Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Les féministes font elles un déni des crimes sexuels du 7 octobre ?

J’ai eu avec un inconnu une conversation qui m’a interpellée. Sur un célèbre réseau social, les médias parlent de la grande marche contre les violences faites aux femmes du 25 novembre. Sous ces diverses publications, je remarque des invectives récurrentes du type « Et les violences sexuelles commises par le Hamas le 7 octobre ? Elles n’en parlent pas les féministes ! Hypocrites ! ».

Ils me fatiguent tous ces hommes à vouloir systématiquement changer de sujet quand on parle de violences sexistes ! C’est ma première réaction, puis je réfléchis … est-ce où non une diversion ? Si des crimes sexuels ont été commis le 7 octobre, ils entrent bien évidemment dans le cadre de la lutte féministe. Alors est-ce que le conflit israelo-palestinien a sa place ici ? Il semble que depuis le 7 octobre, il trouve sa place partout, et je ne vais pas m’en plaindre, depuis le temps que la gauche tente d’alerter sur le sujet !

Alors allons-y ! Je repère le moins hystérique de ces internautes pour tenter un dialogue. Que reproche-t-il aux féministes exactement ? De ne pas avoir condamné les crimes sexuels commis le 7 octobre. C’est faux, et je le lui fais remarquer preuves à l’appui : en France, personne n’a refusé de condamner les crimes sexuels du 7. « Oui mais elles n’en ont presque pas parlé  », insiste-t-il. Tout est dans le presque …

Mais tout de même, avant de m’agacer je préfère vérifier. Une première recherche internet me mène à une multitude d’articles de presse titrant tous plus ou moins la même chose :

«  Le terrible déni des féministes et des ONG sur les atroces crimes sexistes du 7 octobre. »

Ce qui est certain, c’est que la presse dominante est unanime. Mais l’acharnement médiatique n’a jamais constitué une preuve en soi. Alors je creuse un peu plus loin et je consulte les sites des principales organisations féministes du pays et certaines mondiales avec ce prisme :«  Est-ce qu’on a parlé des exactions sexuelles commises par les assaillants du Hamas ?  ». Et là, je dois constater que globalement, non. Ou en tout cas, comme le dis mon interlocuteur « assez peu ». Je fronce les sourcils … en tant que militante de gauche et féministe, je sais bien que nous avons toujours certains angles morts, comme tout le monde, mais le temps serait-il venu de faire un examen de conscience ? Y a-t-il du déni dans mon militantisme ?

Et me voilà qui relève mes manches pour partir à la recherche de la vérité qui dérange … Je commence par éplucher méthodiquement les communiqués de presse des associations féministes depuis octobre. Les femmes israéliennes y sont souvent citées, mais au coté de toutes les autres femmes victimes de crimes de guerre, comme ici pour l’association ADN : «  Nous manifestons particulièrement notre soutien aux femmes d’Ukraine, de Birmanie, de Palestine, d’Israël, du Haut-Karabakh. »

En poussant plus loin mes recherches, je trouve de très nombreux documents et tribunes dénonçant les viols et abus sexuels commis lors de conflits armés. Aucune nationalité n’est jamais mise en avant par rapport aux autres, ça me paraît normal, c’est le système qu’il faut combattre avant tout.

Il faut dire que ce type de crimes ne datent pas du 7 octobre et que ceux qui les dénoncent subitement aujourd’hui me paraissent se réveiller un peu tard. En 2004, Amnesty International rédige un dossier de 83 pages très détaillé intitulé «  Les crimes commis contre les femmes lors des conflits armés  ». Et plus généralement, toutes les ONG luttent d’arrache pied pour faire reconnaître le viol comme arme de guerre dans le droit international. Donc le problème ce n’est pas le silence des assos sur les crimes sexuels, mais plutôt un supposé silence sur les crimes particuliers commis par le Hamas.

Lors de la manifestation du 25 contre les violences sexistes et sexuelles, le cortège a été violemment pris a parti par un groupe nommé Le Collectif du 7 octobre. Au micro des journalistes ils déclarent trouver ce rassemblement « indigne », carrément ! Ils accusent vertement les féministes du collectif organisateur Nous Toutes d’être «  complices - des crimes du Hamas - car silencieuses à propos des violences sexuelles commises sur des israéliennes ». Les invectives sont si rudes qu’il faut les séparer avant qu’ils et elles n’en viennent aux mains. Personnellement je trouve ces accusations assez choquantes … il serait donc indigne de manifester contre les violences sexistes si les victimes d’une certaine nationalité ne sont pas mise en avant ? Voilà qui n’est pas très sain … Mais attention à mes à priori, je dois fouiller plus loin et avec du recul.

Au cours de mes recherches, je tombe sur une tribune publiée dans libération le 10 novembre et rédigée par l’association Paroles de femmes qui demande la reconnaissance d’un féminicide de masse pour le 7 octobre. Elle est associée à une pétition qui a recueilli à ce jour 30000 signatures et l’adhésion de plusieurs personnalités publiques, dont par exemple Sandrine Rousseau, figure principale du féminisme politique, que mon interlocuteur accusait justement d’être complice de la doctrine islamiste … ironique ! Je dois avouer que certains termes de cette tribune me mettent mal à l’aise. Elle ne s’appuie pas sur les événements du 7 pour exiger que les meurtres de femmes civiles en temps de guerre soient qualifiés de féminicides, non … elle demande à ce que seulement les crimes sexuels commis sur des femmes israéliennes soient reconnus comme tels. Voilà peut-être qui explique la réticence des féministes à s’associer à cette lutte ?

Voilà ce que dit la tribune : « C’est un Féminicide de masse que nous devons regarder en face, sans le lier au conflit israélo-palestinien. ». Ah bon ? Mais pourquoi ? Pourquoi est-il nécessaire d’extraire un crime de son contexte pour le qualifier ? Cela me paraît totalement aberrant !
Un peu plus loin on insiste de nouveau : «  Nous le répétons : Il n’est pas question du conflit israélo-palestinien. » Voilà tout de même une drôle d’exigence ! Est-ce qu’il viendrait à l’idée de ces personnes de dénoncer les viols commis actuellement sur les femmes congolaises mais avec l’interdiction d’évoquer le conflit en cours ? Je ne crois pas

Il y a donc décidément quelque chose qui cloche dans ma problématique : Oui, les ONG et associations féministes ne dénoncent pas avec insistance les crimes sexuels du 7. Mais est-ce habituel ? Qu’en est-il des crimes similaires commis lors de conflits ailleurs dans le monde ?

Et bien je constate que les condamnations sont souvent longues à tomber, non pas parce que les féministes sont lentes d’esprit, mais parce que ces assos basent leurs démarches sur des enquêtes sérieuses et structurées … plus sérieuses que le tribunal médiatique et populaire.

Alors qu’en est-il des enquêtes en cours ? La principale est israélienne bien sûr, et elle est menée par l’unité de police criminelle Lahav 443 dont l’un des chefs d’unité, David Katz, présente à la presse internationale les documents sur lesquels est basée l’enquête. Il dit travailler sur plusieurs cas d’agressions sexuelles et collecter des indices médico-légaux, des images de vidéo surveillance, des témoignages de survivants et des informations issues d’interrogatoires d’assaillants arrêtés après le massacre.

Même si je n’ai pas pu personnellement visionner les images qui prouvent ces agressions et dont on nous a beaucoup parlé, je n’ai aucune raison de rejeter les nombreux témoignages qui vont dans ce sens. Je n’ai aucun doute sur l’existence de crimes sexuels le 7 octobre. Et je crois qu’il est important de le dire et de condamner fermement ces crimes, au même titre que tous ceux commis envers les femmes … que tous ceux commis envers des civils.

Cochav Elkayam Levy, présidente de la commission parlementaire sur les crimes commis contre les femmes le 7 octobre, déclare que « la grande majorité des victimes des viols et autres agressions sexuelles du 7 octobre, dont des mutilations génitales, ont été assassinés et ne pourront jamais témoigner ». Il en va de même des coupables, sur environ 2500 assaillants plus de 1500 ont été tués le jour même. Les autres qui sont parvenus à fuir vers la bande de Gaza sont sous les bombardements intensifs depuis lors. Cette absence de victimes, de coupables et le délai qu’il a fallu pour récolter les preuves risque de rendre cette enquête laborieuse. Ajoutons à cela les campagnes de propagande très agressives qui s’affrontent …

Ici, je crois bon de rappeler un fait ténu : l’état israélien s’oppose à ce qu’une enquête neutre menée par la cour pénale internationale soit faite sur les attaques du 7 octobre car l’état hébreu réfute depuis toujours toute compétence à cette cour. En 2015 en revanche l’autorité palestinienne a elle adhéré à la CPI et le Hamas ne s’est pas opposé et a même encouragé l’enquête de la cour sur la situation à Gaza, menée depuis près de 10 ans. Ainsi, les ONG n’auront d’autres choix que de s’appuyer sur les uniques preuves fournies par Israël.

Sachant tout ce que je viens d’exposer, doit-on vraiment s’étonner du silence des ONG à ce stade ? Est-il une marque d’indifférence, de complicité comme le disent certains, ou simplement de patience face à une enquête en cours ?

Pour Gilad Erdan, ambassadeur israélien aux nations unies, il n’y a aucun doute :
« Malheureusement, les horreurs endurées par ces jeunes femmes ne méritent pas d’être mentionnées. Pour l’ONU et ses agences, les femmes israéliennes ne sont pas des femmes. » accuse-t-il en visant personnellement Sima Bahous, directrice d’UN Women, à qui il reproche d’avoir attendu une semaine avant de communiquer sur les événements du 7.

Pourtant, Mme Bahous a publié un tweet le lendemain des attaques :

« L’escalade des hostilités en Israël et dans les territoires palestiniens occupés est extrêmement préoccupante. Il est impératif que tous les civils, y compris les femmes et les filles, soient protégés. »

Elle s’est depuis exprimée à la tribune du conseil de sécurité de l’ONU en ces termes :
« UN Women a rencontré et entendu des femmes israéliennes qui nous on dit qu’elles-mêmes et des organisations de la société civile travaillaient à documenter les atrocités fondées sur le genre, et elles ont partagé leur espoir de paix, avec des femmes- israéliennes et palestiniennes- à la table des négociations. » Au cours de ce discours elle a très clairement condamné les crimes du Hamas en Israël et a promis qu’ils feraient l’objet d’une enquête, reconnaissant directement les preuves présentées par la commission israélienne.

Alors que reproche exactement l’ambassadeur Erdan à Mme Bahous ? Et bien je crois que sa colère porte en réalité sur le reste de son discours, qui relate longuement et condamne fermement les crimes que l’armée israélienne est actuellement en train de commettre à Gaza. En prétendant qu’elle ne considère pas les crimes sexuels du 7 (ce qui est pourtant faux), il tente de la décrédibiliser et de sous entendre qu’elle tiendrait un discours à géométrie variable … ce qui lui permettrait de minimiser les crimes de son propre pays.

Et oui, toutes les féministes le savent, dans les cas de violences sexistes il y a deux types de pervers : ceux qui commettent les actes et ceux qui utilisent la souffrance des victimes pour avancer leurs pions.

C’est ainsi que, depuis le début de ce conflit à la propagande particulièrement toxique, nous avons droit à un déballage récurrent et outrancier des souffrances des victimes. Elles ne sont plus là pour se plaindre de ce voyeurisme, ce qui semble en arranger certains. À grand renfort de détails insoutenables, on nous décrit des actes ignobles, on nous parle de preuves photo et vidéo si sales, si dures, qu’on ne nous le montrera pas (mais on ne nous épargne pourtant pas leur récit détaillé). Et il semble qu’aucune condamnation verbale ne soit suffisante. Qu’attend on de nous exactement ? Que l’on prenne les armes ? Que nos réactions dépassent le champ militant universaliste pour entrer dans le champ purement politique et racialiste, je pense ...

On les entendait moins, ces vaillants diplomates israéliens quand, en 2011, le président Moshe Katsav était condamné à sept ans de prison pour multiples viols, agressions sexuelles et faits de harcèlement. A cette époque il fallait laisser à la justice le temps de faire son travail … il ne fallait surtout pas que les féministes s’égarent dans des condamnations hystériques etc … etc … Le discours patriarcal habituel.

Mais aujourd’hui c’est différent, si on ne condamne pas à grand cris et immédiatement les crimes du Hamas, on est complice de terrorisme. On voudrait nous faire croire que les ONG peinent à reconnaître les victimes du 7 car elles sont juives (un #metoounlessyouareajew a été créé) … mais en réalité personne n’a refusé de reconnaître ces victimes, et ce qu’on nous reproche, c’est de ne pas accorder un traitement particuliers à leur cas, du fait de l’identité de leurs bourreaux (car selon moi la judéité n’a rien à voir dans ce débat).

Où étaient ces défenseurs de la justice quand, en août 2023, la Knesset adoptait une loi bipartite opportunément nommée «  loi sur le terrorisme sexuel  », vivement critiquée par les organisations du droit des femmes car elle permet aux citoyens juifs d’encourir des peines pour viol moins lourdes, alors que les coupables palestiniens verront leur peine doubler si les autorités jugent le motif du crime à caractère « nationaliste » ?

Pourquoi ne condamnent-ils pas avec la même virulence les crimes sexuels commis par les colons et les soldats en Palestine occupée ? Ou partout ailleurs dans le monde …

Peut-être se rangent ils à l’opinion du colonel Eyal Karim qui déclarait à propos d’accusations de viols envers ses hommes qu’il est « grave de fraterniser avec une femme non juive, mais que c’est permis en temps de guerre car la Torah permet de satisfaire les mauvais penchants ».

Les victimes, dans cette affaire, ne sont qu’un outil pour parvenir à des fins politiques. Car le sujet ici est identitaire … et c’est bien ce qui me dérange. Jamais je ne mettrai mon militantisme féministe au service d’une vision racialiste des luttes contre les violences sexuelles. Et je suis en colère quand je constate qu’on essaye de m’y forcer la main …

Comme toutes mes camarades à qui j’ai parlé ou dont j’ai lu les prises de position, je condamne les violences faites aux femmes, à TOUTES les femmes … quelques soient leur appartenance religieuse. Non, je refuse d’accorder un traitement particulier aux femmes juives. Et ça n’est pas parce que je refuse de les croire, que je suis antisémite ou toutes raisons que les propagandistes brandiront pour m’accuser … non, c’est parce qu’accorder un traitement spécial aux femmes juives reviendrait à rabaisser toutes les autres victimes.

Oui, les atrocités que certaines femmes ont subi le 7 octobre en Israël sont terribles et doivent être intégrées à nos luttes contre les crimes de guerre sexistes, mais nous savons aussi que ces crimes là sont une goutte d’eau au milieu d’un océan de souffrances. Il n’y a pas que des femmes juives qui ont été violées le 7 octobre 2023, car pas un jour ne se passe sans que des crimes soient faits aux femmes dans les nombreux conflits qui déchirent notre monde. Il serait impossible de parler de chacune d’elle à titre individuel car nous manquerions de temps … et car l’étalage de leurs calvaires sur la place publique me semble n’être qu’une offense de plus. Nous devons nous battre pour elles toutes comme une seule et même femme, une femme du monde qui serait à la fois israélienne, palestinienne, congolaise, ukrainienne, yéménite, birmane, syrienne, nigériane, etc … etc … Et nous ne nous battons pas contre tel ou tel coupable choisi autant pour sa nationalité que pour son crime, nous nous battons contre un système qui ne connaît pas de frontières. Un système qui dit que le viol est permis « en temps de guerre » … un système ancestral qui ne pourra être abattu que par une force collective.

C’est un aspect des luttes féministes que M. Erdan et ses compères ne comprendront jamais.

Si nous commençons à nous déchirer parce que nous exigeons que notre groupe racial soit mis en avant par rapport aux autres, nous avons déjà perdu.

Si nous laissons des hommes politiques, des polémistes et des propagandistes utiliser notre peine pour nous diviser, nous avons déjà perdu.

Mais je sais que nous seront plus fortes que tous ces hommes qui veulent se servir de nous dans leurs conflits sanglants, comme victimes, comme armes, comme outils de propagande. Ils ont peut-être la violence, mais nous avons la patience, l’empathie et l’intelligence.

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