Elles se sont indignées et sont passées à l’action
Il n’y a pas si longtemps, les femmes n’avaient pas accès à l’éducation. Elles n’avaient ni le droit de vote, ni l’égalité juridique dans le mariage. Leur présence sur le marché du travail était tolérée, sans plus ; leurs conditions de travail étaient plus misérables que celles des hommes et leur rémunération, plus faible.1
Les luttes pour le droit au travail, à la syndicalisation et à la négociation ont été longues et ardues. Puis, le mouvement féministe et les organisations syndicales, sous l’impulsion des comités de condition des femmes, ont mis de l’avant des revendications qui ont contribué à changer la vie des femmes et à transformer le monde du travail notamment :
– abolition des grilles salariales selon le sexe ;
– droit à la contraception et à l’avortement ;
– congés de maternité ;
– retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite ;
– développement de services de garde ;
– régime québécois d’assurance parentale ;
– syndicalisation des intervenantes en milieu familial ;
– syndicalisation de ressources de famille et de résidence d’accueil
– mesures d’accès à l’égalité dans l’embauche et en emploi ;
– équité salariale.
Malgré certaines avancées, l’égalité de faits est loin d’être acquise
Le droit de vote des femmes ne s’est pas accompagné d’une juste représentation politique, au Québec, les femmes représentant 29,3% des personnes élues. Les services de garde demeurent insuffisants. Le viol, la violence conjugale, la discrimination persistent.
Les pratiques de marchandisation du corps des femmes s’amplifient : tourisme sexuel, esclavage domestique, traite des femmes aux fins de la prostitution, hypersexualisation et publicités sexistes. 2
Sur le marché du travail les femmes n’ont pas encore atteint l’égalité professionnelle et salariale et sont souvent discriminées :
– la maternité demeure la raison principale des congédiements illégaux ;
– le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite est la cible d’attaques féroces du patronat ;
– 67 % des femmes formées pour un emploi non-traditionnel ont des difficultés dans leur recherche d’emploi et leur taux de maintien ne dépasse pas 50% ;
– dans le secteur de la construction, 62 % des femmes quittent le domaine après 5 ans, en se disant victimes de violence et d’intimidation 3 ;
– seulement 7,7% des fonctions dirigeantes des 100 plus grandes entreprises sont occupées par des femmes ;
– même lorsque plus instruites que les hommes, les femmes demeurent moins bien payées, ont plus difficilement accès aux promotions et connaissent davantage le chômage et le sous-emploi ;
– tout au long de leur vie et ce même à la retraite, les femmes constituent la majorité des personnes pauvres.4
La situation est loin de s’améliorer. En 2004, le Canada se classait au 7e rang selon l’indice d’inégalité entre les sexes, établi par le Forum économique mondial, en 2009, il se classait au 25e rang selon ce même indice et au 73e rang selon l’indice de disparité entre les sexes de l’ONU.5
Les femmes ont encore toutes les raisons de s’indigner
Un vent de droite souffle en politique et en économie. La démocratie s’étiole. Le conservatisme moral et religieux étend son emprise. Tout cela fragilise les gains des femmes, porte atteinte à leur droit à la liberté et ralentit la progression vers l’égalité entre les femmes et les hommes.
La liste des initiatives politiques qui menacent les femmes s’allonge sans cesse dont :
– la remise en question du libre choix à l’avortement par le dépôt de plusieurs projets de lois privés ;
– la fin du financement des activités pour la défense des droits des femmes par Condition féminine Canada et la réduction de son budget de 43% ;
– l’abolition du registre des armes d’épaule souvent utilisées dans les cas de violence conjugale ;
– le gel persistant du financement du Conseil du Statut de la femme depuis une dizaine d’années ;
– la hausse des droits de scolarité ;
– l’instauration d’une contribution santé.
Les motifs d’indignation ne manquent pas en particulier quand il est question de démocratie. Les gouvernements, peu soucieux du bien commun, plient devant les forces de l’argent, favorisent la concentration de la richesse.6 Ils cautionnent la convergence des médias entraînant ainsi la désinformation, muselant les indignées et donnant la une aux discours antiféministes et antisyndicalistes.
Sur le plan économique, la crise financière qui perdure, loin de remettre en cause le système, sert à justifier la mise en application, par les gouvernements, de stratégies dévastatrices. Ceux-ci, privés de revenus par les baisses d’impôt qu’ils ont consenties sous la pression du marché, coupent dans les dépenses publiques et privatisent les services publics. Chaque fois, ce sont les femmes qui sont les plus sévèrement touchées parce que :
– elles constituent la majorité des personnes pauvres et de celles qui travaillent au salaire minimum ;
– elles représentent la majorité de la main d’oeuvre dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la fonction publique ;
– elles sont frappées par la précarisation et la surcharge de travail ;
– elles doivent compenser la diminution des services publics à titre de proches aidantes.
Les conséquences sont désastreuses. Comment ne pas s’indigner quand l’écart entre les riches et les pauvres s’accroît continuellement ?7
Le féminisme, la solution !
Dépassé, le féminisme ? NON Toujours nécessaire ? OUI. Notre vigilance, notre constance, notre détermination et notre solidarité, aussi.
Le féminisme est la révolution la plus pacifique qui ait jamais eu lieu : il n’a donné lieu à aucune guerre, ni justifié aucun massacre, bien au contraire.
L’ONU reconnaît que c’est en améliorant le sort des femmes, qu’on peut véritablement améliorer celui des enfants et des familles et que le progrès des femmes représente le facteur clé pour assurer le développement démocratique et économique des sociétés.8
« En fait, l’indignation nous fait sortir du Moi-Je pour arriver au Nous dans la conscience d’être uni à d’autres qui souffrent d’injustice, d’oubli ou de mépris. J’aime l’indignation, j’aime les indigné-e-s ! J’aime cette énergie à la fois haut-le-coeur et remède. Si la colère est une allumette, l’indignation est une flamme olympique ».
Hélène Pedneault
Notes
1 Collectif Clio. L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Le Jour, 1992, 649 p.
2 Ockrent Christine et al. Le livre noir de la condition des femmes, Paris, XO Éditions, 2006, 777 p.
3 Toutes les données concernant les emplois non traditionnels pour les femmes sont tirées du mémoire du Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT). Entre plafond de verre et plancher collant : vers un marché du travail inclusif et égalitaire pour les femmes du Québec, Mémoire présenté devant la Commission des relations avec les citoyens de l’Assemblée nationale du Québec, janvier 2011.
4 Les publications « Portrait des Québécoises en 8 temps, édition 2011 » ainsi que « Portrait statistique Égalité femmes/hommes : Où en sommes-nous au Québec ? », réalisées par le Conseil du statut de la femme, font ressortir certaines manifestations des inégalités persistantes entre les sexes.
5 L’Alliance canadienne féministe pour l’action internationale et le Congrès du travail du Canada. Confrontation avec la réalité :Les femmes au Canada et la Déclaration et Programme d’action de Beijing après 15 années, 22 février 2010.
6 Kempf Hervé. L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie, Paris, Seuil, 2011, 192 p.
7 Baril Hélène. « L’écart entre riches et pauvres croît plus vite au Canada qu’aux É.-U. », La Presse, 13 septembre 2011.
8 ONU, Rapport du secrétaire général à l’assemblée générale, Étude approfondie de toutes les formes de violence à l’égard des femmes, 2006.