Projet de recherche
Au cours des dernières années, le secteur de l’entreposage a connu une croissance significative, et la tendance a été accentuée durant la pandémie de la COVID-19, particulièrement grâce à l’essor du commerce électronique. Face à cette réalité, le GIREPS, le CTTI et l’ATTAP ont lancé en janvier 2022 un projet de recherche portant sur les conditions d’emploi, de travail et la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs d’entrepôts dans la grande région de Montréal. Le projet a ciblé deux entreprises emblématiques du secteur, Dollarama et Amazon. La recherche a été basée sur un questionnaire auquel 70 travailleuses et travailleurs ont répondu, sur 20 entrevues approfondies et sur l’analyse des dossiers de plaintes et des rapports d’inspection de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
Principaux résultats
– La majorité des travailleuses et des travailleurs sont nés à l’étranger (100 % chez Dollarama et 85 % chez Amazon) et s’identifient comme minorités visibles (97,3 % chez Dollarama et 78,8 % chez Amazon).
– Les emplois sont généralement précaires : les travailleuses et travailleurs œuvrant dans les entrepôts de Dollarama sont embauchés par l’intermédiaire d’agences de placement de personnel, et les emplois à Amazon, bien qu’ils soient directs, fluctuent en fonction des besoins et reposent sur deux types de contrats de travail : contrats temporaires (White badge) et contrats à durée indéterminée (Blue badge).
– Les salaires sont insuffisants : selon les répondantes et répondants au questionnaire, le salaire horaire médian s’établit à 20 $ chez Dollarama et à 19 $ chez Amazon, et n’augmentent guère avec le temps, contrairement s aux salaires dans les entrepôts syndiqués.
– Les avantages sociaux sont absents ou limités : chez Dollarama, ils sont inexistants, et chez Amazon, les employées et employés sur contrat temporaire n’ont pas accès à la majorité d’entre eux.
– Les tâches sont lourdes, les heures de travail sont longues, et elles s’allongent encore pendant les périodes de forte demande. En conséquence, la majorité des répondantes et répondants au questionnaire (75,7 % chez Dollarama et 69,7 % chez Amazon) jugent que leur état de santé s’est détérioré depuis qu’elles et ils travaillent dans ces entrepôts
– Le travail est associé à d’importants risques pour la santé physique et psychique, comme des douleurs au cou, au dos ou aux jambes, la fatigue, des problèmes de sommeil ou l’anxiété. La forte pression à la productivité augmente encore ces risques.
– Les interventions de la CNESST en matière de santé et de sécurité du travail s’avèrent peu efficaces, selon la comparaison des risques perçus par les répondantes et répondants et les dossiers de la CNESST.
Principales recommandations
S’appuyant sur les résultats de recherche, l’équipe a formulé 29 recommandations portant sur l’amélioration des conditions d’emploi et de travail, les interventions plus efficaces de la CNESST et la protection des personnes migrantes et immigrantes. Parmi d’autres, l’équipe demande :
– Que le gouvernement du Québec adopte un décret de convention collective dans le secteur de l’entreposage ;
– Que le gouvernement du Québec documente les effets des normes de productivité sur les risques à la santé dans le secteur et limite la durée, la charge et le rythme de travail ;
– Que la CNESST documente et traite les risques reliés à l’organisation du travail et des risques de troubles musculosquelettiques dans le secteur ;
– Que les gouvernements du Québec et du Canada procèdent à une réforme en profondeur des politiques d’immigration, dans le but de favoriser l’immigration permanente et qu’ils octroient les mêmes droits à l’éducation et à la santé à toutes les personnes résidant sur leur territoire.
Citations
« D’une part, Dollarama et Amazon offrent des emplois précaires mais ces emplois trouvent preneurs chez une main-d’œuvre vulnérable : une forte proportion de travailleurs et travailleuses racialisés, dont la dépendance envers l’emploi est intimement liée à la discrimination systémique et, pour plusieurs, à la précarité de leur statut migratoire. D’autre part, ce ne sont pas d’bord les conditions d’emploi qui amènent les travailleurs et travailleuses à quitter l’emploi, mais les horaires éreintants, la pression énorme à la productivité ainsi que leurs effets néfastes sur la santé. »
Martine D’Amours, professeure retraitée associée, département des relations industrielles, Université Laval
« Le travail dans les entrepôts de Dollarama et Amazon présente des risques importants pour la santé et la sécurité. Notre enquête montre qu’au-delà de leurs différences technologiques, l’organisation du travail chez ces deux entreprises partage un aspect fondamental : la pression à la productivité. Cette pression s’exerce très souvent par le biais de quotas de production, comme le nombre de palettes à monter chez Dollarama et le nombre de paquets à traiter chez Amazon. »
Geneviève Baril-Gingras, professeure titulaire, département des relations industrielles Université Laval
« Tous les matins à 7 h, le superviseur vient nous voir et dit : "Hier tu n’as fait que neuf palettes, ce n’est pas bon. Aujourd’hui, tu dois en faire plus." C’est comme ça que nous sommes stressés et que nous travaillons de plus en plus vite. C’est dans ces situations que les accidents arrivent. »
Travailleur de Dollarama, cité dans le rapport (p. 37)
« J’ai un quota d’environ 100 boîtes par heure et, si je dois faire ça pendant 5 heures, et disons qu’en moyenne elles pèsent 3 kilos. …, ça veut dire que c’est environ 1500 kilos qui te rentrent dans le corps chaque jour. C’est ça qu’on doit transporter, c’est beaucoup. C’est lourd sur le corps au quotidien. »
Travailleur d’Amazon, cité dans le rapport (p. 33)
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