10 juin 2024 | tiré du site alencontre.org
https://alencontre.org/ameriques/amelat/mexique/mexique-dossier-claudia-sheinbaum-un-triomphe-a-contre-courant-en-amerique-latine.html
La victoire de Claudia Sheinbaum aux élections présidentielles mexicaines [avec 59,75% des suffrages] marque un tournant dans l’histoire du pays, renforce la gauche institutionnelle latino-américaine et contraste avec les avancées de l’extrême droite dans la région ces dernières années.
Les résultats contredisent la prémisse rabattue selon laquelle l’un des effets de la pandémie post-Covid 19 résidait dans la défaite assurée des partis au pouvoir, sans distinction idéologique. Contrairement à ce qui s’est passé au Brésil ou en Argentine, le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a réussi à garantir la continuité du Mouvement de régénération nationale (MORENA). Il l’a fait main dans la main avec Claudia Sheinbaum, une scientifique de 61 ans qui, le 1er octobre, après avoir remporté les élections du dimanche 2 juin avec près de 60% des voix, deviendra la première femme présidente de l’histoire du Mexique. Ce seul fait, dans un pays et un continent caractérisés par une culture politique manifestement machiste, constitue l’une des facettes les plus fondamentales de la campagne électorale. Avant Claudia Sheinbaum, Rosario Ibarra de Piedra [candidate du PRT en 1982 et en 1988], Cecilia Soto [candidate du Partido del Trabajo en 1994], Marcela Lombardo [candidate du Parti alternatif social-démocrate en 1994], Patricia Mercado [candidate pour le Partido Alternativa Socialdemocrata y Campesina en 2006], Josefina Vázquez Mota [candidate du PAN-Parti d’action nationale en 2012] et Margarita Zavala [candidate du PAN en 2018] ont présenté leur candidature.
Cette année, Claudia Sheinbaum [MORENA] et Xóchitl Gálvez [27,75% des suffrages], la candidate de l’opposition [coalition réunissant le PAN, le PRI et le PRD] qui, au-delà de ses escarmouches médiatiques, n’a jamais réussi à se positionner comme une rivale compétitive, ont rejoint la liste des pionnières. Dans tous les cas, il ne faut pas succomber aux mirages fréquents liés au genre de la candidate. Même si cela semble évident, il faut rappeler qu’une femme au pouvoir n’est pas une garantie de féminisme. Pendant la campagne, Sheinbaum a inclus dans ses promesses des questions telles que le care et a répété le slogan : « Je n’arrive pas seule, nous arrivons toutes ensemble ». Mais, en réalité, tout au long de sa carrière politique, elle n’a pas embrassé les luttes féministes de manière énergique. Les tensions et les contradictions avec le mouvement des femmes qu’elle a héritées de son passage à la tête du gouvernement de Mexico [district fédéral] sont encore présentes, et nous devrons donc attendre pour voir si son arrivée au pouvoir se traduira par des politiques d’extension des droits.
D’autre part, la victoire de Claudia Sheinbaum représente une nouvelle étape dans la débâcle du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), force politique omniprésente qui, au siècle dernier, a gouverné le Mexique pendant sept décennies consécutives jusqu’à ce que, en 2000, l’alternance tant attendue commence enfin. Depuis lors, la droite (PAN) a gouverné pendant deux mandats, avec Vicente Fox [2000-2006] et Felipe Calderón [2006-2012]. Puis le PRI est revenu, avec Enrique Peña Nieto [2012-2018]. La gauche, représentée par López Obrador (AMLO), l’a emporté en 2018 et la victoire de Claudia Sheinbaum lui assure de rester au pouvoir jusqu’en 2030.
Les racines historiques des dirigeants de gauche sont toutefois multiples. Si López Obrador [membre du PRI, puis du PRD, puis fondateur [1] de MORENA] et Cuauhtémoc Cárdenas [initiateur du PRD en 1989] sont nés politiquement au sein du PRI, personne ne peut revendiquer ce passé pour Claudia Sheinbaum. Elle a toujours été une militante de gauche et a maintenu la continuité comme l’une de ses principales bannières politiques. C’est pourquoi elle représente un changement de genre, mais aussi un changement de génération en termes politiques.
Ce processus électoral n’a pas seulement conduit au triomphe de Sheinbaum et de MORENA, mais il a laissé le PRI en crise et, selon certains points de vue, au bord de l’extinction. L’alliance de ce dernier avec le Parti d’action nationale (PAN) et le Parti de la révolution démocratique (PRD), autrefois rivaux, a montré que sa seule vocation était de constituer une opposition viscérale et de classe à Lopez Obrador. La campagne du PRI était en fait centrée sur la peur, comme le démontrent les déclarations constantes du parti selon lesquelles, en cas de victoire de Sheinbaum, le Mexique serait « transformé en Venezuela », une « dictature » se développerait et le pays serait gouverné par le « communisme ». La stratégie du PRI s’est traduite par une campagne erratique et parfois embarrassante de Xóchitl Gálvez et a eu pour effet d’aggraver la crise que traverse le parti depuis près de vingt ans. Loin de relancer positivement le PRI, l’alliance avec des partis avec lesquels il s’était précédemment affronté l’a conduit à liquéfier son identité et à se retrouver dans une position critique.
L’opposition a également dû faire face à un président (AMLO) qui contrôle la communication publique et fixe l’agenda politique par le biais de ses conférences de presse quotidiennes – connues sous le nom de « mañaneras » – et qui, dans la dernière ligne droite de son gouvernement, jouit d’une cote de popularité record de 60%. López Obrador cédera son poste à Claudia Sheinbaum en lui laissant les comptes macroéconomiques en bon état. Le Mexique d’aujourd’hui, c’est un peso renforcé, des conditions salariales meilleures que par le passé, moins de pauvreté et une batterie de programmes sociaux destinés aux plus défavorisés. Claudia Sheinbaum devrait également poursuivre la rhétorique obradoriste liée à l’« humanisme » et à la « justice sociale » et les politiques qui ont permis à López Obrador d’évincer, en à peine une décennie, la triade PRI-PAN-PRD et de faire de MORENA le parti le plus important du pays. Ce déplacement et la prééminence de MORENA se sont traduits, en fait, par l’augmentation des sièges obtenus lors des élections à la Chambre des députés et au Sénat. Selon les dernières données du décompte électoral, MORENA obtiendrait une majorité qualifiée au Congrès. [MORENA aurait 250 députés sur 500 et 372 sur 500 en tenant compte de la coalition Morena-Partido del Trabajo, Partido Verde Ecologista.]
Le processus de changement de López Obrador a joué en faveur de Claudia Sheinbaum, qui a pu capitaliser sur les réalisations de l’administration du président grâce au soutien de ce dernier. Claudia Sheinbaum a promis de poursuivre la « quatrième transformation » ou « 4T », comme le président a baptisé son administration pour lui donner une aura épique, en l’assimilant à l’indépendance de 1810, à la guerre de réforme du XIXe siècle et à la révolution de 1910. Aux premières heures du lundi 3 juin, une fois son triomphe confirmé, Claudia Sheinbaum a une nouvelle fois fait preuve de loyauté en qualifiant le président comme « un homme exceptionnel qui a transformé l’histoire de notre pays pour le meilleur ».
A son tour, dans son premier message post-électoral, López Obrador a réitéré son « affection et son respect » pour Claudia Sheinbaum. « J’avoue que je suis très heureux, fier d’être le président d’un peuple exemplaire, le peuple mexicain. La journée électorale d’aujourd’hui a montré qu’il s’agit d’un peuple très politisé, le nôtre », a-t-il déclaré, soulignant qu’en 200 ans d’histoire, jamais une femme n’avait gouverné.
L’échange d’éloges a couronné une relation politique qui a débuté il y a 24 ans, lorsque López Obrador a remporté le gouvernement de la capitale et a invité Claudia Sheinbaum, alors scientifique et universitaire, à rejoindre son cabinet en tant que secrétaire à l’Environnement. Depuis lors, ils ne se sont jamais quittés. Elle a ensuite été porte-parole de la première campagne de López Obrador (2006) et a été l’une des fondatrices et des acteurs politiques de MORENA. Avec le soutien de son mentor, elle remporte en 2015 la mairie de Tlalpan [une des 16 divisions territoriales de Mexico] et, quelques années plus tard, le gouvernement de la ville de Mexico [l’agglomération compte 21 millions d’habitants]. Le 1er décembre 2018, López Obrador a prêté serment en tant que président et cinq jours plus tard, Claudia Sheinbaum a prêté serment en tant que maire de la capitale nationale. Six ans plus tard, il lui transmettra (en octobre) la présidence, consolidant ainsi leur statut de duo politique le plus performant du Mexique contemporain.
L’héritage que recevra Claudia Sheinbaum comprend également des bilans négatifs. Parmi ceux-ci se dégage la violence incessante qui sévit dans le pays. Celle-ci doit être, au même titre que les rapports avec les familles et les réparations pour les victimes, une question de la plus haute priorité. Cette violence, qui est multiple et s’exprime à différents niveaux et dans différentes directions, a coûté la vie à 30 candidats au cours de cette même campagne électorale. Bien que le président López Obrador ait tenté de minimiser les faits et présenté les élections comme « les plus propres et les plus pacifiques de l’histoire », les données montrent que de nombreux citoyens et citoyennes ont décidé de « voter » pour l’une des plus de 100 000 personnes disparues et ont inscrit leur nom sur les bulletins de vote afin de rendre visible une tragédie à laquelle les dirigeants politiques, à commencer par le président AMLO, n’ont accordé que peu ou pas d’attention. L’agenda des droits de l’homme est urgent, mais la méfiance de nombreuses organisations et groupes de familles de victimes à l’égard de la nouvelle présidente est plus qu’évidente. La proximité de Claudia Sheinbaum avec Omar García Harfuch, policier et ancien secrétaire à la Sécurité citoyenne de la ville de Mexico [du 4 octobre 2019 au 9 septembre 2023, ce dernier a donné sa dimension pour intégrer la campagne de Sheinbaum et envisager un poste gouvernemental], est, pour ces organisations, inquiétante. La raison en est évidente : García Harfuch a été désigné par les proches des étudiants de l’école normale d’Ayotzinapa disparus en 2014 comme faisant partie de ceux qui ont construit le « récit officiel » sur un cas de violations évidentes des droits de l’homme [la clarté n’a jamais été faite sur les circonstances de leur mort et du rôle de l’armée]. Ce fait conduit les organisations à émettre des réserves à l’égard de Sheinbaum, tandis que García Harfuch fait non seulement partie de l’équipe de conseillers de la nouvelle présidente, mais semble même faire partie de son prochain cabinet. Il reste à voir dans quelle mesure les « contradictions inévitables mais nécessaires », l’euphémisme utilisé par ceux qui justifient toute forme d’alliance, prévaudront.
Sur le plan extérieur, les élections mexicaines rééquilibrent la répartition du pouvoir dans une Amérique latine où l’idée fausse d’un inévitable glissement à droite s’était répandue. Le samedi 1er juin, juste un jour avant l’élection de Sheinbaum, le président argentin Javier Milei et le salvadorien Nayib Bukele se sont donné l’accolade en souriant, essayant de montrer une extrême droite qui progresse régulièrement à l’échelle mondiale. Mais le lendemain, le triomphe de MORENA au Mexique a remis les projecteurs sur la gauche démocratique diversifiée qui comprend Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil), Gustavo Petro (Colombie), Luis Arce (Bolivie) et Gabriel Boric (Chili), le groupe restreint de présidents dont, dans quatre mois, Claudia Sheinbaum fera partie.
Comme presque toutes les femmes qui accèdent à de hautes fonctions, Claudia Sheinbaum doit faire face à de multiples préjugés. Promue par López Obrador, elle a été accusée par ses adversaires politiques et médiatiques de n’être qu’une « marionnette » de l’actuel président. En fait, ces mêmes opposants soutiennent que c’est le fondateur de MORENA – qui a déjà annoncé son prochain retrait de la vie politique – qui continuera à gouverner en coulisses. Claudia Sheinbaum doit maintenant relever le défi de démontrer son autonomie politique sans laisser entendre qu’elle est déloyale. Ce sera l’un des principaux défis de la nouvelle présidente [2].
Elle n’est pas seule dans ce processus. Un autre événement marquant de l’élection est que la capitale du pays sera également gouvernée par une femme. Il s’agit de Clara Brugada [membre de MORENA depuis 2014, elle a quitté le PRD en 2012], l’ancienne maire d’Iztapalapa [secteur populaire de l’agglomération de Mexico, de 2018 à septembre 2023], issue des luttes urbaines (occupation du territoire), qui se définit comme féministe et qui, dès son entrée en fonction, deviendra automatiquement pré-candidate à la présidence et possible successeure de Claudia Sheinbaum en 2030. Mais cela sera une autre histoire. (Article publié dans la revue Nueva Sociedad, juin 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre)
Cecilia González est journaliste, auteure de nombreux ouvrages sur le Mexique et l’Argentine.
[1] Sur la constitution de MORENA, voir l’ouvrage d’Hélène Combes : De la rue à la présidence. Foyers contestataires à Mexico (CNRS Editions, 2024). (Réd.)
[2] Le milieu entrepreneurial a accueilli de manière assez positive l’élection de Claudia Sheinbaum. Cette dernière a rapidement pris contact avec, par exemple, le directeur général de BlackRock Mexico, pour assurer les flux d’investissements. A ses côtés, la future responsable de l’Economie, la jeune dirigeante d’entreprise Altagracia Gómez Sierra, était déjà membre de l’équipe de la campagne présidentielle de Sheinbaum. (Réd.)
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Mexique. Violente campagne de la coalition de droite : en vue de quel futur ?
Photo : Xóchitl Gálvez, le 5 juin, demande que l’exécutif soit jugé pour son intervention dans les élections.
Par Carlos Alberto Ríos Gordillo
1.- Au Mexique, à l’issue des élections présidentielles du 2 juin, la victoire de la coalition de gauche (Sigamos Haciendo Historia-Continuons à écrire l’histoire : MORENA, PT, Partido Verde Ecologista) se profilait. Dès le matin et bravant un soleil de plomb, des millions de personnes se sont alignées dans les rues, dans des files d’attente intergénérationnelles, pour voter dans tout le pays et dans les principaux consulats mexicains aux Etats-Unis et en Europe. Plus importante que l’élection de 2018, la participation citoyenne a d’emblée suscité l’étonnement. Quelle candidate tous ces votes allaient-ils favoriser ? Cette incertitude a suscité les réactions les plus diverses le jour même de l’élection.
Avant la fermeture des bureaux de vote, les instituts de sondage ont commencé à publier des résultats préalables. L’un de ces instituts, le très partial Massive Caller, a annoncé la victoire de la candidate conservatrice Xóchitl Gálvez [coalition Fuerza y Corazón por México : PRI, PAN, PRD] Peu après, elle s’est réunie avec les principaux responsables de son équipe de campagne, a annoncé lors d’une conférence de presse sa victoire éclatante à la présidence et dans les neuf Etats où se déroulaient les élections, y compris la capitale du pays. Dans un discours préparé à l’avance, elle a exigé que le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) respecte le vote, tout en demandant à l’Institut national électoral (INE) de ratifier automatiquement le résultat [1].
Délirante et sans résultats en main, assimilant la forte participation à un vote en sa faveur, la droite a célébré à l’avance une victoire : moins comme une farce que comme un faux positif. « D’après ces résultats, il est clair que nous avons déjà gagné », s’est exclamée Xóchitl Gálvez, tandis qu’un tonnerre de clameurs scande : « Présidente, Présidente ! » Cependant, les nuances du discours triomphal laissaient présager ce qui allait se passer quelques heures plus tard : « Nous sommes en concurrence avec l’autoritarisme et le pouvoir. Et ils sont capables de tout », a-t-elle déclaré. Comme si c’était un présage, elle annonce le piège qui se nicherait derrière la prétendue victoire : « Nous allons défendre votre vote, nous n’allons pas partir, nous allons défendre cette victoire. »
Créer la confusion, déformer, mentir depuis le début et jusqu’à la fin, c’est ce qu’a fait la propagande de droite avant même le début de la campagne présidentielle ; mais si l’heure de la défaite a sonné, à quoi bon ?
2.- La réalité n’a pas tardé à être connue et célébrée. Ce que la droite célébrait, c’était tout ce qu’elle n’avait pas gagné dans son ancien monde : à l’exception de cinq divisions territoriales (demarcaciones territoriales qui sont au nombre de 16) dans la capitale et d’un Etat dans le pays, elle avait tout perdu. Selon le Programme des Résultats Electoraux Préliminaires de l’INE (Instituto Nacional Electoral), Xóchitl Gálvez avait obtenu 27,90% des voix, soit presque deux fois plus que le dernier concurrent en lice : Jorge Álvarez Máynez, qui avait obtenu 10,4187%, mais trente points derrière Claudia Sheinbaum, avec 59,75% des voix. Curieusement, c’est à l’étranger (Etats-Unis, Europe) qu’elles sont le plus proches : 86 554 voix pour la première, 91 522 pour Sheinbaum.
Avec ces résultats, la majorité qualifiée au sein du pouvoir législatif est restée entre les mains de la coalition dirigée par le parti Mouvement de régénération nationale (MORENA), ce qui, en principe, lui permet d’approuver les réformes de l’INE [six modifications voulues par AMLO de la législation électorale] et du pouvoir judiciaire. Réformes auxquelles s’opposait l’opposition déguisée en « marée rose » [couleur adoptée par la coalition de droite] trouvant ainsi une cause de connexion avec les secteurs de la population mécontents du gouvernement de López Obrador et une légitimité sociale qu’elle a recherchée avec ténacité tout au long des six années du mandat d’AMLO. Si ces partis ont trouvé dans leur coalition un moyen de ne pas succomber séparément, ils ont trouvé dans les « citoyens » la légitimité qui les a animés pendant la campagne et leur a permis d’obtenir un pourcentage aussi élevé lors des élections du 2 juin.
Alors que le Zócalo de Mexico a été le théâtre d’une fête populaire en faveur de Claudia Sheinbaum et que les célébrations ont fusé de partout, les réactions internationales ne se sont pas fait attendre. Alors qu’il y a six ans, le grand sociologue Immanuel Wallerstein [disparu en 2019] considérait la victoire d’AMLO comme une « victoire de la gauche », significative pour l’ensemble de la gauche mondiale, voilà que l’intellectuel et cinéaste anglo-pakistanais Tariq Ali écrit sur son compte X : « Excellente nouvelle du Mexique. Enorme victoire pour Claudia Sheinbaum, féministe d’origine juive. Antisioniste et écologiste. Sa victoire est aussi un symbole de la popularité d’AMLO dans le pays. Un triomphe de l’espoir sur le désespoir. Un soulagement après le désastre en Argentine. »
3.- Peu après avoir célébré une telle victoire en apothéose, les dirigeants des partis politiques de droite mexicains ont annoncé une nouvelle conférence de presse, où ils ont tenu une conférence de presse durant laquelle ils ont présenté une réalité à l’opposé de celle mentionnée dans la conférence précédente mentionnée plus haut : ils ont exigé le respect de la volonté du peuple. Ils ont ainsi changé les termes de leur discours. Dans un langage guindé, Alejandro Moreno, président national du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), a dit la chose la plus révélatrice : « Nous avons gagné dans ces six Etats. Nous sommes en train de construire et de consolider les résultats de l’élection présidentielle, ce qui montre clairement que Xóchitl Gálvez a non seulement le soutien du peuple mexicain, mais que nous avons clairement gagné dans ces six Etats. » [2] En quelques minutes, les dirigeants du parti sont passés d’un air de triomphe à une tonalité de morosité. Voyant que la défaite à la présidence était acquise, ils se sont accrochés à la lutte pour seulement six Etats, finalement eux aussi perdus pour eux.
Quelques minutes plus tard, avec l’apparition des résultats préliminaires de l’INE, la candidate Xóchitl Gálvez elle-même a dû accepter l’inévitable. Elle a convoqué une nouvelle conférence de presse pour reconnaître que le vote en faveur de sa candidature ne lui était pas favorable, que les tendances électorales étaient irréversibles et que, par conséquent, « il n’y a aucune information suggérant que cela pourrait changer lors du dépouillement dans les districts ». Cette reconnaissance, comme elle l’assume, s’accompagne d’une « ferme exigence de résultats et de solutions aux graves problèmes du pays et de l’indispensable respect de la Constitution et des institutions démocratiques » [3].
Ce faisant, elle a révélé la reconfiguration de la stratégie qui avait résulté de la cuisante défaite électorale, mais dans le cadre de la survie politique des derniers mois : la formation d’un mouvement de masse [la « marée rose »]. « Nous descendrons dans la rue autant de fois qu’il le faudra pour défendre la République et la démocratie », a-t-elle déclaré. Elle a ensuite énuméré les thèmes de la lutte à venir : le soutien aux mères à la recherche de disparus, la lutte des femmes, les droits des peuples indigènes [en lien avec le projet de train Maya mis en place par AMLO], la lutte contre la corruption et, bien sûr, la promotion de l’énergie propre [place de la firme pétrolière Pemex dans la distribution budgétaire d’allocations sociales] et d’autres causes. Une fois de plus sont utilisés des thèmes que la gauche a défendus face à l’assaut de la droite.
Outre les partis politiques qui l’ont proposée à la présidence, Xóchitl Gálvez a remercié les citoyens de la « marée rose », qu’elle conservera pendant « le temps que Dieu décidera de me prêter sur cette terre ». Une « guerrière » autoproclamée pour un « Mexique où la vie, la vérité et la liberté sont respectées ». Une guerrière de la « démocratie », qui a prévenu : « Nous ne permettrons pas qu’elle soit attaquée. » Dépité, le public qui, quelques heures plus tôt, l’avait acclamée avec le slogan « Présidente ! », lui a renvoyé un simple : « Xóchitl ! », comme pour la ramener à sa simple dimension.
4.- Après avoir encouragé la perplexité et diffusé la confusion, la droite a cherché à gagner sur ce qu’elle affirmait depuis des mois : l’ingérence de López Obrador dans la campagne électorale, la présence du crime organisé et l’utilisation des programmes gouvernementaux à l’avantage de MORENA qui ont fait de cette élection une élection d’Etat. Dans cette optique, au lendemain de l’élection, Xóchitl Gálvez a, dans l’après-midi, publié un communiqué, dans lequel, très en phase avec ce que nombre de ses partisans ont écrit sur les réseaux sociaux (appelant parfois à l’usage de la violence), elle a affirmé :
« (…) Cela ne s’arrête pas là. Oui, nous présenterons les éléments qui prouvent ce que je vous dis et ce que nous savons tous. Et nous le ferons parce que nous ne pouvons pas permettre une autre élection comme celle-ci. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons défendre notre démocratie et notre république. Les contre-pouvoirs et la séparation des pouvoirs sont toujours menacés. Ce doit être un grand moment d’unité pour ceux et celles d’entre nous qui croient en la vie, la vérité et la liberté. Ils chercheront à nous diviser et à nous décourager, mais nous ne pouvons pas nous permettre de baisser les bras. Poursuivons notre lutte pour vous, pour votre famille et pour le Mexique. Nous sommes la résistance et nous devons faire notre part : défendre le Mexique contre l’autoritarisme et le mauvais gouvernement. » [4]
Le 4 juin, Xóchitl Gálvez a haussé encore le ton et diffusé une vidéo « Nous commençons la défense de ton vote », adressée « à tous ceux qui font partie de notre lutte », dans laquelle elle y expose les quatre points d’une stratégie de défense de la démocratie, appelant à un recomptage de 80% des urnes, comme si le résultat des élections était déjà clos. En outre, elle dénonce « l’intervention très claire du Président dans le processus électoral », « l’utilisation évidente des ressources publiques dans la campagne de MORENA », et « le haut niveau de violence et l’intervention du crime organisé ». Le visage tremblant, elle a poursuivi en affirmant que « le Mexique ne mérite pas une autre élection avec l’intervention de l’Etat et du crime organisé ». Fidèle à son cynisme éhonté, elle a affirmé que « nous avons commencé par la résistance pour protéger notre démocratie, notre Constitution et notre liberté ».
5.- Jusqu’à présent, deux axes semblent constituer la stratégie de la droite. Premièrement. Exiger un recomptage des votes afin de perturber le climat politique et la légitimité de l’élection et de l’INE (dans la « défense » duquel la « marée rose » a trouvé l’un de ses emblèmes les plus prestigieux), en délégitimant les vainqueurs de l’élection. Une mesure de pression et de lutte qui a créé l’indignation, la lassitude et même la mobilisation de la base de la coalition Fuerza y Corazón por México vaincue, ce qui contribue à un climat hostile que la droite elle-même ne peut presque plus contrôler, que ce soit dans le sens de la diriger ou de l’alimenter. Ainsi, la droite tente d’atténuer l’action réformatrice du nouveau gouvernement, de le ligoter pour qu’il se modère et n’approfondisse pas la réforme du système judiciaire et de l’INE. Combien de temps ce climat peut-il durer et quel type de chocs faudra-t-il pour l’alimenter ?
Deuxièmement. Maintenir sa présence et son leadership auprès de sa base électorale, non seulement mécontente de la défaite, mais en colère, dont le point de vue a longtemps été influencé par les rumeurs d’une élection orchestrée par l’Etat et le président López Obrador. Cela a obligé Xóchitl Gálvez à se maintenir dans une prétendue « résistance », alors que quelques heures plus tôt, elle avait accepté les résultats des élections. Si elle est discréditée, d’autres (ou peut-être personne) pourraient capitaliser sur cette indignation, attisée dans les médias par une pléiade de commentateurs. Risque alors d’être perdu le leadership d’une force sociale dont les partis de la coalition défaite (pour autant que le PRD survive) ont besoin pour se légitimer – pour l’instant, via la candidate des patriotes, des défenseurs de la République et de la Constitution, dont le « discours » a su séduire les électeurs de droite, mais aussi ceux qui sont mécontents du gouvernement de López Obrador.
6.- Le succès de cette symbiose entre Xóchitl Gálvez et la « marée rose » s’explique d’abord par le fait qu’elle a su réunir autour de sa candidature différents courants de la droite : catholique militant (anti-avortement, anti-féministe, anti-droits LGBT+), anti-communiste et sinarchiste [mouvement nationaliste des années 1930 à connotation fascisante, catholique], anti-immigrés et aporophobe [aversion pour les pauvres], entrepreneurial, pro-libre marché et pro-culture de l’effort, et donc aussi classiste, discriminatoire et raciste. A cet élément chimique s’en ajoute un autre, plus dangereux : l’expropriation des causes sociales les plus importantes de la gauche dans le Mexique contemporain : la recherche des disparus et le soutien du gouvernement aux mères en quête d’un enfant disparu, les droits des peuples indigènes, la demande d’une santé et d’une éducation de qualité, l’arrêt de la criminalité organisée, etc. Néanmoins, cette nébuleuse de forces politiques, d’alliances et de regroupements mise sur sa survie et est prête à muter à nouveau, à se transformer ou à se moderniser pour n’importe quelle cause ou lutte sociale, comme le font les virus lorsqu’ils cherchent un hôte, tout en s’en nourrissant.
Dans l’anatomie de ce à quoi nous assistons, il y a le germe d’un mouvement de masse qui, en revendiquant cette résistance nationale pour la démocratie et la liberté, ouvre la voie à un programme où la politique est néolibérale, donc favorable aux élites dirigeantes et aux grands médias. Tandis que, sur les questions sociales, elle se présente comme progressiste, en « défendant » tout ce que nous, la gauche, avons défendu pendant des années. En phase avec les nouveaux visages de la droite, cette philosophie politique, libérale et libertarienne, organise la vie sociale selon un modèle entrepreneurial, de guerriers courageux et charismatiques prêts à se sacrifier pour le bien commun, pour la République et la Constitution, qui entreprennent et défendent les causes de notre temps.
7.- Bien qu’il n’ait pas gagné les élections, ce programme a profité des circonstances et a su créer une base sociale propre qui, malgré tout, bouge. Elle n’est pas entièrement nouvelle, mais sa vigueur s’est développée aux dépens de ce gouvernement progressiste de MORENA. Elle réapparaîtra plus tard, mais peut-être avec de nouveaux dirigeants et représentants, ajoutant à son répertoire les promesses non tenues et les erreurs du gouvernement en place, et transformant nos thèmes programmatiques et nos slogans en une simple propagande instrumentale. Bien que, sur le fond, il se résume au pragmatisme radical brut de la droite en quête de légitimité et de pouvoir, sur la forme, le programme s’habille des causes les plus urgentes de notre époque.
Nous aurons besoin de clarté intellectuelle pour distinguer le contenu de la forme : la volonté de changement social en surface, tout en préservant le statu quo au fond. L’essentiel de la tromperie élaborée consiste à associer l’attrait de la forme à l’illusion de la substance, et donc à tout changer pour que tout reste pareil.
Cependant, si dans cette dimension cosmétique de l’œuf de serpent réside son énigmatique pouvoir de métamorphose, ainsi que son indéniable pouvoir d’attraction sociale, à travers les caractéristiques de sa membrane, il est également possible de distinguer la physionomie du reptile en pleine formation. (Article publié par le site Sin Permiso le 8 juin 2024 ; traduction rédaction A l’Encontre)
Carlos Alberto Ríos Gordillo enseigne au département de sociologie de l’Universidad Autónoma Metropolitana, Unidad Azcapotzalco.
[1] Gálvez, Xóchitl. https://www.youtube.com/watch?v=Ur-k8xl9LZg (Consultado : 2 de junio de 2024)
[2] https://www.facebook.com/Xochitl.Galvez.R/videos/389259593473885/ (Consultado : 2 de junio de 2024)
[3] Gálvez, Xóchitl. https://www.facebook.com/Xochitl.Galvez.R( Consultado : 2 de junio de 2024)
[4] Gálvez, Xóchitl. https://www.facebook.com/Xochitl.Galvez.R (Consultado : 3 de junio de 2024)
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