Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

L’impact des accords de libre-échange sur la lutte aux changements climatiques

Le libre - échange et son incarnation dans les multiples Traités de libre échange (TLE) ne font pas bon ménage avec la lutte au réchauffement climatique, plus spécifiquement dans l’effort de réduction des gaz à effet de serre (GES).

L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), regroupant 155 pays, a mis le paquet au cours des ’90 afin de faire succéder le GATT*, qu’elle a charge d’administrer, par l’AMI*. Sa mission première est de chercher à développer le commerce. La façon privilégiée est l’élimination de barrières tarifaires. Elle a permis que de nombreux accords bilatéraux, multilatéraux, etc, soient signés. Dans cette foulée est survenue la signature de l’ALE entre le Canada et les U.S. au cours des ’80, devenu dans les ’90, le père de l’ALENA.

C’est le moment charnière où les lois de pays et gouvernements souverains sont devenus, aux yeux de ces traités, un obstacle "non tarifaire au commerce". L’a.1 du GATT stipulait déjà que le commerce entre nations devait se dérouler dans un contexte de "non-discrimination" pour les entreprises étrangères par rapport aux compagnies nationales ou locales. Dorénavant ces TLE contiendraient des clauses stipulant l’interdiction de réglementer ou de légiférer en faveur d’un traitement national supérieur. La course au plus petit dénominateur commun était lancée.

C’est ainsi que nous avons vu naître l’ALENA y contenant le chapitre 11 intitulé "État investisseur"(1). C’est ce ressort qu’a utilisé la californienne Sun Belt en ’98 afin de loger une poursuite de $10,5B contre le Canada p.c.q. le gouvernement de C.-B. avait interdit par une loi en ’91 toute exportation en vrac de son eau. Poursuite 7 ans plus tard ! Et avant L’ALENA mais sous son prédécesseur L’ALE. La Cie invoquait une "expropriation", car elle se voyait privée de son profit futur potentiel !!

L’une des raisons du développement de diverses Bourses du carbone de par le monde est le résultat combiné de la croyance par nos gouvernements en des solutions de marchés, que le Marché s’autorégulerait en spéculant sur la valeur du carbone et qu’il contribuerait à ce que leur monde puisse continuer sans interruption majeure par l’octroi de ce système de permis d’émissions de GES et par l’achat/vente de ceux-ci permettant de continuer à réchauffer notre planète.

L’autre raison d’un tel développement est le fait que les taxes deviennent suspectes aux yeux de L’OMC avec ce chapitre 11. Laissons de côté les taxes aux individus car ce n’est pas de ça qu’il s’agit et rentrons dans le vif du sujet. Imaginons que dans le cadre actuel de ces traités un pays, disons le Canada, prend des mesures énergiques afin de combattre le réchauffement climatique. Une taxe, sous forme de tarif douanier est instaurée afin de faire payer le recours au carbone (source de GES). Il est une des constituantes du prix final. Une compagnie étrangère fait entrer dans un port canadien une cargaison d’acier dont la fabrication a utilisé du charbon comme source d’énergie. On dit alors qu’il en va d’un acier à haut indice de carbone pour sa production et en conséquence un tarif douanier lui est appliqué alors que l’acier produit ici étant constitué d’un bas indice de carbone notamment parce qu’au cours de sa production l’énergie utilisée a consisté en électricité hydroélectrique. Le tarif augmente alors le prix de l’acier importé qui le rend moins compétitif. Cela constituerait une entrave au libre échange selon l’OMC. Dans l’état actuel des choses notamment à l’a.220 (g) des règles du GATT, qui a rapport à la "conservation des ressources ", il n’y a pas de telles distinctions. Pour l’OMC, il s’agit du même produit et, selon ses règles de non-discrimination, quelles que soient le type d’énergie utilisée pour la produire. De l’acier c’est de l’acier. Il s’en suit alors que cette taxe pour réduire l’utilisation du carbone se trouverait en contravention des règles de l’OMC(2).

La structure de l’OMC est inadéquate et inappropriée dans la lutte au réchauffement climatique. L’activité économique humaine, c’est maintenant établi et reconnu scientifiquement, est la cause principale de ce réchauffement et tous ces TLE constituent des obstacles à l’action politique et positive pour contrer ce cataclysme annoncé. Si L’OMC réunit 155 membres, les Nations Unies en rassemblera 196 à sa Conférence des Parties (COP). C’est le forum approprié et il doit s’affranchir de ces menottes. Reste à l’ONU à instaurer des mesures contraignantes.

Pendant ce temps la réalité de ces traités et de ses mécanismes a contré à maintes reprises les actions de divers gouvernements souverains. Véolia a ainsi tenté de faire invalider une loi égyptienne rehaussant le salaire minimum. J’ai évoqué en ouverture le cas Sun Belt et le chapitre 11. Nous allons recourir à deux exemples précis où les traités et leur mécanique ont bloqué et même fait reculer des gouvernements qui avaient agi selon la volonté populaire et démocratique pour protéger l’environnement et lutter contre le réchauffement climatique. Avant, cependant, revoyons cette mécanique.

D’abord, selon la disposition sur le "traitement national", un pays ne peut agir de façon "discriminatoire" en favorisant son secteur privé national. L’accès au marché doit être égal. Le chapitre 11 permet à une entreprise de poursuivre le gouvernement d’un autre pays qui adopte une loi ayant pour effet d’exproprier ses bénéfices futurs possibles. C’est le dispositif dit de l’"Investor -State Dispute Settlement" (Mécanisme de règlement des différends Investisseurs-États) d’où l’acronyme universellement utilisé : ISDS. Un tribunal unilatéral en ce sens qu’il permet aux entreprises d’intenter des poursuites contre des gouvernements et non l’inverse.

Dans l’exemple utilisé jusqu’ici de Sun Belt, on a vu des citoyens canadiens entamer à leur tour une poursuite car la Constitution ne permet pas de déléguer l’exercice de la justice à d’autres entités. Ces tribunaux privés ont été mis sur pied dans les ’50. Il appert qu’ils ne constituent pas en quelle que sorte une "super-cour" qui annule des décisions prises par des juridictions "indépendantes" de pays. On constitue plutôt un "banc" de trois arbitres et celui-ci relève de la Banque Mondiale. Il n’y a pas d’appel possible et la décision est exécutoire. L’entourloupe consiste en ceci : on se contente de ne juger que sur la base de la "responsabilité", un peu comme si une partie ici en poursuivait une autre sous le Code Civil. Si les "attentes légitimes d’un investisseur" de recevoir des profits futurs
sont amoindries à cause d’une décision politique le panel jugera en sa faveur et accordera une indemnité. Une décision prise pour protéger la santé publique et l’environnement des effets méconnus d’une technologie réputée néfaste ne pèse pas dans la balance. Ainsi le tribunal n’annule aucun règlement ou loi mais c’est tout comme, le jugement a le même effet.

Pour terminer la revue de cette question nous examinerons deux cas reliés aux changements climatiques qui illustrent cela. L’un d’eux est tout près de nous, c’est au Québec. Mais commençons par l’autre, Vattenfall c. Allemagne (7). Une nouvelle centrale électrique générée au charbon sise près de la rive de l’Elbe et qui traverse Hambourg et qui appartient à la suédoise Vattenfall se voit imposée par règlement municipal et provincial une charge additionnelle de mesures visant la protection environnementale, notamment du fleuve. La suédoise intente sa poursuite de $1,9B en 2009 selon la mécanique ISDS. Peu importe que le ministre de l’environnement se soit basé sur les données du groupe scientifique, le GIEC*, mis sur pied par l’ONU pour ajouter un délai à l’émission du permis d’opération. On laisse savoir qu’il s’agit tout de même d’"expropriation" et de violations du traitement équitable aux investisseurs étrangers. Le gouvernement a décidé finalement d’éviter le tribunal et un règlement hors cour est intervenu en ’10. Exit les règlements supplémentaires de sécurité et même ceux qui leur étaient antérieurs furent revus à la baisse. Le secret fut gardé quant à l’argent. La centrale est en opération depuis ’14.

Lone Pine c . Canada. Il s’agit d’une pétrolière américaine oeuvrant dans la facturation hydraulique du shale. Elle a intenté sa poursuite à hauteur de $241M en septembre 2013. Le gouvernement du Québec a procédé à un moratoire plus général en 2011 qu’antérieurement sur la fracturation hydraulique sous le lit du fleuve Saint -Laurent. Les permis d’exploration par fracturation étaient ainsi suspendus le temps de procéder à l’évaluation environnementale stratégique (EES). Lone Pine possédait des permis permettant de procéder à la fracturation jusqu’à plus de 30,000 acres sous la Voie Maritime. Elle clame l’expropriation. Le cas est toujours ouvert.

Lorsqu’on place côte-à-côte ce cas avec celui de Shwepbach Energy c. France, cette compagnie américaine aussi, opérant de même dans la fracturation hydraulique, a intenté une poursuite de $250 M le 12 décembre 2011 lorsque la France a interdit une telle fracturation à son tour. Cette compagnie a perdu sa cause qui n’avait cependant pas été entendue par un tribunal ISDS mais par une cour française ordinaire de droit commun. "Vive la différence". Ces traités et leurs tribunaux ont constitué dès leur naissance des obstacles au sain développement des populations et maintenant ils font de même dans notre mobilisation pour agir sur le climat.

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*GATT : General Agreement on Tariffs and Trade—Accord général sur les prix et le commerce
*AMI" : Accord multilatéral sur les investissements
*GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

(1) IRIS, Dépossession, p.253 et sq.
(2) Garth Woodworth, The CCPA Monitor, vol. 17 no.1, mais 2010, pp, 1,6-8.
(3) Maxime Vaudano, monde diplomatique, 18/11/15
(4) IRIS, id. et Billet 4/6/13
(5) Marchander la démocratie, 19/11/14, par 15 ONG canadiennes, québécoises et françaises
(6) William Greider, Corporations Souveraines, Voir, 30/05/01.
(7) ISDScorporateattacks.org

Claude Généreux

Maintenant retraité, il a été secrétaire-trésorier national du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).Il a aussi présidé et dirigé un régime et une Caisse de retraite pendant plus de 10 ans.

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