Après un mois passé en Haïti… après un mois à travailler sur le terrain… à soigner des gens… des femmes, des hommes, des enfants… quelques vieillards (denrée rare en Haïti…l’espérance de vie est de moins de 55 ans)... après un mois à partager la vie des Haïtiens… à travailler avec eux… à rire, à échanger, à pleurer…rarement (parce qu’ici c’est le rire qui prédomine…les Haïtiens pleurent très peu…de façon surprenante)…après un mois à voir… à sentir… à palper… à ausculter… à ressentir Haïti…sa chaleur, sa vie, sa douleur, sa profondeur… que dire ?
Dire que…malgré l’ampleur catastrophique de la situation…malgré l’horreur…malgré les plaies béantes…malgré la misère innommable…malgré tout…a pesar de todo…les Haïtiens continuent à vivre…la tête haute…avec force et dignité…avec le sourire…avec courage…ce sont des durs de durs…qui nous donnent tous une leçon de vie à nous…petits occidentaux aux ventres replets…aux petites angoisses…aux mille besoins farfelus…aux plaintes multiples et superflues…
Que dire ?
Crier haut et fort, pour que tout le monde l’entende….pour qu’on ne puisse feindre la sourde oreille…que les inégalités sociales…sciemment entretenues par une minorité profiteuse….dévastent la population haïtienne….la tuent à petit feu…et à grandes secousses….à coup de politiques et de réformes économiques assassines…à coup de corruption…à coup d’exploitation…de mains d’hommes, on maintient la population haïtienne dans une situation dans laquelle on ne laisserait pas vivre nos chiens…trop préoccupés que nous sommes à vêtir nos caniches…
Et nous envoyons nos tanks et des milliers de soldats armés jusqu’aux dents...pour "maintenir la paix"...et la "stabilité" du pays...
Que dire ?
Contrairement à ce que certains pourraient dire, il n’y a aucune fatalité expliquant la situation désastreuse dans laquelle vivent des millions d’Haïtiens, aucun sort jeté par le démon ou encore par « Dieu le tout puissant »….aucune malédiction…il n’y a que les conséquences désastreuses des politiques sociales et économiques des 200 dernières années…que le résultat de décisions prises par des élites corrompues jusqu’à la moelle…par un capitalisme sauvage représenté par nos grandes institutions bancaires internationales qui imposent leurs doctrines et leurs plans d’ajustement structurel ayant pour conséquences une misère humaine de plus en plus grande…la misère de la misère…pas de minimum vital par ici…que de la survie…
Que dire ?
Qu’on maintient un peuple dans l’ignorance…qu’on le submerge de discours religieux, mystificateur, vodouisant…on s’assure que les moutons rentrent à la bergerie…parce qu’ici plus qu’ailleurs…la religion c’est l’opium du peuple…pas de révolte en vue…parce que Dieu le veut…quelle tristesse…et quelle horreur de voir débarquer tous ces contingents de groupes religieux venus répandre la bonne nouvelle en Haïti…avec leurs gros ventres et leurs discours stupides…avec leurs Kodaks et leurs « bonnes intentions »….alors qu’ici ce dont on a le plus de besoin en ce moment…ce sont des latrines…des tentes…pis de l’eau…
Que dire ?
Que j’ai honte que notre humanité accepte tacitement que des millions d’être humains vivent dans la bouette et la merde…qu’ils meurent de maladies qu’on ne reconnaît même plus par chez nous…ou de FAIM….alors qu’ici on meurt par trop de malbouffe…par trop d’excès…par gloutonnerie…
Honte que notre humanité ne se lève pas pour hurler que le système économique dans lequel nous vivons… que l’on entretient sciemment, consciemment, gentiment, poliment…que ce système dont on profite par chez nous…tue, sous nos yeux, des milliers d’êtres humains…à chaque jour…
La vérité c’est qu’on s’en fou…on s’en balance…ce qui nous importe le plus le soir en se couchant ce n’est pas le sort de l’humanité….mais notre compte en banque…et la couleur de notre voiture…
Sur ce, je vais essayer de dormir…sans oublier tous ces êtres humains qui dorment à même le sol…le ventre vide…dans un abri de fortune…dans un pays dévasté… amputé...en ruines…tout en continuant à se lever le matin…à se laver…à s’habiller…à rire…à jouer…à faire voler des cerfs-volants avec des sacs de poubelles et des bouts de ficelles…à vivre quoi…
Parce que la vie continue…a pesar de todo…
Il y aurait encore tant à dire…
Marie-Claude
Merci aux Haïtiens et à tous mes camarades de mission…vous me manquez déjà…