Édition du 19 novembre 2024

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Kosovo

Le Kosovo éperdu de corruption

La jeune République élit dimanche son Parlement dans un climat de suspicion à l’égard des politiques. En cause, la privatisation de services publics et un projet autoroutier pharaonique.

Sur la rue principale de Pristina, face au siège du gouvernement, une grande affiche arbore un « Stop aux privatisations ». Le dossier est brûlant. Il a fait tomber le gouvernement et est au centre de la campagne des législatives qui ont lieu dimanche dans le dernier-né des Etats européens, le Kosovo.

Aux Postes et Télécommunications (PTK), le gros lot convoité de tous, les syndicats, hostiles à la privatisation, bénéficient d’une pause grâce au scrutin. Milazim Alshiqi, le président du syndicat de la plus grosse entreprise du pays, ne veut pas en démordre : « Pourquoi vendre les PTK pour 350 millions d’euros alors qu’ils ont versé 335 millions d’euros au budget de l’Etat au cours des derniers dix-huit mois. » L’angoisse perce :« Qu’allons nous devenir dans un pays où le chômage tourne autour de 50% ? »

Alshiqi a organisé plusieurs débrayages et piquets de grève, une nouveauté dans ce pays, issu de l’ex-Yougoslavie socialiste, devenu libéral à outrance. « Nous sommes le seul pays d’Europe qui n’a ni sécurité sociale ni système de retraites », déplore le Dr Ferid Agani, leader du Parti de la justice. Un bilan qui interpelle dans un pays qui a touché plus de 3 milliards d’euros d’aides entre l’arrivée des troupes de l’Otan après l’intervention de 1999 contre la Serbie et son accession à l’indépendance en 2008.

Démesurée

Deux ans plus tard, le Kosovo peine toujours à définir un projet de société. Et il reste loin de pouvoir entrer dans les instances financières, politiques et militaires internationales. Le symbolique et le protocolaire continuent de prendre une place démesurée dans les préoccupations des politiciens. Avant de quitter la scène, le gouvernement sortant a donné à l’aéroport de Pristina le nom d’Adem Jashari, le commandant fondateur de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) tué en 1998, et à la future autoroute, celui du premier président kosovar, Ibrahim Rugova. Le tunnel reliant l’Albanie au Kosovo a été baptisé Tunnel de l’union, clin d’œil à l’utopie grand albanaise.

Il faut replacer dans ce cadre le principal projet du pays, la construction d’une autoroute qui doit relier Pristina à Tirana, la capitale de l’Albanie. Une voie censée désenclaver la petite République mais qui, faute de sortie sur la Serbie - laquelle n’a toujours pas digéré l’indépendance de son ancienne province -, n’aura pas de débouché sur l’Europe. Lourd de 700 millions d’euros, ce projet va néanmoins grever le budget du pays pendant les cinq ans à venir, et c’est pour le mener à terme que le gouvernement a décidé de solder ses bijoux de famille, dont les télécoms.

L’appel d’offres a été emporté par la filiale turque de la multinationale américaine Bechtel, liée à l’ancien vice-président Dick Cheney, firme qui met la main sur la plupart des contrats dans les pays où l’armée américaine a dirigé une intervention militaire contre les régimes en place. L’attribution du contrat, dont les conditions n’ont pas été rendues publiques, suscite des polémiques. « Huit millions d’euros le kilomètre, c’est l’autoroute la plus chère d’Europe », relève le journaliste du quotidien Zeri, Laudim Hamidi.

C’est déjà Bechtel Enka qui a construit l’autoroute traversant l’Albanie, un projet dont le coût a été renchéri de deux fois et demi entre le début et la fin des travaux, et c’est la même firme qui conduit en Roumanie d’interminables travaux contestés. A chaque fois, le mot corruption est lâché. Les soupçons se sont aggravés depuis que l’Eulex, la mission civile de l’Union européenne, a ouvert une enquête contre le ministre des Transports, Fatmir Limaj, père du projet autoroutier, mêlé à un détournement de 2 millions d’euros lors de la construction de routes secondaires.

Mirage

A l’origine de l’enquête se trouve non pas l’Eulex, mais l’agence anticorruption KAA formée par le parlement kosovar, affirme son directeur, Hasan Preteni. « Nous avons été saisis par un petit entrepreneur venu se plaindre du fait qu’on lui ait demandé un bakchich », explique-t-il. « La corruption se voit à l’œil nu. Nos dirigeants s’enrichissent et ne cherchent même plus à le cacher. » Il suffit en effet de regarder les villas luxueuses construites à Pristina et dans ses nouvelles banlieues, où les nouveaux riches s’installent dans des quartiers de logements fermés et surveillés, pour comprendre qu’on ne gagne pas de telles fortunes avec un salaire de fonctionnaire (1 480 euros pour un député).

Mais Fatmir Limaj n’est pas en prison. Et beaucoup doutent qu’il soit jugé un jour. « Depuis qu’il a été mis en cause, raconte Avni Ziogani, de l’ONG anticorruption Cohu, l’ambassadeur des Etats-Unis au Kosovo l’a embrassé deux fois en public devant les caméras de télévision, lui et pas un autre officiel. » Voilà, selon lui, la preuve que les internationaux sont « une des principales sources » de la corruption dans le pays.

« La stratégie de privatisation du gouvernement a été écrite par les experts de l’US Aid. Le gouvernement est là pour signer et se taire. » Hostile à la vente des Postes et Télécommunications, Ziogani s’est fait traiter de « nostalgique du communisme » par les conseillers américains. « Une diplomate américaine est venue me rendre visite pour me dire que si je continuais comme cela, on m’isolerait. » L’indépendance ne serait-elle qu’un mirage ?

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