Édition du 17 décembre 2024

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Luttes syndicales

Lock-out à l'usine RTA d'Alma : Quand les travailleur(se)s s'occupent du bien commun à la place du gouvernement

Le 24 juin 1926, les gens du lac saint Sain-Jean se sont retrouvés les pieds dans l’eau en se levant le matin. Depuis une couple d’années, ils voyaient bien se construire ce gigantesque barrage à la décharge du lac et constataient que cela permettrait de garder le lac à un niveau élevé.

Mais tous les notables de la place, le député, les maires relayés par les curés en chaire leur disaient qu’il n’y avait pas de danger, que le niveau du lac ne changerait pas. Pourtant, l’entente entre la compagnie et le gouvernement avait été conclue l’année précédente... dans le plus grand secret. Les jours ont passé, puis les semaines et... le niveau du lac ne baissait pas. Il fallait bien se faire à l’idée, le niveau du lac resterait pour toujours au niveau des hautes crues du printemps. Finies ces bonnes terres, fini ce blé exceptionnel qui profitait de tous les sédiments laissés par les hautes crues. S’en sont suivis des semaines, des mois, des années de malheur pour les cultivateurs du lac Saint-Jean. Cette triste histoire est racontée en détails dans un excellent film de Jean-Thomas Bédard (Le combat d’Onésime Tremblay, ONF 1984).

Tout cela pour dire que la méfiance envers l’Alcan et les gouvernements a des racines profondes au lac Saint-Jean. Lors de la nationalisation de l’électricité au début des années 60, René Lévesque n’avait pas touché aux barrages d’Alcan parce qu’ils servaient à créer des emplois. En étant propriétaire des barrages, Rio Tinto Alcan (RTA) profite d’un avantage compétitif énorme dans l’industrie de l’aluminium compte tenu du fait que l’énergie correspond en gros à environ 35% du coût de production. Pour donner une idée, l’électricité produite par RTA lui revient à peu près au sixième du tarif industriel d’Hydro-Québec. Il s’agit donc d’un avantage compétitif énorme. Cet avantage, c’est le peuple québécois qui le lui a accordé. C’est conscients de détenir cette carte maitresse dans leurs mains que les travailleur(se)s d’Alma se battent.

Au Saguenay lac Saint-Jean, à tous les moments de conflits (négociations, grèves, lock-out) depuis 50 ans, cette question du privilège accordé à l’Alcan a toujours refait surface. Encore récemment, en novembre 2005, un référendum régional a montré que 92% de la population régionale était favorable au fait que les ressources naturelles, les redevances payées pour leur exploitation ainsi que les emplois publics reliés à leur gestion soient gérés par la région.

Lorsqu’en 2006, le gouvernement a renégocié les droits hydrauliques sur les barrages, il a encore une fois manqué une bonne occasion de se tenir debout. Malgré le renouvellement des droits jusqu’en 2058, un prêt de 400 millions$ sans intérêt sur 30 ans, une aide fiscale de 112 millions$ et l’accès pour Alcan à un bloc d’énergie, ils n’ont pas réussi à garantir les emplois, l’entente incluant une clause secrète permettant à l’Alcan de se soustraire à ses obligations d’investissements advenant une situation moins avantageuse sur le marché de l’aluminium.

En 2008, lorsque RioTinto a fait l’acquisition d’Alcan, le gouvernement s’est vanté d’avoir obtenu des garanties quant au maintien du siège social à Montréal. Aujourd’hui, le siège social est à vendre... Toute l’histoire des 100 dernières années est une suite de rendez-vous manqués par des gouvernements qui jouent les rois nègres.

Le 31 décembre dernier, les 780 travailleur(se)s de l’usine RTA d’Alma ont été mis en lock-out. L’enjeu : la volonté de RTA d’augmenter la sous-traitance, volonté qui se heurte à une demande de plancher d’emploi par le syndicat. C’est important de le signaler, les travailleurs ne se battent pas pour l’amélioration de leurs conditions de travail. Ils se battent pour les futurs travailleurs de l’usine, "pour leurs enfants", comme ils l’écrivent sur leurs pancartes. RTA a bien tenté de les soudoyer en accordant la sécurité d’emploi à tou(te)s dans ses dernières offres mais les travailleur(se)s ont refusé et c’est tout à leur honneur. Au Québec, les clauses orphelins sont interdites.

Dans un tel contexte, il faut le dire haut et fort, le fait que RTA puisse vendre l’énergie libérée par le lock-out à Hydro-Québec est proprement scandaleux. Selon la fondation Rivières, RTA en tire des revenus hebdomadaires de 3,5 millions$. On a laissé à RTA le privilège de demeurer propriétaire de ses barrages en retour de la création et du maintien d’emplois de qualité. Aujourd’hui, avec la vente d’électricité à Hydro-Québec, ce privilège conduit au résultat contraire, soit la destruction d’emplois de qualité.

Au Québec, l’histoire se répète. On entend encore parler de tarifs avantageux d’Hydro-Québec et de contrats secrets dans le cadre du plan nord. À l’aube d’une campagne électorale portant sur un plan où on brade encore une fois nos ressources naturelles, le conflit à Alma nous montre clairement le cul de sac d’une telle orientation.

Ce conflit s’inscrit dans le cadre d’une crise économique mondiale qui s’approfondit. Plusieurs considèrent que nous sommes dans une crise comparable à celle des années 30, une crise qui conduira à des bouleversements économiques, sociaux et politiques considérables. À regarder ce qui se passe en Europe, on peut croire qu’on est loin d’avoir atteint le fond du baril. À l’heure actuelle, on assiste à la remise en question de principes de base de la démocratie et à une attaque en règle des conditions de vie de la majorité (retraite, salaires, programmes sociaux, tout y passe et à coups de tronçonneuse).

Il faut bien le dire, avec Rio Tinto, on a affaire à une société qui est pleine aux as. Suite à l’acquisition d’Alcan en 2007 avec de l’argent emprunté, Rio Tinto s’est retrouvée avec une dette faramineuse de plus de 42 milliards$. La remontée spectaculaire des prix des matières premières a permis un remboursement très rapide de cette dette puisqu’à la fin de 2010, elle se retrouvait à hauteur de 4,3 milliards. Les dirigeants de Rio Tinto font partie de cette race de financiers avides de rendements qui sont en train de mener le monde dans le précipice. Ils en veulent toujours plus. Rio Tinto recherche une marge bénéficiaire de 40% pour l’aluminium. Actuellement, elle est d’environ 16% comparativement à plus de 60% pour le fer. Elle profite d’une période d’accalmie dans l’industrie de l’aluminium ainsi que de la crise économique pour presser encore plus le citron. Jusqu’où ira-t-on ? C’est la question que les travailleur(se)s d’Alma posent en résistant à Rio Tinto, une question qui interpelle tou(te)s les québécois(e)s.


Germain Dallaire
Verchères

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