les émotions qui expliquent leurs gestes cruels ?

Le NPD a une position importante et juste en reconnaissant les droits nationaux d’Israël et de la Palestine, les droits humains et en demandant qu’Israël cesse d’élargir ses colonies sur les territoires palestiniens, sauf que ses mots sonnent creux quand, le moment venu, nous n’osons pas critiquer les crimes d’un et l’autre. Après tout, même le gouvernement conservateur peut dire qu’il reconnaît les droits de ces deux nations, sauf que...

Avant d’expliquer plus loin pourquoi je cible M. Mulcair parmi les autres candidatures, j’estime avoir le devoir de rappeler les faits au nom des êtres humains massacrés que certains voudraient qu’on ignore ou oublie. Je dois le faire aussi parce que trop de membres du NPD ne semblent pas mesurer la gravité de la situation de Gaza de 2009 à 2012.

Les faits objectifs de Gaza et d’Israël - Janvier 2009 :

Un novembre 2008, Israël a mené une opération militaire contre un tunnel utilisé pour importer/exporter au-delà du blocus de Gaza imposé en 2007. Chez les soldats israéliens, deux seraient morts, quatre auraient été blessés et un fut enlevé. Du côté palestinien, trois « militants » seraient morts et deux capturés. « En riposte » en décembre 2008, Israël a détruit la seule centrale électrique de Gaza et bombardé pendant environ deux semaines, tuant 1,387 personnes, parmi lesquels 773 civiles (dont 252 enfants âgés de moins de 16 ans), 330 militants (dont 19 mineurs) et 248 policiers (selon l’organisme israélien B’Tselem pour les droits humains en 2009). Sans oublier les 5,300 blessés. Israël a aussi tué accidentellement 10 soldats israéliens. Du côté d’Israël, 3 personnes civiles sont mortes près de Gaza (lire : souvent il est écrit 13 au total, car sont inclus les 10 soldats tués par Israël). Le soldat capturé fut détenu plusieurs années, puis libéré vivant.

En même temps, Israël a arrêté et mis en prison 64 responsables politiques du Hamas, dont 8 ministres et 26 députés, donc 34 personnes élues furent emprisonnées. Plusieurs centaines d’autres palestinien-nes furent aussi emprisonnés.

Réalité objective de ces bombardements :

  • l’armée israélienne a tué au moins 1,387 êtres humains de Gaza (330 étaient des combattants) et 10 êtres humains d’Israël (soldats) ;
  • 3 personnes civiles israéliennes furent tuées par des roquettes en provenance de Gaza ;
  • 5,300 blessées à Gaza, 113 soldats israéliens blessés et 84 dans les colonies israéliennes ;
  • 34 personnes élues palestiniennes furent emprisonnées ;
  • des centaines d’autres Palestinien-nes furent emprisonnées ;
  • 1 soldat israélien fut emprisonné ;
  • environ 750,000 personnes ont manqué d’eau courante vu la destruction de la centrale électrique de Gaza ;
  • etc.

Ces chiffres objectifs sont évocateurs et vous pouvez juger par vous-même. Selon la raison officielle invoquée par le gouvernement israélien, l’objectif était de bloquer les roquettes et les tirs de mortier en provenance de Gaza ; ces mêmes tirs qui ont tué 3 personnes durant les deux semaines de bombardements.

Ce sont là les simples faits. Chaque côté a sa propre propagande mensongère et ses points de vue extrêmement biaisés de la vérité.

Les faits objectifs concernant les tirs en provenance de Gaza - 2001 à 2012 :

Il y a eu plusieurs milliers de tirs à partir de Gaza visant des colonies israéliennes avoisinantes. Ce sont des crimes de guerre, certes, et cela terrorise les colonies israéliennes, sauf qu’il faut aussi faire face à l’ensemble des faits et respecter la vie humaine des gens de l’autre nation. De 2001 à 2012, les tirs en provenance de Gaza ont tué 31 personnes au total, soit en moyenne 2.5 décès par année, dont 1 en 2010 et 2 en 2011. Évidemment, il faut penser aussi aux centaines de personnes blessées et traumatisées.

Moralement et légalement, on ne peut pas parler de légitime défense quand, en seulement deux semaines, un gouvernement assassine environ 1,400 personnes et blesse plus de 5,000 autres parce qu’environ 20 de ses citoyen-nes furent tués entre 2001 et 2008. Le tout en occultant le nombre de personnes palestiniennes tuées, emprisonnées et parfois torturées pendant ces mêmes années. Dois-je rappeler que la population civile de Gaza est soumise à un blocus depuis 2007 ?

( Sources : plusieurs pages Wikipedia anglophones et francophones, corroborées par plusieurs références dont le Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’ONU sur le conflit de Gaza [Goldstone].)

Réalisons-nous ce qu’est un blocus ?

Que les roquettes de Gaza aient tué 10 ou 1000 personnes (31 décès en 12 années dans les faits), ne change rien à l’immoralité et à la criminalité d’imposer un blocus à l’encontre d’une population civile. Par définition, un blocus est un acte de guerre selon le droit international. Un tel châtiment collectif, qui empêche les gens d’importer, d’exporter, qui bloque même des cargaisons de l’UNICEF et qui provoque un grand désespoir dangereux, est nécessairement une violation grave du droit humanitaire international. L’aide humanitaire ne peut jamais remplacer le droit d’avoir une économie. Depuis 2011, le soulèvement populaire égyptien a permis que des gens puissent entrer et sortir de Gaza, mais le transit de marchandises se fait discrètement par des tunnels. Ce blocus dure depuis au moins 5 années maintenant.

Le NPD et les droits humains

Je me suis joint en 2003 au NPD parce que des député.es comme Alexa McDonough, Svend Robinson et Libby Davies, entre autres, avaient le courage de nommer des vérités concernant les droits humains même quand cela était difficile ou impopulaire. À l’instar du fondateur du NPD, Tommy Douglas, qui dénonça publiquement les mesures de guerre imposées au Québec en 1970, en sachant pourtant très bien que cela allait le rendre très impopulaire et faire chuter les intentions de vote. En 2002, seul le NPD avait le courage moral de dénoncer le blocus jadis imposé contre l’ensemble de la population irakienne (1990 à 2003) et je me suis donc joint à ce parti.

En 2009 lors des bombardements de Gaza, le NPD a publié sur son site un communiqué exigeant un cessez-le-feu et l’ouverture des passages frontaliers pour les biens civils, mais plusieurs se demandaient pourquoi le NPD n’était pas plus vocal ou visible sur le sujet considérant la gravité des faits que nous avons exposés. Plusieurs sont arrivés à la conclusion que c’était M. Mulcair qui avait exigé au caucus du NPD de ne pas trop critiquer Israël. Il nous est impossible de vérifier si ce fut vraiment le cas. Par contre, le NPD a été très clair et vocal lorsque des gens sont morts sur la première Flottille de la liberté vers Gaza lorsqu’elle fut interceptée par l’armée en 2010. Plus récemment en juillet 2011, alors que le blocus de Gaza était mentionné dans les médias du monde entier pendant un mois, le NPD a préféré se taire. La seule exception permise fut que Jack Layton appelle le gouvernement israélien pour demander la levée du blocus et demander que soit traité de manière sécuritaire la nouvelle Flottille de la liberté qui allait tenté de se rendre au port maritime de Gaza. Ce que nous savons de sources certaines, c’est que M. Mulcair a tenté de rétrograder la députée qui a osé proposer d’appuyer la Flottille de la liberté lors du congrès 2011.

En somme, le NPD est devenu très discret et poli envers ce conflit depuis l’arrivée de M. Mulcair. Peut-on être diplomatique et respectueux tout en nommant ouvertement des vérités difficiles et en cessant de tolérer une situation intolérable ? Par exemple, il est facile pour les membres du NPD de se dire, entre eux et elles, que le blocus de Gaza est une triste situation, mais ne pas vraiment en faire de cas pendant l’année à venir. On peut se donner bonne conscience et débattre de nuances, mais pendant ce temps la population demeure soumise à un blocus cinq années plus tard. On peut dire la même chose de plusieurs autres situations, sauf que normalement au NPD un-e député-e prend son courage à deux mains et finit par le dire ouvertement dans la Chambre des communes.

Il importe d’avouer que ce n’est pas seulement limité à une personne. Dans les débats à la chefferie, seule Niki Ashton a osé frôler le sujet et questionnant justement M. Mulcair sur le « Moyen-Orient ». N’empêche que j’ai parfaitement confiance que les autres candidatures ont dénoncé les bombardements de 2009 et sont capables de dénoncer le blocus de Gaza, mais je n’ai pas cette même confiance envers M. Mulcair.

Ce que j’ai demandé à M. Mulcair en février 2012

Le 18 février 2012, j’ai envoyé un courriel à M. Mulcair demandant ceci :
« Ma question : j’ai besoin que M. Mulcair me dise qu’il va dénoncer le blocus de Gaza. Même les gens pro-Israël et les personnes juives peuvent s’unir à ce message simple : imposer un blocus à l’encontre d’une population civile est tout simplement interdit et trop violent envers les personnes innocentes à Gaza. »

La réponse de M. Mulcair est intéressante et louable, mais elle ne répond pas à la question. Voici deux extraits importants de sa réponse :
« Lors de ma récente annonce sur les affaires étrangères, je me suis clairement engagé à privilégier une politique associant le commerce, l ?aide humanitaire, l ?armée, les droits de l ?homme et les politiques sur les changements climatiques.[...]

Le conflit israélo-palestinien est une tragédie humaine qui dure depuis trop longtemps. Je suis en désaccord avec l ?approche unilatérale adoptée par notre gouvernement. Appuyer Israël et les Palestiniens ne doit pas aboutir à une situation « gagnant-perdant ». Reconnaître l ?existence d ?Israël ne doit pas se faire au détriment des aspirations nationales palestiniennes, et vice-versa. Les deux peuples jouissent du même droit à l ?auto-détermination. »

La suite de la lettre résume les positions du NPD que M. Mulcair s’engage à respecter. La question du blocus ne s’y trouve pas et ma question était à savoir s’il allait dénoncer le blocus de Gaza. Je lui ai donc réécrit :
« Nous avons besoin d’entendre que vous allez dénoncer publiquement le blocus de Gaza (au moment jugé opportun par vous évidemment). À notre avis, c’est assez facile à faire considérant que le blocus est dénoncé par l’ONU et ses agences humanitaires et juridiques, et par un consensus au sein du NPD. Nous ne parlons pas d’appuyer la Flottille de la liberté, mais uniquement de dénoncer publiquement vu l’urgence et la gravité du concept même d’imposer un blocus contre une population civile. [?] En conclusion, plusieurs partis politiques et gouvernements ont des positions similaires à celles du NPD, mais disent peu ou rien et laissent le gouvernement israélien agir systématiquement année après année [...] ».

Je n’ai pas reçu de réponse à cette deuxième tentative.

Ce que je demande à M. Mulcair et à toutes les candidatures à la chefferie

Cette lettre ouverte sera envoyée à toutes les candidatures et les réponses, s’il y a lieu, seront publiées et accessibles.

Ma demande est minimale :

Nous dire, par une réponse que nous nous engageons à publier ici, que les bombardements massifs de Gaza (2009), tout comme ceux contre le Liban (2006), sont des actions démesurées qui ne doivent pas être considérées de la légitime défense. Surtout, cette réponse doit inclure un engagement à dénoncer publiquement le blocus de Gaza, chose qui peut se faire de manière polie et pondérée, mais qui doit être faite.

Je ne demande pas que cela soit fait maintenant dans les médias, mais d’un engagement écrit, témoignant que vous avez le courage moral pour faire face aux crimes parfois commis par des gouvernements. Un tel courage politique est, à mon avis, nécessaire pour représenter nos valeurs humaines communes. Les positions officielles du NPD sur ce conflit sont respectables et appuyées par M. Mulcair, mais on sent clairement un niveau de censure, pour des raisons douteuses, qui ne sert pas réellement la cause des gens ou de l’humanité.

Thomas Mulcair a de très grandes qualités et il est dans mes premiers choix. Lors des débats, il a nommé des exemples concrets qui sont clairs, percutants, dont des exemples d’actions qui respectent le Québec. Quand il parle, je comprends très bien et il touche des enjeux terre-à-terre et progressistes. Je juge selon les actions et M. Mulcair a mené plusieurs actions évocatrices en faveur des droits du Québec et en défense de l’environnement. Il a la confiance de bien des gens au Québec, il est concret, clair et réfléchi ; chose que je respecte. Sauf que si M. Mulcair ne peut répondre à cette demande simple, sur des cas aussi graves, il me sera impossible de voter pour lui comme chef du NPD et éventuel premier ministre du Canada.

Pourquoi suis-je encore membre du NPD ?

Actuellement, tant qu’une majorité des citoyens et citoyennes du Québec n’auront pas demandé la souveraineté, c’est le fédéral qui nous représente sur les questions internationales, mais qui gère aussi l’assurance-emploi, plusieurs pensions, etc. Je suis membre du NPD comme forme de coopération entre les nombreuses nations de cette fédération. On peut même dire que le NPD représente une coopération internationale entre les mouvements progressistes du Québec et des nations au Canada sur des questions qui dépassent nos frontières, dont l’environnement par exemple.

Quand on écrit une telle lettre ouverte, il est commun d’être jugé trouble-fête ou d’être estimé un-e membre manquant de discrétion. Ces partisan-es auraient en partie raison, dans la mesure où je ne suis effectivement pas au service d’un parti, d’une personne, d’un gouvernement ni même d’un pays. Je préfère servir uniquement la recherche de la vérité et le respect effectif des droits et de la dignité de toute personne humaine.

 Michaël Lessard, à Québec, 9 mars 2012.

Sur le même thème : Politique canadienne

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...