S’il faut verser le sang, allez donc verser le vôtre... Ces vers de Boris Vian, j’ai le goût de les servir à ces esprits savants qui, du bout des lèvres, expriment leurs malaises devant la présence canadienne en Afghanistan, mais qui hésitent devant l’appel au retrait immédiat des troupes canadiennes comme l’a courageusement fait le Congrès du NPD.
À les lire, il faudrait maintenir les troupes (et pourquoi pas, les renforcer ?...) afin d’organiser je ne sais quelle transition entre un encadrement de l’OTAN et une mission plus humanitaire sous direction onusienne. Pendant ce temps, il y a des gens qui se font trouer la peau, des deux cotés. On serait tenté de leur dire à nos stratèges du plateau Mont Royal : allez-y donc vous-mêmes ! Vous ou vos proches... Allez expliquer aux Pachtounes, les fils de ceux qui chassaient les Soviétiques, que vous êtes les authentiques porteurs de la démocratie et des droits humains et que vos blindés sont là pour aider à reconstruire. Que les 3000 personnes déplacées par l’opération Méduse l’aient été pour leur bien, mais voilà elles sont trop arriérées pour le comprendre.
Je suis un pacifiste de la vieille école. Je suis de ceux qui croient que les questions de paix et de guerre sont d’abord d’ordre moral et que la seule légitimation pour l’usage de la violence est l’autodéfense, individuelle ou collective. Je suis de ceux qui pensent que de toutes les questions politiques celles qui relèvent de la paix ou de la guerre sont les plus importantes ; celles où il ne faut jamais se tromper. A moins de trouver normal qu’une minorité de décideurs peuvent disposer de la vie des autres.
Je suis un démocrate de vieille école. Je suis de ceux qui croient que les progrès d’une société sont l’œuvre des peuples eux-mêmes et qu’on n’arrache pas des tchadors à coup de baïonnette. Les peuples de ce pays, les femmes au premier rang, se libèreront des réactionnaires religieux. Vouloir le faire à leur place, ce n’est rien d’autre que de la condescendance impériale dont les résultats sont garantis : créer deux, trois, cent Ben Laden et en attendant permettre à des jeunes de Petawawa, de Valcartier ou de Khandahar de se canarder.
Mussolini expliquait que l’invasion de l’Éthiopie se faisait au nom de la civilisation. Plus tard ce sera au nom des valeurs avancées du socialisme que l’ex-Urss a envahi ce pays et c’est maintenant au nom de la défense des droits humains et de la reconstruction démocratique que les Canadiens tuent et se font tuer. Si on regarde le nombre effarant de régimes tyranniques dans le monde et le caractère remarquablement ciblé et limité des régions où nos grandes âmes portent leur sacré devoir d’ingérence, on est souvent troublé par certaines coïncidences avec des intérêts géostratégique ou économique. Le devoir d’ingérence est à géométrie variable !
Les Rwandais le savent.
Sur le plan politique, il y aurait bien des choses à dire. Sur la nature de l’armée canadienne, sur le rôle complémentaire du Canada dans la stratégie impériale américaine, sur le caractère abjectement corrompu du régime de Kaboul dont certains membres bénéficient du trafic d’opium, sur la politique réactionnaire des Conservateurs au niveau militaire, sur le coût social des dépenses etc.. Mais pour une fois, restons, à dessein, sur le terrain humain et moral. Arrêtez de faire joujou avec le sang des autres. À la longue, ça devient indécent.
François Cyr,
L’auteur est membre de Québec Solidaire. Il s’exprime à titre personnel.