Dans sa chronique du Journal de Montréal, parue le 14 septembre 2011 et intitulée : La clé de la prospérité, madame Nathalie Elgrably-Levy, économiste, s’en prend à ceux qui préconisent l’intervention de l’État pour relancer l’économie. Elle écrit : "On vit à une époque où il est mal vu, voire hérétique, de prôner un allègement du fardeau fiscal des entreprises". C’est à se demander sur quelle planète vit cette dame, car depuis des années, le gouvernement canadien ne fait que ça : alléger le fardeau fiscal des entreprises. Il l’a diminué de 600 milliards, a un point tel que, de tous les pays les plus riches, le Canada est celui où les entreprises paient le moins d’impôts, grâce à toutes sortes d’exemptions fiscales, mais où les citoyens sont les plus taxés.
Les gouvernements fédéral et provinciaux jouent à la surenchère avec leurs subventions aux banques et aux multinationales. C’est à qui en donnerait le plus. Qu’est-ce que les banques et les multinationales font avec les subventions de l’État ? Est-ce qu’elles créent de l’emploi ? Pas du tout ! Au contraire ! Les banques ont congédié leurs caissières pour les remplacer par des guichets automatiques et elles ont ouvert des succursales à Nassau, une petite île de la Barbade (un paradis fiscal) afin de ne pas payer d’impôt. Elles ont même invité ouvertement leurs meilleurs clients à placer leur argent dans un paradis fiscal pour éviter de payer des impôts. Si ce n’est pas une incitation à la fraude fiscale, je me demande ce que c’est !
De leur côté, les multinationales ont, soit remplacé leurs travailleurs sur les chaînes de montage par des robots ou soit utilisé ces subventions pour transférer leur production dans les pays pauvres où les salaires sont ridiculement bas et où les impôts sont pratiquement inexistants. Les grandes entreprises exercent un véritable chantage sur les gouvernements qui rampent devant elles pour les inciter à créer de l’emploi. Rapaces comme toujours, les multinationales ne se contentent pas des bonbons de l’État ; elles voudraient détruire les syndicats afin de payer les plus bas salaires et faire le plus d’argent possible.
Depuis 2004, le gouvernement fédéral a baissé les impôts des entreprises, dont les pétrolières, de 22% à 16% (Statistique Canada). Selon l’Institut Fraser, les contribuables canadiens ont versé plus de 6 milliards en subventions aux grandes entreprises, en 2006 seulement. C’est deux fois plus qu’en 1995. L’industrie pétrolière canadienne reçoit 1,4 milliard de dollars en aide fédérale à chaque année, selon le Groupe environnemental Pembina, qui tire ses chiffres du gouvernement fédéral. Pourtant les pétrolières engrangent des milliards de profits à chaque année. C’est le monde à l’envers : on prend l’argent des pauvres pour le donner aux riches.
L’ÉVASION FISCALE
Selon Statistique Canada, les plus riches canadiens ont déposé 196 milliards de dollars dans les paradis fiscaux en 2009. En 2003, ce montant était de 83 milliards. Au début des années 2000, la vérificatrice générale du Canada, estimait à 1,5 milliard les sommes d’argent qui échappaient au fisc, à cause des argents placés à la Barbade (un paradis fiscal). Les banques étaient désignées comme étant responsables de ces évasions fiscales, selon le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). Au total, le quart des investissements canadiens à l’étranger est effectué dans des paradis fiscaux. Quant elles, les banques canadiennes, évitent de payer un milliard de dollars par année au fisc, toujours selon le CCPA.
Selon le professeur Léo-Paul Lauzon, titulaire de la Chaire d’études socioéconomiques à l’UQAM, les gouvernements canadiens se sont privés de 10 milliards de dollars de revenus en 2007, en ne taxant pas suffisamment les gains de capital sur la vente d’actifs. En 1998, Paul Martin, ministre des finances, avait abaissé le taux de 75% à 66% et l’avait encore abaissé à 50% en 2000. Le professeur Lauzon repousse l’idée selon laquelle il faudrait baisser le fardeau fiscal des entreprises. Citant une étude de Statistique Canada, il a démontré que les contribuables qui gagnent plus de 150,000 dollars par année, réduisent leur taux d’imposition à 16%, grâce à toutes sortes de combines. Ces derniers créent la richesse, certes, mais pour eux seulement.
DE LA DÉSINFORMATION
En ardente défenseur du monde des affaires, madame Elgrably omet de dire la vérité : c’est la mondialisation qui est responsable du déclin de l’économie aux États-Unis comme au Canada. La mondialisation a permis aux multinationales de fermer leurs portes pour aller s’installer dans les pays pauvres où les salaires, de même que les impôts, sont très bas. Mais madame Elgrably ne le reconnaîtra jamais. Selon elle, les entreprises paient encore trop d’impôts. Elle est de la même pensée que Milton Friedman, qui a écrit un livre : Capitalisme et liberté, dans lequel il prêchait l’abolition des impôts pour les entreprises et la non-intervention de l’État afin de ne pas entraver le Marché, une sorte de main de Dieu, qui devait tout régler, selon lui. Même si les gouvernements canadiens n’arrêtent pas de baisser les impôts des grandes entreprises, ce n’est pas suffisant, selon madame Elgrably, porte-parole du patronat. Sans doute faudrait-il abolir le syndicalisme afin de permettre aux multinationales de payer les mêmes salaires qu’elles paient dans les pays du tiers-monde.
Madame Elgrably se promène avec des oeillères. Dans sa chronique, elle ne fait que taper sur les mêmes clous : les écologistes, ces empêcheurs de tourner en rond qui nuisent à l’économie, les syndicats avec leurs demandes exagérées ; les apôtres de l’intervention de l’État et ce maudit État avec ses mesures sociales. Elle agit exactement de la même façon que ceux qui prêchaient le laisser-faire après la terrible crise économique de 1929 : laisser pourrir la situation malgré la souffrance du peuple. On n’ignore pas que c’est le président américain Théodore Roosevelt qui a, malgré les menaces de mort, sauvé le peuple de la famine, en injectant des milliards pour créer des emplois et relancer l’économie. Ce ne sont sûrement pas les entreprises, trop contentes de bénéficier d’une main-d’oeuvre abondante et à bon marché.
Nathalie Elgrably nous sert régulièrement ce qu’elle reproche aux autres : toujours la même cassette, toujours les mêmes aberrations économiques ! Elle écrit : "L’État diminue dans un premier temps le pouvoir d’achat des individus par la fiscalité et l’augmente par l’entremise de ses programmes de relance. C’est comme prélever de l’eau à l’extrémité gauche de la piscine pour l’injecter à l’extrémité droite". Pourtant la situation que l’on vit actuellement dans le monde était fort prévisible. À moins d’être un parfait imbécile, il fallait s’y attendre. En fermant leurs portes pour aller s’installer dans les pays pauvres, les grandes entreprises l’ont créée cette situation. Pour paraphraser madame Elgrably, je dirais que si on allume un feu à l’extrémité gauche d’un champ de broussailles, on doit s’attendre à ce que le feu se répande à l’extrémité droite. Pas besoin d’être un génie pour comprendre cela !
Au lieu de désigner les vrais coupables, soit les banques, véritables parasites du système, qui créent la monnaie et qui siphonnent le capital en créant des dettes monstres, de même que les puissantes multinationales, assoiffées de pouvoir et de profits, madame Elgrably et tous les tenants du néo-libéralisme, qui prônent la non-intervention de l’État, accusent les syndicats qu’ils rendent responsables de tous les malheurs. Ils sont contre les mesures sociales qui grugent les budgets et nuisent à l’économie. Et des têtes sans cervelle de reprendre le même discours sur les ondes et dans les journaux, incidemment la propriété des multinationales. Et c’est de cette façon qu’on fait de la désinformation, qu’on manipule le peuple et qu’on le maintient dans l’ignorance. Et pendant ce temps, les banques et les puissantes multinationales engrangent des milliards et sont mortes de rire. Heureusement que le ridicule ne tue pas, sinon à quelle hécatombe assisterions-nous !